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09/06/2012

Comment le non-art fait main basse sur les églises (suite)

Je reviens sur le dernier livre d’Aude de Kerros qui traite d’un épisode de la guerre  contre l’art, contre notre civilisation et finalement contre nous-mêmes en montrant comment le non-art et la logomachie pseudo-théorique qui l’accompagne ont squatté les églises et détourné leur fonction religieuse[1]. Sur le milieu du non-art et sa domination totalitaire, ce livre est une mine d’informations peu connues et néanmoins indispensables pour comprendre notre époque. Voici encore un exemple, parmi  tant d’autres, de ce qui est permis aux soi-disant « artistes contemporains » dans les lieux de culte. Qu’on soit ou non croyant on jugera de mauvais goût cette installation réalisée en septembre 2001 par Faust Cardinali dans le baptistère de Saint Sulpice. Un gigantesque échafaudage permettait de faire tomber de quatre mètre de haut du liquide vinylique sur des certificats de baptêmes ainsi occultés. Selon « l’artiste » il s’agissait du sperme de Dieu mais dans d’autres textes il faisait allusion au « sperme froid de Satan dont parlent les sorcières » (cité par Aude de Kerros pp 125-126).   

 L’essayiste sur lequel je m'appuie, encourt, cependant, la critique en se servant obstinément de l’acronyme AC dans lequel il est impossible de lire autre chose qu’art contemporain et qu’il faudrait bannir pour cette raison. Celui qui, en entier ou sous forme abrégée, emploie ce syntagme inventé par nos adversaires leur a, d’avance, tout concédé. La preuve en est qu’ils usent eux-mêmes de ce sigle loin d’en être gênés.  Guillaume Bernard a bien expliqué les méthodes de manipulation des lobbies dont le choix des mots, destiné à faire réagir l’auditeur en chien de Pavlov, est un des procédés les plus efficaces[2]. Refuser ce choix est le seul moyen de faire échec à la manipulation. Prenons l’habitude d’appeler un chat un chat. Aude de Kerros est d’accord avec moi sur le fond comme l’atteste la phrase suivante que je lui emprunte : « Le mot ‘’art’’ a aujourd’hui tous les contenus que l’on veut sauf le contenu originel du mot ». Autrement dit le prétendu art contemporain est tout ce qu’on voudra sauf de l’art. C’est exactement ce qui est signifié en le qualifiant de non-art. 

La valeur des artefacts que celui-ci nous propose est fabriquée grâce à un mécanisme très simple. Soutenu par les « inspecteurs de la création », Faust Cardinali  fait scandale à l’église Saint Sulpice. Cela fait monter sa cote. Autre exemple, tout récent : l’Etat met le Grand Palais à la disposition de Buren et finance les immenses affiches qui annoncent cette manifestation du génie des rayures. Le grand spectacle annoncé devient alors ipso facto un « événement » dont les médias se doivent de parler. Ceux qui ont acheté les gribouillages de cet anartiste emblématique voient alors leur investissement garanti et l’on repart pour un nouveau tour. C’est ce que Luc Ferry a dénoncé dans Le Figaro  du  24 Mai 2012 sous le titre « Monumenta(le) imposture ? ». 

Comment notre civilisation en est arrivée à cette déchéance ? Ayant fourni ailleurs une réponse développée à cette question[3], je me contenterai d’un survol en considérant surtout le moteur de ce mouvement, la surenchère dans la transgression qui a poussé l’art de renoncement en renoncement, de soustraction en soustraction, vers toujours moins de forme, toujours moins de sens et toujours plus d’amphigouri ; ceci suppléant cela. Depuis le début du XXe siècle, on a justifié ce qu’on voulait faire passer pour de l’art par le changement inévitable identifié à la marche en avant du progrès, le bouleversement des codes qui s’ensuit, l’avant-garde qui l’incarne, le relativisme et l’arbitraire du goût, le caractère autoréférentiel de la forme, la quatrième dimension (chez Duchamp), la nécessité d’être à la hauteur des découvertes scientifiques et des innovations techniques, l’impératif d’abandonner toute convention et toute règle pour qu’advienne l’« homme nouveau ». In fine on a prétendu qu’en tombant dans l’informe on s’élevait au sublime et maintenant on en est à prétendre que la scatologie est la manifestation la plus authentique du spirituel et du sacré, que profanation et blasphème sont l’expression d’un christianisme qui s’ignore[4]. A chacune de ces étapes était concocté un nouveau discours apologétique hétérogène aux précédents et incompatible avec eux. Rien d’étonnant, l’erreur est multiple, la vérité une. Oubliés par la plupart, ces discours finissent dans le cimetière des vieilles lunes. Le néo-chamanisme de Jean de Loisy qui reprend le mantra du « désordre », suivra le même chemin. Qui se réclame aujourd’hui de l’avant-garde,  qui se dit fidèle à la peinture pure ou  invoque l’homme nouveau ?      

Pour éloigner les conflits entre visions du monde et entre identités culturelles que l’art reflète nécessairement,  on a commencé par donner la préférence à un « art » sans contenu, puis, on s’est offert l’apparence d’un consensus en réduisant au silence les voix critiques grâce au soft power des médias. Ainsi, dans le domaine du prétendu « art contemporain », les puissances financières ont imposé le conformisme et la soumission les plus abjects de la part des intellectuels qui désirent exister, donc bénéficier d’une certaine visibilité. Qu’on ne compte pas sur la neutralité de l’Etat laïque dans un pays comme la France où des « inspecteurs de la création » discriminent  l’admissible (le non-art) et ce qui doit être exclu (l’art). Les hommes politiques qui ont autorité sur ces fonctionnaires dépendent, comme l’a révélé l’affaire Murdoch, des médias et  à leur tour ceux-ci dépendent des annonceurs, c’est-à-dire du grand capital. Or celui-ci tient à ce terrain de jeux spéculatifs et de reconnaissances réciproques qu’est le non-art. Le champ qui se découpe ainsi est en exception par rapport au « système politique moderne qui, nous dit Christophe Réveillard, privilégie […] la diversité plutôt que l’unité »[5].  C’est au contraire l’unité la plus rigoureuse sous une domination totalitaire qui prévaut dans ce secteur. Cette situation, loin de manifester la force du non-art, en trahit le néant. Ne pouvant soutenir le voisinage de l’art vivant, il l’interdit dans les musées. En revanche lui-même peut parasiter sans vergogne le palais de Versailles, le Louvre, les églises, les musées d’art classique.

Alors que les théoriciens de la gouvernance se revendiquant de Habermas mettent l’accent sur « les procédures garantissant un débat libre et argumenté », il y a un domaine où ce débat est tabou. Pourtant il porterait, au moins partiellement, sur l’utilisation des deniers publics. Quand les agents du ministère de la Création achètent à New York  des non-œuvres qualifiées  « art contemporain », ils font du prix déboursé un secret d’Etat et se dérobent à toute discussion sur les critères de leur choix. En outre, comme nous l’apprend Aude de Kerros, Jérôme Alexandre, qui dirige le département d’Art contemporain aux Bernardins, opposa une fin de non recevoir à la proposition d’un débat entre partisans et critiques de cet « l’art » préférant qu’il se déroule, c’est plus sûr, entre personnes du même avis (p 117).

L’unanimité dans les institutions qui ont présidé à la substitution du non-art à l’art, est révélatrice d’un mal qui atteint la légitimation de l’ordre établi. La démocratie et le pluralisme ont déserté une société où  l’on n’entend qu’un seul son de cloche. La faille ainsi  apparue dans  l’hégémonie idéologique des dominants est, certes, presque imperceptible pour la plupart des observateurs qui se soucient fort peu du destin de l’art et de la civilisation. L’oligarchie ferait bien pourtant de la surveiller car on ne peut en prédire l’évolution.      

 


[1] Sacré art contemporain. Evêques, Inspecteurs et Commissaires Jean-Cyrille Godefroy éditeur, sans lieu, 2012.

 

[2] Dans son chapitre sur les communautarismes de l’ouvrage collectif La guerre civile perpétuelle. Aux origines modernes de la dissociété, Artège éditeur, Perpignan 2012 p 176.

[3] Dans ma contribution intitulée « La grande usurpation ou comment le non-art fut substitué à l’art» in Art ou mystification huit essais, ouvrage bilingue (russe français), Rouskyi Mir Editeur, Moscou 2012.

[4] L’Eglise est sommée de donner sa bénédiction à ce genre de manifestations, puisque selon Jean de Loisy le blasphème  « est une relation avec le divin ».

[5] In La guerre civile perpétuelle, op cit p 77.

04/06/2012

Vers et poésie

 

Le modernisme n’a pas privé la seule peinture de l’essentiel de ses pouvoirs, ouvrant ainsi la voie au non-art pur et simple. Dans d’autres disciplines artistiques, un certain dépérissement est également perceptible quoique infiniment moins marqué. En relisant Athalie j’ai réfléchi sur la perte immense qu’a représenté l’abandon par la poésie de ses formes versifiées. Le stupide XXe siècle n’a pas compris que moins de contraintes signifie moins de ressources ; et qu’une forme (le vers), en elle-même sans valeur, peut produire de formidables effets de sens quand elle est au service d’une pensée. Considérez, entre mille autres exemples, cette stichomythie :

Athalie

[…] D’un fantôme odieux, soldats délivrez-moi.

Joad

Soldats du Dieu vivant, défendez votre roi.

Didascalie : Le fond du théâtre s’ouvre […] et les lévites armés sortent de tous côtés …

L’antithèse frappante entre « moi » et « roi » est renforcée par la rime qui, symétriquement, oppose à l’intérêt personnel du tyran aux mains sanglantes, la fonction de souveraineté impersonnelle de celui qui est l’image de Dieu, eikon basiliké, selon le titre grec de l’apologie attribuée à Charles Ier d’Angleterre. Racine n’aurait pu foudroyer la reine usurpatrice et impie de ce coup de théâtre sublime sans la régularité du vers classique.

12/04/2012

Picasso l'illusionniste

Comme l’a montré Romulo Antonio Tenès, les esquisses et pochades attribuées à Picasso (1881 – 1973) et  datées de la période 1891 – 1897 sont dues, en fait, à son père Josè Ruiz-Blasco. Plusieurs salles du musée Picasso de Barcelone présentent ainsi des œuvres du père comme étant du fils. Celui-ci n’a commencé à peindre qu’en 1903, à vingt-deux ans, ce qui est un âge normal pour débuter dans cet art. S’appuyant sur cette usurpation d’identité, et avec la complicité de nombreux marchands et conservateurs intéressés, Picasso s’est fabriqué une légende d’enfant prodige pour accréditer l’idée qu’il aurait pu devenir un grand peintre figuratif s’il ne s’était volontairement écarté de cette voie.

On a invoqué le charme de certaines peintures de jeunesse (presque toutes inachevées) ainsi que les périodes bleues et roses. Se pourrait-il que Picasso ait eu un talent réel ? C’est bien possible mais pour élaborer, en partant de cette base, une œuvre authentiquement picturale (et pas seulement des dessins colorés) il aurait fallu beaucoup de travail sur chaque toile en particulier. Préférant un raccourci vers la célébrité, notre prestidigitateur a choisi la répétition par myriades de prétendus gestes créateurs mimant la mythique facilitée du génie. De même à ses débuts il avait fait croire que ses fautes de dessin étaient, comme on le prétendait à propos de Cézanne, un effet de style.     

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10/10/2010

Les impostures de Jimenez

 Marc Jimenez, ai-je remarqué dans ma note du 3 octobre, continue à se réclamer des avant-gardes d’il y a un siècle. Il reste attaché aux espérances utopiques d’une modernité dont il faut dire qu’elle est si peu moderne qu’elle en est toute poussiéreuse. En fouillant dans les cendres, il exhume ici un crâne, là un fémur d’antiques bouffons qui ont cessé depuis longtemps de nous amuser. Poor Yorick, poor Duchamp !...  Il tient, cependant, à ne pas être pris pour un attardé ou un nostalgique, d’où ses efforts pour être compréhensif  vis-à-vis de l’art contemporain.  La nullité de ce dernier devrait être mise sur le compte du souci de transgression et de provocation qui serait, selon un vieux stéréotype, le propre de l’art en général.  Moyennant quoi, les innombrables productions scatologiques ou pornographiques par lesquelles nos « artistes contemporains » cherchent désespérément à nous choquer (sans y parvenir) seraient des preuves de génie. Jean Clair nous apprend qu’une exposition à New York, il y a une dizaine d’années, s’était intitulée « Abject art : Repulsion and Desire ». Jimenez est au courant. Il cite lui-même Modern Toilet Restaurant sans se rendre compte qu’il n’y a là qu’affectation et pose. Les transgressions d’autrefois se sont figées en conventions du nouvel académisme anartistique, en procédés parfaitement prévisibles. Quiconque veut bien réfléchir une seconde le sait mais beaucoup préfèrent ne pas le savoir car ils n’y ont pas intérêt. Jimenez fait partie de ces derniers. Sa posture est typique. Pour préserver l’apparence de la bonne foi, il  fait semblant de traiter le non-art comme si c’était de l’art en le soumettant au discernement du jugement esthétique. Il écartera Cloaca de Wim Devoye  comme « insolite », certes, mais « de mauvais goût » et accueillera un tableau de Rebeyrolle parce qu’il rend «présente l’angoisse du siècle ». Quant aux sculptures de Kittiwatsu Unarom, elles sont « peu ragoûtantes »; on n’en saura pas plus. L’essentiel pour Jimenez est de faire croire qu’on est toujours dans le jugement de goût dont seraient incapables ceux qui protestent contre la volonté d’imposer le non-art au public. A moins que l’intolérance de ces « râleurs et ronchonneurs patentés » ne soit une nème mise en scène de la  « Querelle des Anciens et des Modernes ».

Jimenez ferait mieux de retourner sur les bancs de l’école pour y écouter un cours sur cette fameuse « querelle ». Il apprendrait à cette occasion que les grands modernes : Boileau, Racine, Molière, La Bruyère, étaient partisans des « anciens » alors que les champions des modernes se recrutaient parmi des auteurs de seconde catégorie qui, faute de savoir le grec et le latin, ne pouvaient comparer les auteurs. Ne donnaient-iIs pas Mlle de Scudéry comme exemple de génie contemporain pouvant rivaliser avec les anciens ? Un autre moderne, plus tardif, le duc de Chesterfield, écrivait à son fils qu’il devait tenir pour un axiome que la Henriade de Voltaire était supérieure à l’Enéide et celle-ci à l’Iliade ! Est-il nécessaire de préciser que les « ronchonneurs » dont se plaint Jimenez ne sont pas assez stupides pour juger Murakami inférieur à Michel-Ange ou même à Le Brun? Dans la Querelle des anciens et des modernes, les participants comparaient ce qui est comparable ce qui n'est pas le cas quand on oppose au grand art un quasi-non-art. Jimenez le sait parfaitement, c’est pourquoi il ne s’attend pas à ce que nous autres « esprits chagrins » admirions Murakami, il nous exhorte seulement à lui accorder « un petit sourire » !