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10/12/2008

Le travail artistique

Sous le titre « On croit rêver, draguer devient un ‘‘travail’’ ! » Philippe Tesson s’indigne dans Le Mondedaté du 6 décembre 2008 de ce que la Cour d’appel de Paris a fait de la participation à une émission de télé-réalité un « travail ». Les juges avaient pourtant refusé d’accorder aux plaignants le statut d’artistes interprètes qu’ils revendiquaient. Même pas comédiens, que seraient-ils ? « Assumer la liberté de ne rien faire, jouer à se montrer, exposer au monde son insignifiance, son oisiveté, sa médiocrité, est-ce du travail ? » et ne dévalorise-t-on pas cette notion en le prétendant ? Philippe Tesson a mis le doigt sur la manifestation d’un phénomène plus répandu qu’il ne le croit. L’erreur qu’il dénonce procède d’une « logique » qui a triomphé dans un autre domaine du visuel : les arts plastiques. Accumuler un tas de charbon, déverser un tombereau d’ordures, exposer des excréments recouvrant une image de la sainte vierge est qualifié de travail par des charlatans et les séides du pouvoir, les fameux « inspecteurs de la création » du ministère de la culture. Buren se réfère à ses rayures en usant de ce mot, qui s’applique à tous les objets du non-art contemporain tels les rayonnages garnis de marchandises diverses par Beuys ou Damien Hirst, les veaux entiers ou coupés en deux et plongés dans du formol de ce dernier, etc. Quelque fois il s’agit d’ailleurs bel et bien de travail comme celui du genre happening accompli dans de nombreux pays par un « artiste contemporain » subventionné par l’Etat français et consistant à balayer un espace public. Bref tout est travail comme tout est de l’art, ce qui revient à dire que rien ne l’est.

Il est clair qu’on ne peut continuer à utiliser les mots n’importe comment et qu’une sérieuse « rectification des dénominations » confucéenne s’impose si l’on veut soigner notre civilisation bien malade.    

Le travail proprement dit est le paradigme et la métaphore de toute « pratique transformatrice ». Comme les pratiques le sont toujours, l’expression est pléonastique. Pour savoir si une activité est un travail il suffit de s’interroger sur ce qu’elle transforme, avec quels moyens et en vue de quel résultat. En simplifiant, on dira que la création artistique transforme les formes et produit des beautés nouvelles. Ici « beautés » appartient au même champ lexical que la notion de style et doit être entendu au sens du mot « vérités » chez Alain Badiou. Cependant toutes les œuvres artistiques, seraient-elles marquantes, ne créent pas un style nouveau. Elles sont pourtant le produit d’un travail comme l’indique le mot grec ergon (œuvre). La plupart du temps, le peintre réalise seulement un spectacle nouveau en interprétant et en combinant des motifs fournis par son expérience visuelle orientée. Par exemple, le dessin d’après le modèle dont la pose et l’éclairage ont été choisis par l’artiste est déjà une « invention » au sens que ce mot avait au seizième et au dix-septième siècle. Cette pratique ne transforme pas seulement les matériaux, elle transforme aussi l’agent dont elle affine la sensibilité et accroit la virtuosité lui permettant de créer des œuvres combinant plusieurs de ces figures et d’autres motifs en un ensemble esthétiquement satisfaisant (beau). L’activité qui conduit à ce résultat mérite alors d’être qualifiée de travail. Certes, le balayeur mentionné plus haut transforme les surfaces sur lesquelles il exerce ses talents : elles sont de plus en plus propres. Mais il faut être un « inspecteur de la création » du ministère de la culture pour y voir un travail artistique.

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