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17/09/2009

L'avenir est plus ouvert qu'on ne le croit

Admettons l’hypothèse qu’une action politique légitime ne saurait, par définition, être cynique et rechercher le pouvoir pour le pouvoir. Elle doit donc s’appuyer sur des principes et servir des intérêts qui dépassent l’individu ou le groupe par trop restreint. L’aspiration au vrai, donc à l’universel, oriente vers une « morale ouverte » au sens de Bergson. Pourtant, plus on s’écarte de la particularité (qui offre l’avantage d’être mieux connue) moins on est à l’abri d’effets pervers qui conduisent à l’opposé du but poursuivi. Le destin du marxisme est un exemple frappant du glissement vers l’abîme à partir des meilleures intentions. Cette doctrine était au fond une religion de l’humanité quoique moins explicite que celle d’Auguste Comte ou de son avatar contemporain « l’homme-dieu » chez Luc Ferry. Voyons comment s’est effectué cet enchaînement fatal.

Aucune politique ne peut se passer complètement de moyens violents. Les fins qui la justifient au coup pour coup ont elles-mêmes besoin d’être justifiées par des fins supérieures. Quel est alors le fondement des fins ultimes ? Le croyant dira Dieu. Le marxiste invoquera les exigences de la lutte des classes. Mais pourquoi face à celle-ci a-t-on le devoir de prendre parti pour le prolétariat ? Parce qu’il est la classe universelle qui n’a pas d’intérêts particuliers à défendre (il ne possède rien) et dont le combat tend objectivement vers le communisme, une société sans exploitation de l’homme par l’homme, sans Etat ni rapport de domination, qui réalise la réconciliation de l’humanité avec elle-même et ignore tout conflit, tout antagonisme. On y observerait l’égalité la plus parfaite selon le principe « de chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins ». Il s’y instaurerait des rapports fraternels entre tous ce qui en ferait une sorte de Paradis : « les lendemains qui chantent » selon le mot d’un journaliste du P. C. F. Ainsi à la place de la transcendance de Dieu, le marxisme met la transcendance de l’humanité dont le prolétariat, en tant que classe universelle, est la préfiguration. En luttant pour faire advenir cette société idéale, l’homme est censé se transformer, ce qui serait à la fois l’effet de la pratique révolutionnaire et la condition de son aboutissement car la société nouvelle suppose un homme nouveau. Or la nature humaine n’est susceptible que de changements de faible amplitude. Refusant d’admettre que pour cette raison le projet communiste était voué à l’échec, ses partisans attribuèrent celui-ci à la trahison qu’il faudrait réprimer sans laisser échapper aucun suspect. L’aspiration à la liberté et à l’égalité déboucha ainsi sur la terreur et le goulag.

On le voit, les recherches d’un substitut « humaniste » de religion se sont révélées des impasses. Ce savoir nous a coûté trop cher pour en faire fi. La vigilance à cet égard s’impose d’autant plus que nous sommes à la veille de grands bouleversements. Pour les traverser, voire en tirer parti, nous aurons besoin de garde-fous. Devrons-nous les demander à la religion ? Laissons pour le moment entre parenthèse cette interrogation théologique. Il est plus urgent de justifier l’idée que je viens de sous-entendre à savoir que nous vivons à une époque charnière : celle de la fin du capitalisme.

Deux raisons peuvent être invoquées en faveur de cette prédiction. J’ai déjà touché un mot de la première dans ce blog (le 8 août 2009) et je l’expose plus en détail dans le dernier chapitre de mon livre à paraître début octobre De quoi Badiou est-il le nom ? Pour en finir avec le XXe siècle. En gros, elle revient à dire que le capitalisme est structurellement fondé sur la reproduction élargie et une expansion sans mesure. Celle-ci rencontrant aujourd’hui ses limites (puisque la terre est finie) nous passerons tôt ou tard à un mode de production et de consommation qui relèvera comme aux temps précapitalistes de la reproduction simple (sans croissance), phénomène analogue à la transition démographique et tout aussi nécessaire. Immanuel Wallerstein pense lui aussi que « le capitalisme touche à sa fin » et avance un autre argument qui se rattache sans difficulté au mien. Le capitalisme, dit-il, se nourrit du différentiel de richesse entre un centre […] et des périphéries (pas forcément géographiques) de plus en plus appauvries. A cet égard, le rattrapage économique de l’Asie de l’Est, de l’Inde, de l’Amérique latine, constitue un défi insurmontable pour ‘‘l’économie-monde’’ créée par l’Occident qui ne parvient plus à contrôler les coûts d’accumulation » (Le Monde 12-13 oct. 2008).

Il est permis de voir dans les mutations qui s’annoncent une excellente nouvelle. Le marché capitaliste et la technoscience qu’il domine sont responsables non seulement de la destruction de la biosphère mais aussi du recul de la spiritualité, de la corruption des mœurs, du déclin de l’art et de la civilisation. Ces processus déplorables seront inversés quand les causes dont ils dépendent auront disparu. Les agents directs de ces transformations seront les ennemis de l’ordre actuel. Ils sont nombreux et comprennent notamment les non-privilégiés en général, ceux qui sont attachés aux valeurs éternelles, les amoureux brimés de l’art. Je terminerai avec une citation d’un auteur athée qui retrouve l’esprit du Magnificat de la sainte Vierge : « Il a renversé les puissants de leur trône pour élever les petits ». Voici cette citation qui figure dans une méditation sur la naissance obscure du christianisme : « Toutes les puissances de la terre grandissent dans l’opprobre. Que les dominateurs regardent à leurs pieds, qu’ils cherchent parmi les peuples qu’ils oppriment et les doctrines qu’ils méprisent : c’est de là que sortira la force qui doit les abattre » (Anatole France : Sur la pierre blanche).

17:48 Publié dans Société | Lien permanent | Commentaires (0)

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