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16/11/2009

Alain Badiou contre les identités

Alain Badiou dont l'audience en tant que gourou fut longtemps confidentielle, devint soudain célèbre avec un pamphlet ou plutôt un libelle contre Sarkozy qu'il nomme "l'homme aux rats" imitant les invectives zoologiques qu'affectionnait le procureur de Staline Vichinsky (1). Ainsi ces dernières années a-t-il trop souvent troqué l'estrade du maître à penser contre la tribune du démagogue, voire les trétaux du bateleur du haut desquels il lance au nom de Lénine, de Staline ou de Mao Tsé-toung des attaques contre tout ce qui n'est pas immigré clandestin. Il est vrai que depuis Jean-Paul Sartre certains philosophes se drapent volontiers dans le manteau du radicalisme révolutionnaire tout comme ceux du bas empire s'affublaient du "tribon" cynique (2). Aujourd'hui, cependant, les enjeux sont autrement plus graves. Badiou s'en prend à l'Occident [qui] voudrait interdire l'apparition [...] de ce qui lui fait réellement peur: un pôle de puissance hétérogène à sa domination, un "Etat voyou" comme dit Bush, qui aurait les moyens de se mesurer aux actuelles ''démocraties''", surtout si se réalise "l'alliance à venir des Etats voyous de l'extérieur e des voyous de l'intérieur". La pensée de la future chute de l'empire américain grâce à la conjonction des deux prolétariats extérieur et intérieur dont il emprunte l'idée à Toynbee fait saliver Badiou (3). Faut-il comprendre qu'il appelle de ses voeux un conflit dans lequel l'Occident, c'est-à-dire les pays de civilisation européenne de part et d'autre de l'Atlantique succomberait à la violence de ce "pôle de puissance" (l'Iran nucléarisé?) et de sa cinquième colonne à savoir les musulmans immigrés? La haine que voue Badiou à l'Occident est telle qu'en l'exhalant il ne peut s'empêcher de donner inconsciemment des arguments inespérés aux xénophobes. Dans son pamphlet déjà cité il surenchérit de racisme involontaire. "Les ouvriers de provenance étrangères, dit-il, doivent être [...] honorés en tant que tels". Dans ses phantasmes, il les voit "s'organiser comme puissance politique populaire afin que tout un chacun, fût-ce sous l'effet d'une crainte salutaire de leur force, les considère comme l'honneur de ce pays". Vous avez bien lu: le peuple de France devrait être contraint par la terreur à honorer les immigrés illégaux fraîchement débarqués qui sont, comme dit le mot d'ordre de Badiou, "d'ici puisqu'ils sont ici". 

Son amour éperdu pour tout ce qui n'est pas français lui inspire des accents d'un lyrisme quasi-raciste. Je cite: "La masse des ouvriers étrangers et de leurs enfants témoignent dans nos vieux pays fatigués, de la jeunesse du monde, [qu'ils] nous apprennent à devenir étrangers à nous-mêmes, [...] assez pour ne plus être captifs de cette longue histoire occidentale et blanche qui s'achève, et dont nous n'avons plus rien à attendre que la stérilité et la guerre" (4). Les immigrés, eux, savent ce qu'ils font quand ils affluent, souvent au péril de leur vie, dans de "vieux pays fatigués" au lieu de rester dans de jeunes pays dynamiques, où règne, comme chacun sait, la paix et la créativité.

Pour Badiou, les différences entre groupes humains n'ont d'importance que lorsqu'il s'agit de dévaluer les pays de vieille civilisation, les occidentaux et les blancs. Dans tous les autres cas, elles "n'ont aucun intérêt pour la pensée". La multiplicité de l'espèce humaine, dit-il, "est tout aussi flagrante entre moi et mon cousin de Lyon qu'entre la ''communauté'' chiite d'Irak et les gras cow-boys du Texas" (5). Ainsi la langue, la religion, une histoire multiséculaire, les traditions, les coutumes, la culture (au sens français du mot), voire éventuellement le type physique ou la couleur sur lesquels insiste lourdement notre philosophe, tout cela qui forme une identité serait nul et non avenu. Pourtant un groupe (une nation par exemple) y tient par dessus tout et en outre c'est dans cette particularité que s'enracine la valeur universelle de sa contribution au patrimoine spirituel de l'humanité. Mais pour Badiou au lieu d'attacher de l'importance à "la prédication éthique sur "l'autre" et sa "reconnaissance", on doit plutôt s'interroger sur la prise en considération de ce qui fait que tous les hommes sont les mêmes. Or cet "autre" veut obstinément rester tel. Beaucoup d'immigrés refusent de s'assimiler, beaucoup de Français refusent de ressembler à des immigrés. Badiou confond le brouet insipide d'un cosmopolitisme stérile, dans lequel se diluent toutes les cultures, avec l'idéal moral de l'universalisme. Seuls les demi-savants opposent celui-ci au sentiment de l'identité nationale entendue comme il convient. 

 

(1) Les accusés des procès de Moscou étaient selon Vichinsky "des rats visqueux et des vipères lubriques"

(2) Tribon, vêtement grossier qu'affectaient de porter les philosophes cyniques.

(3) Selon Toynbee l'empire romain s'est effrité sous les coups d'un prolétariat intérieur (les esclaves et les pauvres) et d'un prolétariat extérieur (les barbares).

(4) Toutes les citations qui précèdent sont tirées de la brochure de Badiou De quoi Sarkozy est-il le nom?

(5) Cette citation et celles qui suivent proviennent du livre de Badiou L'Ethique.

 

Le contenu de la note ci-dessus est développé dans deux passages des chapitres I et VIII de mon livre sur Badiou; voir note précédente.

11:41 Publié dans Société | Lien permanent | Commentaires (2)

Commentaires

Je vous trouve bien épicé sur la seule forme vis à vis de Badiou, pourtant charmant.

L'amitié terminée ne doit pas rendre amer de cette façon, et sur le fond de ce que vous dites de Badiou, je lirais avec intérêt votre livre.

Invoquer Vichinsky me semble pas sérieux, badiou a donné des explications là dessus, pourquoi ne pas les commenter?

De même, il faudrait commenter ce que dit Badiou de Staline au lieu de laisser entendre que Badiou a admiré ou admire un homme pareil...

Enfin je dois dire qu'en dépit de ces mauvaises augures, je vous lirai avec le souvenir du grec au style anglais que vous étiez quand à P8 vous donniez cours aux quelques studieux tard le soir.

Écrit par : lola | 25/11/2009

Chère amie,
Merci pour ce commentaire. Je ne répondrai (succintement)que sur un point. Badiou a toujours été un semi-stalinien dogmatique. Vous remarquerez que le successeur de Lénine est de loin l'auteur le plus cité dans "Théorie du sujet". Badiou a toujours approuvé (y compris dans ces livres les plus récents) la sentance de Staline déclarant que "le parti se renforce en s'épurant de ses éléments opportunistes" (op. cit. p 56). Je n'ai pas besoin d'attirer votre attention sur le sens sinistre du mot "épuration" dans ce contexte. Enfin dans "De quoi Sarkozy ..." on peut lire le passage suivant : "Du temps de Staline, il faut bien le dire, les organisations politiques ouvrières et populaires se portaient infiniment mieux et le capitalisme était moins arrogant. Il n'y a même pas de comparaison." Badiou n'est peut-être pas nostalgique du Goulag mais il regrette manifestement le règne du dictateur communiste.

Écrit par : kostas mavrakis | 06/12/2009

Les commentaires sont fermés.