Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

12/01/2010

Badiou et l'internationalisme prolétarien

Il n’y a pas de démocratie sans communauté citoyenne, qu’elle soit fondée sur l’identité nationale ou le patriotisme local des cités grecques. Or les cités en question se faisaient la guerre en permanence. Les pertes humaines n’étaient pas moins graves proportionnellement que lors de la guerre de 14. L’empire romain y mit fin au prix, à terme, d’une stérilisation de la créativité dans tous les domaines. La question à laquelle Badiou ne peut ou ne veut répondre est celle-ci : sur quoi pourrait être fondé aujourd’hui le « nous » qui rend possible la démocratie comme idéal et horizon de toute pratique politique si ce n’est sur la forme moderne de la nation? Contrairement à ce que pensent certains la mondialisation n’a nullement affaibli les Etat nationaux qui, d’une par sont les mieux à même d’assurer la paix civile (comparés aux Etats multiethniques) et d’autre part jouent un rôle dans le fonctionnement des marchés. L’intervention des grands Etats dans la gestion de la dernière crise le confirme.

Le journaliste du Nouvel Observateur fait la réflexion qu’« on n’a rien trouvé d’autre jusqu’à présent que le cadre national pour imposer la redistribution par l’impôt, la sécurité sociale et autres acquis sociaux ». En effet la solidarité nationale se manifeste notamment par les soutiens financiers accordés aux chômeurs, aux malades et aux vieux, soutiens qui vont bien au-delà des cotisations. L’Etat comble par exemple les déficits de l’assurance chômage ou de la Sécurité sociale. Il est évident que peu de Français accepteraient des payer le traitement des malades de la Nouvelle Guinée du Texas ou du Zimbambwé comme l’exige Badiou.  

Badiou s'en prend à la notion même d'identité dont la seule évocation conduirait, selon lui, au nationalisme et au chauvinisme les plus meurtiers. lui qui refuse qu'on impute le goulag à l’idée communiste met au débit du sentiment d’identité nationale l’hécatombe de la guerre de 14-18. En cela il est mauvais léniniste malgré ses proclamations de foi tonitruantes. Lénine considérait comme responsable de cette guerre non pas le nationalisme mais l’impérialisme. Or les soixante-cinq dernières années sont la période la plus pacifique de l’histoire. Ce recul spectaculaire du nombre de conflits internationaux et des victimes qu’ils ont occasionnées s’explique par le fait que l’élargissement du marché nécessaire au capitalisme a été obtenu par l’abaissement des barrières douanières et non par des conquêtes. La formation de l’Union européenne est une des modalités de cette baisse. Autrement dit, le «stade suprême du capitalisme » n’est pas l’impérialisme, comme disait Lénine, mais la mondialisation. Celle-ci rend compatible la survie de nations multiples et l’absence de conflits guerriers entre elles. La concurrence qui les oppose prend désormais la forme positive de l’émulation.

Badiou ne veut pas en entendre parler et c’est avec raison que Finkielkraut lui attribue la position suivante : pour que les Français soient « eux-mêmes, c’est-à-dire fidèles à leur vocation universelle », ils devraient « effacer tous leurs signes particuliers. Pour n’exclure personne, ils devraient faire le vide en eux, se dépouiller de toute consistance », et de citer Simone Weil disant qu’ il n’y a pas de plus hideux spectacle qu’un peuple qui n’est tenu par rien, par aucune fidélité. Badiou lui demande alors : « Fidélité à quoi ? » « Au sacre de Reims, à la Fête de la Fédération » répond Finkielkraut.  

La riposte de Badiou confirme la critique qui lui était adressée. Il proteste que lui aussi est fidèle mais c’est à une identité qui n’en est pas une puisque n’importe quel être humain dans le vaste monde pourrait et même devrait y adhérer. La tautologie qu’il reproche à son interlocuteur, Badiou la pratique avec brio. Il n’y a pas d’identité (ou alors c’est virtuellement celle de tout le monde) donc le problème de l’identité ne se pose pas.

La pensée de Badiou est tributaire de la réification commune à l’économisme libéral et au socialisme des deux derniers siècles. Sous l’emprise de l’abstraction monétaire, cette pensée privilégie le quantitatif au détriment des différences qualitatives. Son idéal est productiviste et technophile. Il fantasme l’unification planétaire par le marché, c’est-à-dire par la libre circulation des marchandises et des capitaux. L’internationalisme en est la conséquence. Badiou s’en réclame avec une inconscience abyssale. Dire, comme le Manifeste communiste, que « les prolétaires n’ont pas de patrie », c’est négliger le fait que les ouvriers sont beaucoup moins mobiles que l’argent, c’est aussi dénier la puissance du sentiment national, ignorer le lien charnel à une langue, une culture, une histoire, un pays. Un tel principe interdit de comprendre les masses et d’être compris par elles. Comment les sociaux-démocrates et les communistes auraient-ils pu empêcher les guerres mondiales alors qu’ils étaient aveugles à la question nationale et que leur idéologie leur interdisait d’analyser la réalité de ce point de vue ? Cette question est le scotome commun du marxisme et du libéralisme.

Il faut donc admettre que les ouvriers ont une patrie (le pays de leurs pères) et qu’ils n’en changent pas en modifiant leur localisation géographique. Si en outre les immigrés sont attachés à leur langue maternelle, leur religion, leurs mœurs et coutumes ancestrales (qui oserait le leur reprocher ?) il ne faut pas s’étonner qu’ils regardent d’un mauvais œil ceux de la population environnante et qu’ils veuillent s’en distinguer par des barrières symboliques. La burqua en est une. Beaucoup d’entre eux vont jusqu’à siffler la Marseillaise et brûler le drapeau tricolore quand ils en ont l’occasion. Alain Finkielkraut et moi-même qui sommes immigrés ou issus de l'immigration avons le droit d'interdire à Badiou de nous donner des leçons et de justifier des comportements qui n'ont jamais été les nôtres. Poussé dans ses retranchements, Badiou finit, en effet, par reconnaître l'execration de la France qui se manifeste parfois dans les banlieues. Que les immigrés « ne soient pas pétris d’amour pour ce pays, c’est assez compréhensible », dit-il. En fait, il s’en félicite et refuse qu’on tende la main à  ces jeunes dont le destin « serait de s’organiser dans la visée de la destruction de l’ordre établi ». Les inviter à ne pas incendier des écoles, des bibliothèques, des gymnases, des supermarchés où s’approvisionnent leurs parents serait en faire « des toutous aux ordres de la société ». Poussé par la sympathie la plus tendre, il ne veut pas qu’on « s’en prenne » au paysan qui vient d’arriver de son Sahel natal plutôt qu’à « l’oligarchie féroce de prédateurs » qui nous gouverne. Or ni Finkielkraut ni personne d’autre ne s’en prend aux immigrés jeunes ou vieux. La question n’est pas à qui on doit s’en prendre, comme feint de le croire le démagogue Badiou, mais quelle politique adopter. Si l’on tient compte de l’intérêt général, doit-on ou non favoriser l’immigration ? "Sarkozy c'est tout de même pire qu'un ouvrier malien balayeur!" s'écrie-t-il. Admettons ce qu'il présente comme une évidence à savoir que l'Africain est moins pire que le président (sans quoi nous serions taxés de racisme); en quoi cela nous empêcherait d'estimer qu'il y a suffisamment de balayeurs maliens et que la France n'a pas besoin d'en avoir plus?  Quand Badiou joue sur la corde sensible de son lecteur, quand il exploite son penchant à la charité chrétienne qui l’anime serait-il athée, il embrouille le problème. Opter pour une limitation de l’immigration n’est pas nécessairement un signe de xénophobie. Aux îles Fidji les immigrés venus de l’Inde sont devenus majoritaires ce qui ne facilite pas l’exercice de la démocratie. En nouvelle Calédonie le corps électoral a été figé pour éviter que les Kanaks indigènes ne deviennent minoritaires. Maintenir durablement la paix civile exige une homogénéité ethnique minimale du corps social. Les terribles malheurs qui ont frappé et frappent encore des pays comme l’ex-Yougoslavie, le Liban, l’Irak, l’Afghanistan, la Birmanie, le Soudan, le Rwanda, les deux Congo et beaucoup d’autres  contrées africaines devraient nous l’enseigner.

21:35 Publié dans Société | Lien permanent | Commentaires (2)

Commentaires

merci pour cette bouffée d'air qui nous change du déluge d'inepties que ce débat a suscité. manhifestement Badiou n'est pas guéri du maoisme et il est inquiétant que certains puissent encore se reconnaitre dna s ce culte de la barbarie.

votre texte me donne envie de passer plus de temps sur votre blog et je vous en remercie.

dommage qu'Alain Finkielkrauth n'ait pas Internet, cela l'aurait réconforté.

Cordialement,

Écrit par : Radical | 13/01/2010

Merci pour cet encouragement chaleureux (et cette information).

Cordialement

Kostas Mavrakis

Écrit par : Kostas Mavrakis | 14/01/2010

Les commentaires sont fermés.