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16/09/2010

Le mystère Murakami

                 Pour la première fois depuis bien longtemps, un début de contestation de l’anti-art émerge dans les médias. Evénement ou simulacre d’événement ? Cela paraît trop beau pour être vrai, le soupçon m’étreint qu’il y ait anguille sous roche. Filtrant l’information, les médias sont virtuellement les plus grands ennemis de la démocratie dès lors qu’ils se donnent le mot, et c’est souvent le cas. Reste à savoir qui serait, dans la conjoncture présente, le prescripteur d’opinion ou le chef d’orchestre clandestin. En tant que citoyen, je me dois d’être vigilant sans tomber dans la paranoïa ou donner dans la théorie du complot. Or c’est contraint par la réalité que je me pose des questions.

                L’exposition de Murakami n’est pas la première à détourner un monument du patrimoine pour qu’il serve de faire valoir au kitch clinquant chic, choc et cher d’un soi-disant artiste contemporain. Lorsque Jeff Koons fut invité par Aillagon à squatter le château de Versailles il y a deux ans, les protestations du public n’eurent qu’un minimum d’écho dans les médias. Soudain les journalistes ont des doutes sur une opération qui juxtapose à de magnifiques œuvres anciennes des objets qui seraient plus à leur place à Disneyland. Le Monde du 3 septembre rend compte sans trop de mauvaise foi des manifestations organisées par deux collectifs contre l‘exposition qui dépare Versailles. Le Figaro ironise sur la « procession royale » de personnalités invitées à l’inauguration, « ça brille de tous côtés ». Même ton dans Libération qui voit « du doré partout ad nauseam ».  Dans Le Monde du 16 septembre, Harry Bellet remercie Aillagon d’avoir mis en lumière le « grotesque » des œuvres du Japonais. Il voit un mystère dans le fait qu’une « esthétique destinée à passer le temps dans les transports en commun nippons » soit « devenu un phénomène planétaire ». Ironie car Bellet sait parfaitement comment fonctionne le marché du non-art. Je m’étonne à mon tour qu’il ait mis si longtemps à s’aviser que celui-ci  ne fait que se répéter. Il reconnaît à présent que « Le pop art en général, et Roy Lichtenstein en particulier, ont largement puisé dans l’imagerie populaire. Murakami serait donc […] un avatar japonais du pop art américain » d’il y a cinquante ans. Devant les marguerites du japonais, souriantes comme des émoticons, Bellet « se remémore cette phrase prêtée à un spectateur après la première du ballet Parade en 1917 : ‘‘ Si j’avais su que c’était aussi bête, j’aurais amené les enfants’’. On peut en faire autant à Versailles, ils adoreront. Ce qui laisse penser que les collectionneurs d’art contemporain sont de grands enfants. François Pinault, en tout cas, fan de Murakami et heureux propriétaire de deux œuvres sexuellement explicites ».comme le Lonesome Cowboy en pleine éjaculation.

                Bellet fait preuve d'une audace rare parmi ses confrères étant donné que Pinault est actionnaire de son journal. Reste à savoir pourquoi cette soudaine lucidité ? Ceux qui sont autorisés à s'exprimer dans les médias n’ont-ils pas accepté la pyramide du Louvre, les trognons rayés de Buren au Palais royal et tant d'horreurs encore pire ? Ne craignent-il pas que Vuitton refuse à leurs quotidiens ses campagnes publicitaires ? Depuis cinquante ans, les médias ont été les complices (étrangement unanimes) de la domination totalitaire du non-art qui a systématiquement exclu l’art de tout lieu où il pourrait être visible. Comment expliquer ce qui ressemble à un revirement ?

                Je n’ai pas accès à des informations provenant des coulisses du monde de l’art. D’où mon embarras. Une seule explication me vient à l’esprit : le dernier livre de Houellebecq : La Carte et le Territoire. Jusqu’à présent, la plupart des écrivains français se taisaient parce que le respect humain les dissuadait de dire du bien de l’art contemporain et la prudence d’en dire du mal. Ainsi Pierre Michon se contentant d’indiquer lors d’un débat au Salon du livre en mars 2010 : « j’ai fait l’impasse sur l’art contemporain ». Vient Houellebecq qui a déjà manifesté son superbe mépris de la pensée politiquement correcte en confiant que le Coran est le livre le plus bête du monde. Il fait paraître un roman consacré en grande partie à démolir les opinions convenues sur le modernisme artistique sans épargner même Picasso. Or la critique est unanime à saluer dans ce livre un chef d’œuvre promis à des tirages se comptant par centaines de milliers d’exemplaires. Impossible de recourir à la conspiration du silence, tactique favorite des medias lors de toute mise en cause le non-art. Lâcher un peu de lest restait le seul moyen de conserver une crédibilité minimale. Peut-être que les choses en resteront là. Mais nous somme en guerre et dans celle-ci un petit recul se transforme parfois en débandade. Peu importe d’ailleurs car si la déconfiture du non-art n’est pas pour tout de suite, la prochaine occasion sera la bonne.

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