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03/10/2010

Marc Jimenez au secours de Murakami

Il y a quelque temps, le soudain franc-parler des journaux au sujet de Versailles, pollué, une fois de plus, par la faute d'Aillagon, m’avait plongé dans un abîme de perplexité et je m’étais perdu en conjectures. Or le bruit médiatique se prolongeant, le mystère s’épaissit. Durant soixante ans, les médias ont accordé un soutien de plus en plus exclusif au non-art y compris à son invasion du Louvre, du musée Rodin, du musée Bourdelle, etc. Qu’est-ce qui les amène à parler maintenant de ses « impasses » ? Voila que Le Monde publie deux pages consacrées au débat sous le titre, « Murakami à Versailles : audace ou sacrilège ? » J’ai envie de dire à ces messieurs : de grâce, calmez-vous. Il n’y a ni audace ni sacrilège. On peut être attaché au patrimoine sans le sacraliser. Quant à l’audace, laissez-nous rire. Depuis un siècle, le prétendu art contemporain a épuisé toutes ses marges en termes de transgression, de provocation et de choc. En quoi consisterait l’audace du clown Japonais quand il s’installe après Koons dans les mêmes lieux avec le même genre de vulgarité kitsch ?

Cependant, même si pour le moment je n’ai pas de réponse aux questions que je me pose, je ne vais pas bouder mon plaisir. C’en est un de lire la mise à nu du non-art par Marc Fumaroli et Jean Clair, mais c’est un vrai délice de savourer les apologies des avant-gardistes attardés, voire moisis, qui traînent encore alors que depuis 1975 se réclamer de l’avant-garde est complètement passé de mode. Je pense surtout à Marc Jimenez, disciple d’Adorno en voie de fossilisation. Admirez la pertinence de ses arguments et comment il soulève une pierre pour se la laisser retomber sur les pieds. Il commence son article dans Le Monde du 2 octobre en semblant croire que le débat porte sur le beau et le laid. Versailles serait-il trop beau ou trop laid pour accueillir Kaïkaï et Kiki ? Eclairons sa lanterne. Ce qu’on appelle « art contemporain » est généralement conceptuel et relève donc du non-art. En tant que tel, il n’est justiciable d’aucun jugement esthétique ni positif ni négatif (lire sur ce point ma note du 23 septembre). D’ailleurs il faut être relativiste pour considérer comme indécidable la question du beau et du laid. C'est ce que fait Jimenez et cela le  condamne logiquement au silence en matière d’art[1]. Murakami et Koons ne sont pas des anartistes. Certains trouvent jolis les produits de leurs fabriques. Je ne les contredirai pas. Il se trouve qu’il en faut infiniment plus pour procurer une émotion esthétique et que ces objets seraient plus à leur place à Disneyland. Jimenez défend mollement Murakami mais trouve que « l’éphémère sacrilège versaillais ne porte guère à conséquence ». Il prouve ainsi qu’il n’a rien compris au problème. C’est le phénomène global dont cette exposition est un élément qui tire à conséquence, à savoir la substitution du non-art et des jouets jolis mais insignifiants à la peinture et à la sculpture héritières de notre grande tradition européenne.

Or Jimenez ne s’oppose pas au non-art, qui interdit l’art en occupant sa place. La preuve en est qu’il justifie les colonnes de Buren. Il est vrai que son argument est étrange et ressemble au pavé de l’ours. Ces trognons rayés ne seraient pas pires que les bagnoles qui souillaient autrefois le même espace. Paralysé de la jugeote, l’idée ne lui traverse pas l’esprit que les voitures auraient pu être interdites.

Jimenez dénonce « les poncifs parfois franchement réactionnaires » de ceux qui ont critiqué l’exposition de Murakami. Ils s’en prendraient à lui parce qu’il est étranger. Leurs motifs seraient la « xénophobie et le racisme », à quoi s’ajouterait une bonne dose « de crispation puritaine ». Toujours très intelligent, il ne se rend pas compte que la reductio ad hitlerum est une ficelle complètement usée. On éprouve une certaine gêne à lui signaler que les poncifs progressistes et le politiquement correct ne valent pas mieux que les poncifs réactionnaires. Les uns et les autres sont condamnables en tant que poncifs. Il ferait mieux de ne pas s’ériger en gardien des valeurs progressistes. Elles ne sont pas plus indiscutables que les valeurs esthétiques.  

P. S. Dans ma prochaine note j'expliquerai en quel sens Aillagon pourrait être accusé (en tout cas moralement) de prise illégale d'intérêt et de prévarication.

(à suivre)



[1] On trouvera la démonstration de ce point dans le chapitre XII de mon livre Pour l’Art. Eclipse et renouveau intitulé « Les conditions de possibilité de tout discours sur l’art ».

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