07/12/2012
Défendre l'art pour sauver la civilisation
Dans mon livre Pour l'Art Eclipse et renouveau et mon essai La grande usurpation ou comment le non-art fut substitué à l'art qui figure dans le recueil bilingue (russe / français) Art ou mystification[1] je ne critique pas l’art contemporain mais le discours qui en fait l’apologie. Critiquer cet art prétendu reviendrait à le justifier en admettant qu’il relève d’une critique artistique. Or l’art est une activité créatrice de formes signifiantes et prégnantes sources de délectation esthétique. Ceux qui se disent « artistes contemporains » prennent le contrepied de cette définition et ne s’en cachent pas. De leur propre aveu ce sont des anartistes et ce qu’ils font est du non-art n’ayant rien de commun avec l’art. S’ils tiennent à passer pour des créateurs c’est pour mieux supplanter ceux qui le sont vraiment. Ils se livrent ainsi, avec l’aide de l’Etat et de la finance à une usurpation d’identité qui vise à mettre le non-art à la place de l’art notamment dans l’enseignement et les musées. Comment en est-on arrivé là ? Le non-art est l’aboutissement d’un processus qui remonte aux débuts de la révolution industrielle. Il s’explique par des tendances lourdes du devenir de notre société : réification, autrement dit règne de l’abstraction monétaire, de l’équivalent général qui rend tout équivalent. Le non-art est à la portée de tous comme le proclament ses représentants (Beuys, par exemples), c’est ce qu’il y a de plus universel et de plus congruent à la mondialisation. Ajoutons à cela l’autonomisation des instances sociales et la doctrine de l’art pour l’art, puis du purisme et de la non-figuration qui en découlent. Tels sont les phénomènes qui ont déterminé cette histoire d’une descente aux enfers. Notre mode de production détruit la planète, quoi d’étonnant à ce qu’il détruise la civilisation dont l’art est la principale composante ?
Au début du vingtième siècle ce qui était un lent déclin devient un glissement de terrain catastrophique sous l’action du snobisme et de la spéculation. Le point zéro est atteint quand disparaît après 1965 toute considération esthétique et que les pouvoirs du talent ne sont plus requis. Le critique du Time, Robert Hughes, disait que Jeff Koons serait « incapable de graver ses initiales sur un arbre ». On sait d’ailleurs que Koons fait réaliser se « œuvres » par des artistes salariés tout comme Maurizio Catelan. Dès le lendemain de la seconde guerre mondiale on avait observé la main mise avant-gardiste sur les appareils d’Etat (écoles, musées, médias). Une bureaucratie spécialisée fut ensuite instituée au service du non-art. Elle exercera de plus en plus son emprise qui devint totale à partir de 1990 quand fut mis en place le corps des « inspecteurs de la création ». Ce personnel se reproduit par cooptation et verrouille tout car les intérêts en jeu sont désormais colossaux. Il a la haute main sur les procédures de consécration et relègue dans l’ombre les artistes véritables. Selon Duchamp ce sont les regardeurs qui font l’art. On n’en est plus là. Désormais ce sont plutôt les acheteurs (les milliardaires méga-collectionneurs et spéculateurs) qui élèvent à la dignité d’art un objet quelconque et donc sont les vrais créateurs. Ces magnats de la finance décident de tout car les médias sont leur propriété ou dépendent de leur budget publicitaire. Du coup, comme on l’a vu avec l’affaire Murdoch, les hommes politiques sont également à leur botte.
En mettant tout cela en lumière je reste cependant constructif. Sans m’abandonner à la « sinistrose » j’esquisse les grandes lignes d’une esthétique générale mais aussi d’une esthétique picturale affirmative au sens où elle propose aux artistes une voie autre : celle qui leur rendra leur pleine liberté de créateurs authentiques. Soyons prêts pour le moment ou « le monde va changer de base ».
[1] Editions Russkiy Mir, Moscou 2012. Disponible notamment à la Galerie Russkiy Mir, 7 rue de Miromesnil 75008 Paris.
16:26 Publié dans Art / Non-art, Culture, Philosophie, Société | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : duchamp, beuys, maurizio catelan, jeff koons
12/12/2011
Débat sur l'art et la société avec Oskar Freysinger
A l’invitation de Jean Robin qui dirige les éditions Tatamis et anime l’excellent site Enquête et débat, j’eus le 3 décembre 2011 une discussion philosophique passionnante sur des questions relatives à l’art, la société, l’histoire avec le dirigeant politique suisse bien connu Oskar Freysinger dont je venais de lire le petit livre débordant d’humour et d’esprit en réponse à Stéphane Hessel (Antifa aus éditions Tatamis). En me rendant au rendez-vous, je pensais rencontrer pour une conversation amicale l’homme que j’admirais pour avoir mis en rage l’oligarchie européenne et notamment Cohn Bendit, en donnant l’occasion au peuple suisse de mettre un terme par une « votation » à la multiplication des mosquées. Je ne savais pas que l’entretien serait filmé et enregistré ni quels seraient les sujets abordés. Sur ce dernier point d’ailleurs, mes interlocuteurs n’en savaient pas plus que moi. Nous avons même eu de la peine à cadrer le débat. Comme nous étions d’accord sur presque tout nous craignions qu’il se réduise à une causerie de bonne compagnie. Il s’avéra qu’il pouvait néanmoins être fort vif. Cependant improviser sur des problèmes aussi délicats et complexes est une entreprise semée d’embûches. Il m’a donc semblé utile de clarifier mes positions dans une version rédigée des propos que j’ai tenus. Pour avoir accès à la séance filmée cliquer sur google puis sur enquête & débat.
Ma prise de parti dans les conflits qui opposent les hommes aujourd’hui s’explique par mon engagement en faveur de la civilisation et de l’art. Les deux sont étroitement liés car l’art de chaque civilisation en définit l’essence. Ce que les archéologues nomment la « civilisation matérielle » (les objets, les outils, les techniques, éventuellement la science), est dissociable du monde qui l’a produite. L’Europe a emprunté à la Chine la boussole, le papier, l’imprimerie, sans pour autant s’enchinoiser. Alors que si elle en avait adopté l’architecture, la peinture, la musique, elle serait devenue un appendice périphérique de l’Empire du Milieu comme l’étaient autrefois le Vietnam et la Corée. L’Europe ne l’a pas fait parce qu’elle avait sa propre civilisation qui ne le cédait à aucune autre. Aujourd’hui les civilisations sont toutes bien mal en point à cause de l’affaiblissement de leurs fondements spirituels. Leur épanouissement suppose une religion, une hiérarchie de valeurs, une tradition. Tout cela étant battu en brèche, elles ne peuvent que dépérir. La cause est à rechercher dans l’ordre économique et social qui conserve notre patrimoine mais démolit notre héritage. Cette structure qui n’impose pas une fatalité conditionne cependant une tendance, un penchant des individus à se diriger dans un certain sens. On le voit bien dans le domaine de l’écologie. Des sociétés brillantes ont disparu parce qu’elles n’ont pu se résoudre à préserver leur environnement. Cette fois-ci la catastrophe affectera le globe entier. Les décideurs le savent mais ne veulent pas le savoir. Le souci du court terme empêche de faire ce qu’il faut pour éviter l’issue qui s’annonce et plus on tarde, plus les mesures salutaires deviennent onéreuses et moins on est disposé à payer ce prix. La super-classe mondiale (que regroupe en France « Le Siècle » et dont les représentants à l’échelle globale se réunissent à Bilderberg) est incitée par la poursuite de ses intérêts immédiats à détruire 1°à long terme la nature dont Dieu nous a confié la garde, 2° à court terme, toutes les identités culturelles. Celles-ci sont en effet perçues par les intérêts dont je parle comme susceptibles (à travers le patriotisme) de faire obstacle à la circulation sans règles ni entraves des capitaux (délocalisables et transférables), des hommes (s’installant où ils veulent sans demander la permission), des marchandises (qui font disparaître par le dumping les productions du pays). Ce qu’ils veulent, c’est une mode identique en tout lieu, un nomadisme et un mélange universel. Leur mot d’ordre est « des jeans et des macdo partout ». Encore une raison pour les représentants du très grand capital financier de promouvoir ce que j’appelle le non-art et eux l’art contemporain. Celui-ci présente pour ces messieurs plusieurs avantages. N’ayant aucun contenu, il dispense d’un bagage culturel pour s’y repérer, ne créant pas de formes, il n’exige pas un goût éduqué pour être apprécié. N’étant pas tributaire d’une civilisation particulière, il semble n’exclure personne. Bref, tous peuvent s’y reconnaître et s’en servir comme signe de reconnaissance (entre riches). L’universalisme du marché mondial appelle un art universel a priori (indépendamment de ses qualités). Rien n’étant plus universel que le rien, cet art prétendu reflète le néant de signification logé au cœur de notre monde. Il est la marchandise absolue qui, dépourvue de valeur d’usage (elle ne procure aucun plaisir esthétique) et réduite à sa valeur d’échange, ne vaut que par son prix. Le non-art est un des moyens dont se sert le capitalisme mondial financiarisé pour imposer son idéologie : le relativisme nihiliste. Ce relativisme se manifeste par l’absence de critères. Comme disait Beuys, tout homme est un artiste et donc tout est, ou pourrait être, de l’art. Récemment c’était des hardes que faisait tomber une grue dans le Grand Palais. Cela donnait un amoncellement de chiffons mais pourrait être n’importe quoi d’autre, par exemple un tas de charbon comme celui que propose à notre admiration le musée d’art contemporain de Bordeaux.
A ce point Freysinger évoque Duchamp. Je lui réponds que cette figure emblématique du dadaïsme était un ennemi déclaré de l’art, c’est pourquoi il a protesté contre la récupération dont il avait fait l’objet. Il écrivit à un ami : « Je leur ai lancé à la tête l’urinoir comme une provocation anartistique et voilà qu’ils en louent la beauté ».
A suivre
21:37 Publié dans Art / Non-art, Civilisation, Société | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : oskar freysinger, stéphane hessel, daniel cohn bendit, duchamp, beuys, non-art, jean robin, tatamis, relativisme