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18/02/2010

Badiou: un communisme de dame patronnesse

Alain Badiou se présente souvent comme le Platon ou le Socrate de notre temps. Il en est au contraire le sophiste le plus accompli car il sait nous faire prendre des vessies pour des lanternes en choisissant habilement ses mots dans le cadre d’une « novlangue » dont je proposerai le décryptage. Voici ce qu’il nous dit dans son article paru dans Le Monde du 14-15 février. La jeunesse populaire est désorientée comme toujours dans les périodes contre-révolutionnaires. De ce fait, la « séquence antérieure de la politique d’émancipation » qui, « elle, était bel et bien orientée », lui est devenue illisible, ce qui lui « interdit de trouver dans la période en question les principes aptes à remédier à ses impasses ».

On voit le chantage que le sophiste exerce sur le lecteur. Rares sont ceux qui s’avouent contre-révolutionnaires ou voudraient s’opposer à une politique d’émancipation ; et seul un obscurantiste souhaiterait qu’une période récente de notre histoire soit illisible. Mais au fait de quoi s’agit-il ? La période en question est celle de Lénine, Staline et Mao. Elle a été marquée par une oppression implacable, des dizaines de millions de morts en URSS et en Chine en relation avec la collectivisation forcée, les épurations, le goulag, le « grand bond en avant », la révolution culturelle. Broutilles que tout cela, pense Badiou. Reprocher à « l’hypothèse communiste » d’avoir « tragiquement échoué », « quelle plaisanterie ! ». En « soixante-dix ans de tâtonnements, de violences et d’impasses […], l’idée communiste n’a parcouru qu’une portion infime du temps de sa vérification ». Nous devrions donc endurer de bonne grâce pendant des siècles encore l’application de cette idée mortifère !

Les crimes de masse auxquelles je viens de faire allusion ne sont pour Badiou que « péripéties tragiques » comme le fut la terreur jacobine. Il cite à ce propos la formule de Clémenceau : « La Révolution française forme un bloc ». On devrait de même accepter en bloc le léninisme-stalinisme-maoïsme. Or on ne peut éluder la question suivante : comment peut-on appeler « séquence communiste » une période au cours de laquelle l’idée communiste n’a pas connu ne serait-ce qu’un début d’application? Quant à la « politique d’émancipation », ce qu’on a vu en Russie et en Chine, c’est le passage direct d’une oligarchie oppressive à une autre bien pire.

A noter que Badiou, attaché à son statut nouvellement conquis de gourou de l’extrême gauche sans exclusives, lance un clin d’œil en direction du NPA et autre « Lutte ouvrière » en précisant que « la séquence communiste » dont il parle « inclut toutes les nuances, du pouvoir comme de l’opposition, qui se réclamaient de la même idée » à savoir aussi bien Trotsky que Staline. Son œcuménisme ouvre les bras aux deux frères ennemis qui méritent, selon lui, l’absolution. N’a-t-il pas décrété que leurs actes sont « lisibles » et n’ont rien de « pathologique » ?

Badiou a une conception quasi-religieuse de la vérité qui, selon lui, se décide et se déclare mais ne se démontre pas. L’idée communiste, dit-il, « déclare que le principe égalitaire permet de distinguer dans toute action collective ce qui est homogène à l’hypothèse communiste et donc a une réelle valeur et ce qui la contredit, et donc nous ramène à une vision animale de l’humanité ». Il faut savoir que L’éthique de Badiou pose que quiconque n’est pas un « Immortel » porteur d’une idée (donc presque tous les hommes) est un « animal humain » à qui on peut infliger brigandage et  meurtre sans que ce soit un mal mais simple « prédation banale » (L’éthique p 91). Si vous ne rejoignez pas une action collective communiste, ce que vous faites est sans valeur, vous n’êtes pas un Immortel, juste un « animal humain ».

Pour conclure, après avoir réduit le communisme à une idée, alors que pour Marx c'était le mouvement de tranformation de l'état des choses, notre philosophe réduit la pratique révolutionnaire à une modeste « morale provisoire » dont le premier précepte est de secourir les sans-papiers. Ils sont nombreux à le faire dans le Nord-Pas-de-Calais sans avoir étudié la philosophie ni suivi les contorsions de Badiou quand il affirme que qualifier les immigrés d’étrangers serait une « imputation arbitraire » (L’éthique p 115). Ne sont-ils pas d’ici puisqu’ils sont ici ?  Ce dernier coup du maître sophiste mérite d’être salué. Mais le militant qui espérait être orienté par la perspective d'une action pour changer le monde sera déçu par la conduite de dame patronnesse qu’on lui propose.          

Beaucoup s’interrogent sur la soudaine fortune médiatique d’un philosophe qui pousse loin la provocation, notamment en attaquant la démocratie (y compris directe) et en se réclamant d’un communisme totalitaire pur et dur. Certes sur l’art et sur l’immigration, ses positions coïncident courageusement avec celles du grand capital, mais il faut chercher ailleurs la véritable explication. Badiou est un « fou du roi » idéal dont les propos ne tirent pas à conséquence.