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26/12/2012

L'effondrement inéluctable

 

Depuis le début de la révolution industrielle la partie de l’humanité qu'elle entraîna dans son sillage a vécu dans l’illusion du progrès indéfini sans se rendre compte qu’elle était en train de manger son capital. Les limites à la croissance auxquelles nous nous heurterons de plus en plus sont au nombre de trois. La première est interne au capitalisme, elle a pour nom : « baisse tendancielle du taux de profit » ; les deux autres sont universelles. Ce sont l’épuisement des ressources et la « loi des rendements décroissants ». Or contrairement aux modes de production antérieurs dont chaque cycle n’allait guère en moyenne au delà de la reproduction simple, la loi du capitalisme est la reproduction élargie. A l’instar du cycliste, notre type de société ne maintient son équilibre que par ce mouvement. Or une croissance, même faible, revêt la forme d’une courbe exponentielle. C’est pourquoi on s’accorde à dire que le capitalisme fonctionne au régime de l’illimitation. Comme nous ne disposons que d’une seule Terre, un moment viendra où il faudra revenir à la reproduction simple ce qui signifie abandonner le capitalisme. Ce n’est pas une question de choix mais de nécessité. Souvenons-nous que Némésis et Ananké sont sœurs.

Nous vivons la fin d’une ère, celle de l’énergie fossile bon marché car facile à extraire, qui a rendu possible notre glorieux capitalisme. Pendant deux siècles, le « progrès » qu’on lui attribuait  consistait en un gaspillage effréné des ressources de la Terre, considérées comme infinies et gratuites. De ce fait, on n’avait pas besoin de les ménager. Aujourd’hui, on en est venu à détruire non seulement les dernières réserves de charbon, de pétrole et de gaz mais, ce faisant, également l’air qu’on charge de gaz carbonique, la terre qu’on épuise, les cours d’eau qu’on pollue, les espèces qu’on extermine,  les océans qu’on acidifie. Les coupables sont les agents du productivisme technologique orienté vers le profit de quelques-uns et non le bien-être de tous. D’ailleurs de nombreuses enquêtes le montrent ; le niveau de satisfaction déclaré par les gens ne varie guère quelle que soit la croissance du PIB. La société de consommation, le fait d’engendrer artificiellement (par la publicité) une demande pour des marchandises que personne n’avait désiré auparavant ne saurait conduire à plus de bonheur. L’abondance factice de gadgets que les industriels s’enorgueillissent de rendre disponibles est vaine et de plus elle est obtenue en dilapidant des ressources non renouvelables. Elles manqueront aux générations futures et commencent d’ailleurs à nous manquer déjà. La désertification de l’Espagne et d’une bonne partie des Etats-Unis, le nuage noir toxique suspendu sur la Chine et L’Inde, des milliers d’autres phénomènes annonciateurs de désastres futurs nous signifient que notre mode de production se heurte désormais à ses limites[1].

Les capitalistes exploitent les travailleurs, disaient les marxistes. La critique écologique est bien plus sévère puisqu’elle prouve que les possédants sabordent le navire dans lequel nous sommes tous embarqués. Par rapport à cette catastrophe qui, loin d’appartenir à un avenir incertain, se déroule sous nos yeux, la crise financière qui a éclaté il y a quatre ans est-elle un épiphénomène?  Pour fixer les idées, voici quelques chiffres. Début 2011, la dette de l’Etat représentait 160% du PIB pour la Grèce, 120 pour l’Italie, 97 pour la Belgique, 92 pour le Portugal, 85  pour la France, 83 pour l’Allemagne, 80,1 pour l’Angleterre. Si l’on considère maintenant la dette totale comprenant la dette des entreprises et celle des ménages, nous avons ceci : 269% pour l’Espagne, 255 pour le Royaume-Uni, 240 pour les Etats-Unis, 221 pour l’Italie, 202,7 pour l’Allemagne, 199,5 pour la France[2]. Est-on sûr que les Etats-Unis pourront rembourser un jour autrement qu’en monnaie de singe ? Déjà l’opulente Californie est en faillite. La Grèce peut être renflouée mais qui renflouera les Etats-Unis ? Dans le cas des grands pays, le surendettement conduit tôt ou tard à la banqueroute sauf si l’on y fait face en actionnant la planche à billets et dans ce cas on n’est pas sûr d’échapper à l’hyperinflation. En accumulant ainsi maux sur maux, on crée les conditions de graves troubles sociaux, voire d’un effondrement de la puissance publique. On a beaucoup parlé de la crise de 1929, de l’avènement d’Hitler et de la deuxième guerre mondiale en oubliant que le surendettement de l’Etat fut à l’origine de la Révolution française.

Des difficultés financières  semblables ont été la cause de la décadence et de la chute de l’empire romain. S’il a survécu dans sa partie orientale c’est  parce que celle-ci était trois fois plus riche. Rome a pu s’emparer de la majeure partie du monde habité (l’oecumene) en finançant son effort militaire par le pillage des trésors que les monarchies hellénistiques avaient accumulés. Cette expansion s’arrêta quand l’empire atteignit ses frontières optimales, celles au-delà desquelles l’annexion de nouveaux territoires aurait coûté plus qu’elle n’aurait rapporté. C’est pour cela qu’Hadrien évacua la Mésopotamie conquise par Trajan. La pax romana tarit l’approvisionnement en esclaves, source d’énergie de l’époque, et mit fin à l’afflux d’or et d’argent qui stimulait l’activité marchande. Or l’Empire était déficitaire dans ses échanges avec l’Asie. Il importait des produits de luxe payés en numéraire, ce qui l’appauvrissait en métaux précieux (d’où les lois somptuaires). La campagne contre les Daces avait eu pour but de mettre la main sur des mines d’or mais le problème ne fut pas pour autant définitivement résolu. Ainsi s’explique le recours sous la tétrarchie à des paiements en nature. Que ce soit cependant en or ou en argent, en blé ou en sel, l’empire avait du mal à payer ses soldats et ses fonctionnaires. Pourtant ils n’étaient pas très nombreux : respectivement six cent mille et trente mille pour quarante millions d’habitants. Il faut croire que la base économique de cet ordre social était trop étriquée en occident pour entretenir l’appareil d’Etat qui le perpétuait. Les monarchies barbares étaient une solution plus économique et moins contreproductive en ce qu’elle n’aliénait pas au même degré les paysans.

Le parallèle avec notre situation s’impose. L’empire romain vivait en quelque sorte à crédit même si ses obligations étaient uniquement intérieures. Il était constamment à la recherche d’expédients pour masquer son insolvabilité, le principal consistant à payer avec des pièces de mauvais aloi. Nous, modernes, faisons à l’occasion travailler la planche à billets (c’est ce à quoi revient le « quantitative easing ») mais nous avons en outre inventé d’autres procédés comme la création ex nihilo de monnaie par le crédit, ou les richesses que conjure la spéculation.  Qui fera croire que les milliards gagnés par les uns n’ont pas été perdus par d’autres ? Que dire aussi de ce miraculeux PIB qui fait apparaître comme un revenu ce qui est en réalité une dépense et un coût ? Cependant cette fantasmagorie ne pourra pas se prolonger indéfiniment et le jour viendra où, lors d’une ultime crise plus grave que les précédentes, les comptes devront être soldés. 

Nous devrons alors changer de mode de production puisque la croissance illimitée qui appartient à l’essence du capitalisme ne peut que s’avérer aussi impossible et absurde que vaine.  Avons-nous atteint le point où dans notre économie les rendements marginaux vont en décroissant ? En ce qui concerne les énergies fossiles et l’agriculture, c’est d’ores et déjà certain[3]. Il est probable qu’il en est de même pour les autres secteurs. La crise financière mondiale est un symptôme de cette situation. Fuyant l’économie réelle aux rendements décroissants qu’il abandonnait aux Chinois, le capital anglo-saxon s’est précipité sur les profits faramineux que lui promettait l’économie irréelle, j’ai nommé la finance[4],  notamment la gestion de dettes souvent frauduleuses. Il  perdit ainsi en quelques semaines ce qu’il avait gagné en quelques années pour n’être sauvé in fine que par l’Etat honni. Celui-ci étant surendetté, il n’aura pas les moyens de renflouer la prochaine fois les joueurs de roulette. Essayons d’imaginer le cataclysme économique mondial auquel nous avons cette fois encore échappé, Ajoutons-y les calamités environnementales  que nous prépare un capital dont l’horizon temporel ne va pas au-delà d’un an.  Même si l’on ne prend en considération que les variables extrapolables, l’avenir est sinistre. A terme, énergie chère, transports plus coûteux sur des voies maritimes infestées de pirates, économie démondialisée, océan mort, continents dévastés, cela signifie Etat exsangue, incapable de remplir ses tâches essentielles : maintien de l’ordre, défense nationale, aide sociale. Un groupe quelconque le renversera sans nécessairement pouvoir lui succéder. L’anarchie qui suivra sera différente dans chaque pays mais la Somalie nous en offre un exemple depuis 1990. Tainter pense que les unités politiques composant la civilisation mondiale actuelle se désintégreront en bloc comme celles  des civilisations Mycénienne et Maya dont l’effondrement ne fut pas pour autant instantané mais s’étala sur presqu’un siècle[5]. Une telle issue est inéluctable si nous attendons que se produise la catastrophe écologique vers laquelle nous nous acheminons comme des somnambules. La question qui se pose est donc simplement celle-ci : pourrons-nous empêcher les capitalistes de détruire la planète avant que cette destruction ne les détruise eux-mêmes en tant que capitalistes ? Si la réponse est oui alors on peut envisager une transition ordonnée à un autre type de société  moins complexe, plus sobre, apte à remédier aux dégâts déjà subis par la biosphère dans un monde moins peuplé donc susceptible de couvrir durablement nos besoins.

Malheureusement, la réponse est probablement non si l’on en juge par l’efficacité des efforts déployés par les puissances de l’argent pour endormir le peuple. Ces puissances qui n’ont rien d’occulte, (tout le monde les connaît), commandent aux médias soit comme propriétaires, soit comme annonceurs. Cela leur permet d’avoir en outre barre sur les politiciens. Parmi ces derniers il y a, certes, des « verts » mais eux aussi, corruptio optimi pessima, font ce qu’ils peuvent pour anesthésier l’opinion. Heureux des quelques maroquins qu’ils ont reçus, ils ne se sont préoccupés que du cannabis à dépénaliser laissant le ministre Cuvillier et le commissaire Barnier mettre leur veto à l’interdiction par l’Europe de la pêche en eaux profondes. Seuls comptent pour lui les intérêts à court terme de quelques électeurs. Il s’agit d’une attitude typique chez les décideurs. Face aux problèmes que pose la préservation de la biosphère, c’est la vision la plus myope et le discours le plus lénifiant qui prévalent, même auprès d’une partie de l’opinion, parce qu’ils flattent un désir trop humain d’être rassuré.

 

 



[1] Les autorités américaines ont décrété l’état de catastrophe naturelle sur 60% de leur territoire. Un des climatologues les plus en vue : Richard Seager a déclaré que « le Sud-ouest américain est confronté à une sécheresse qui devient permanente » (cité par Le Monde du 19 juillet 2012). Une sécheresse qui devient permanente, cela s’appelle désertification. Les responsables sont les congressistes qui votent conformément aux injonctions du lobby antiécologique.

[2] J’emprunte ces données au livre d’Alain de Benoist Au bord du gouffre. La faillite annoncée du système de l’argent, Krisis, Paris 2011, pp 72, 73.

[3] En dix ans l’indice FAO du prix des produits alimentaires a été multiplié par deux et demi, (cf. Le Monde 14 août 2012) et le prix du baril de pétrole est passé entre juin 1998 et juin 2012 de 14 à 82 dollars, cf. Time, August 20, 2012.

[4] Entre 1975 et 2007 les profits largement fictifs générés par la finance sont passés de 11% à 30% des profits du capital. Cf. Ibidem.

[5] On sait maintenant que les cités mayas ont été abandonnées les unes après les autres au cours du neuvième siècle à cause de la déforestation des collines qui eut des conséquences fatales sur la production du maïs. Il faut savoir que les Mayas brûlaient d’énormes quantités de bois pour fabriquer le plâtre nécessaire à leurs temples et palais.