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11/09/2012

Annie Ernaux en Hérodiade

Le Monde (du 11 septembre 2012) poursuit sa campagne contre Richard Millet ce qui donne raison à celui-ci au delà de toute espérance. Cette fois, c’est Annie Ernaux qui, sans surprise, est chargée des basses œuvres. Elle réagirait ainsi à des sentiments « de colère, de dégoût et d’effroi », suivie en cela par une nombreuse cohorte principalement formée d’écrivaillons et autres plumitifs  dont l’indignation collective signale le désarroi et la déroute de la bien-pensance devant le glaive nu du poète.

Ce « vil sursaut d’hydre », Richard Millet l’a suscité non seulement en disant le vrai, par quoi il heurtait nécessairement des tabous, mais aussi en contraignant ses adversaires à mettre sur le tapis de vraies questions : est-il permis « d’extraire d’un criminel de masse sa seule ‘’dimension littéraire’’ » ? N’y a-t-il pas là quelque immoralité ? Oh sancta simplicitas ! Annie Ernaux devrait lire André Gide ou William Blake, que le premier cite souvent quand il se demande pourquoi Milton dans Le Paradis perdu est plus inspiré par Satan que par Dieu et ses anges. Millet n’est pas moins bon chrétien que Milton mais il sait que la littérature, surtout depuis le romantisme, n’est pas faite de « moraline » (Nietzsche). C’est pourquoi les écrivains (les vrais) ne sont pas bien pensant ce qui revient à dire qu’ils ne mélangent pas la morale et la politique ou, plus exactement, ne confondent pas la morale en tant qu’elle vise le bien propre de l’individu et la morale en tant qu’elle vise le bien de vastes collectivités humaines. Les deux sont légitimes mais la première doit être subordonnée à la seconde chaque fois que la question de leur hiérarchisation se pose. Cette façon de voir n’est cependant pas évidente pour un écrivain qui, par nature, pratique un individualisme méthodologique. On ne peut exiger du poète qu’il soit philosophe et pourtant il l’est à sa manière pour le meilleur comme chez Dante, Bossuet, Goethe, Millet ou pour le pire comme chez Annie Ernaux. Voyez à quel degré de confusion tombe cette dernière, quel esprit gribouille l’anime quand elle accuse Millet des crimes dont elle et ses pareils sont coupables : son texte serait, dit-elle, « porteur de menaces contre la cohésion sociale », il obéirait à « une logique d’exclusion et de guerre civile ». Mais qui menace la cohésion sociale, qui est fauteur de guerre civile si ce ne sont ceux qui ont largement ouvert la porte de l’immigration ? Les combats qui ont opposé récemment en Assam immigrés musulmans venant du Bangla-Desh et populations autochtones ne donnent-ils pas un avant goût de ce qui pourrait arriver partout dans le monde où une immigration incontrôlée crée dans le peuplement une hétérogénéité dangereuse ? Dois-je évoquer les troubles violents qui ont opposé naguère immigrés mauritaniens et natifs du Sénégal ou les problèmes qui se posent dans les îles Fidji par suite d’une immigration de masse originaire de l’Inde qui a fait des aborigènes une minorité dans leur propre pays ou encore le Kossovo où l’immigration des Albanais musulmans a réduit les Serbes au même statut? Richard Millet, de par son expérience libanaise, est bien placé pour savoir que l’hétérogénéité ethnique est un danger pour la paix sociale. Nul n’est obligé de partager le racisme implicite d’Annie Ernaux qui estime sans doute que nous sommes en France trop civilisés pour imiter les comportements des Sénégalais, Assamais, Fidjiens et tuti quanti. Notre romancière proteste qu’elle ne se sent pas menacée mais les victimes du djihadiste Mohamed Merah ne se sentaient pas menacées non plus. Constater comme le fait Richard Millet qu’à six heures du soir il est le seul blanc dans la station du RER Châtelet-les Halles, apprendre que des familles prénomment leurs enfants Rachida et Mohammed à la troisième génération de leur arrivée en France, preuve d’un refus flagrant d’assimilation, il faut, pour ne pas trouver cela préoccupant, partager la naïveté d’Annie Ernaux qui par ailleurs s’oppose  aux lois restreignant le port du voile. C’est pourtant de tels comportements qui relèvent d’une « logique d’exclusion ». Notre auteure (selon l’horrible  solécisme qu’affectionne Le Monde) n’y est pas sensible. En revanche elle tombe en convulsions quand elle voit Richard Millet considérer l’identité comme un « enjeu de la littérature ». Qu’y a-t-il de choquant à cela ? Les Grecs  voyaient dans l’Iliade et l’Odyssée la source de leur sentiment national. Homère était pour eux l’instituteur de la Grèce. Isocrate a été le premier à donner de l’identité ethnique une définition non raciale au sens où elle ne fait nulle référence à l’ascendance. « Nous appelons Grecs, a-t-il déclaré, ceux qui participent à notre païdéia (culture, instruction) ». Or cette païdéia consistait pour l’essentiel en l’étude des poèmes homériques. Alors oui la littérature a besoin d’une identité nationale forte puisant sa sève dans un héritage millénaire et inversement l’identité nationale a besoin pour se perpétuer d’une littérature vivante et florissante. Ce ne sont pas des musulmans qui pourront nous l’offrir ni même des non-musulmans qui refusent notre héritage, notamment chrétien.

Annie Ernaux ne se réclame jamais de la France, des Français, de leur langue, de leur littérature mais seulement de l’humanité. Or il n’y a pas de littérature humaine en général et l’on serait en droit de lui demander pourquoi écrit-elle en français plutôt qu’en arabe ou en espéranto ? N’a-t-elle pas peur de céder ainsi à un « partage de l’humanité » qu’elle accuse pourtant Richard Millet de vouloir « imposer » ? Elle lui reproche aussi son « mépris de l’humanité » (n’est-il pas un être humain, éprouverait-il du mépris pour lui-même ?) et sa prétendue apologie de la violence. En réalité Richard Millet constate simplement « qu’une guerre civile est en cours en Europe ». Comment pourrait-il en être autrement ? Pénétrer en Europe par centaines de milliers tous les ans contre la volonté des peuples qui l’habitent et s’y installer de force n’est-ce pas la suprême violence ? On peut déplorer un tel processus et condamner l’oligarchie qui en est responsable sans éprouver de la haine envers quiconque n’en déplaise à la dame Ernaux qui demande à Richard Millet : «Que voulez-vous ? La fermeture des frontières ? Le renvoi de tous ceux qui ne sont pas ‘’français de sang’’ ?» Je ne suis pas moi-même « français de sang » et pourtant j’approuve les positions de Richard Millet sur toute la ligne. Sans prétendre parler à sa place je suggère à titre d’hypothèse qu’il n’accepte probablement pas de se laisser enfermer dans cette alternative : ou s’incliner devant ce qui se passe ou exiger l’expulsion des dizaines de millions de personnes. Une voie médiane mais poursuivie avec résolution pourrait donner d’excellents résultats. Elle consisterait en un meilleur contrôle des frontières, une réduction des flux migratoires, leur subordination aux intérêts du pays d’accueil, moins de multiculturalisme, des mesures favorisant l’assimilation des uns et le départ des autres.

Qu’une telle modération soit compatible avec les idées de Richard Millet ne fait pas l’affaire d’Annie Ernaux. Il lui faut un ennemi caricatural afin de pouvoir se déchaîner contre lui en toute bonne conscience. C’est là que sa vraie nature se trahit. Elle invoque la démocratie et les valeurs qui la fondent mais elle en rejette explicitement la principale qui est la liberté d’opinion et d’expression. Toute à son intolérance, elle réclame la tête de son adversaire sur un plateau, qu’on le chasse, qu’on le prive de sa situation chez Gallimard. Elle confirme ainsi l’analyse de Richard Millet qui voit dans l’antiracisme une forme de terrorisme politique.