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14/01/2009

Le non-art et l'objectivité du sociologue

Pour étudier objectivement une réalité, il faut ou bien ne pas avoir de parti-pris ou en être conscient et le déclarer d’emblée. Rares sont ceux qui jouent ainsi cartes sur table en particulier quant à leur terminologie. Les mots sont souvent choisis pour manipuler le public en présentant par exemple comme évident ce qui ne l’est pas. Ce fut la fonction du terme « avant-garde » dont on connaît la fortune dans l’histoire de l’art au vingtième siècle. Il y eut des avant-gardes aussi longtemps que théoriciens et critiques ont pu les présenter comme les fourriers d’une armée conquérante qui allait instaurer une nouvelle civilisation et un nouveau style. Quand vers 1975 ce stéréotype s’est révélé une imposture à force d’être usé, les apologistes du modernisme ont dû changer de discours, non pour dire la vérité mais pour continuer à mentir avec des mots différents. Ceux qu’ils ont choisis avaient la même fonction : interdire l’art. En se servant naïvement (ou trop habilement) des syntagmes « art contemporain » ou « art actuel », la fausse sociologue et vraie propagandiste Nathalie Heinich admet implicitement et fait admettre par ses lecteurs que le non-art est de l’art et même le seul concevable à notre époque (voir Le Monde du 6 janvier 2009). Elle n'a pas simplement recours par commodité à des expressions d’usage courant. Sinon elle ne parlerait pas sans ciller de « créations majeures de l’art contemporain ».

      Fin 2006 la revue Le Débat a publié un article de Nathalie Heinich et invité quelques intellectuels à réagir, le dernier mot revenant à la "sociologue". Voici ce que j’écrivais à ce propos le 3 décembre 2006 à Marcel Gauchet :

Fidèle à son personnage et à son arrogance habituelle, la dame Heinich se classe sans façons parmi les ''doctes'' reléguant avec hauteur le malheureux Fumaroli au rang des ''mondains''. Maryvonne de Saint-Pulgent a dû apprécier, elle aussi, le paternalisme appuyé des éloges que lui décerne son interlocutrice. Celle-ci tente en vain de masquer sa qualité de « sociologue de cour » comme l’appelle Marc Fumaroli, en se targuant de son indépendance en tant que chercheur au moment même où elle sollicite de ses commanditaires habituels au ministère une énième enquête sociologique dont elle s’empresse d’ailleurs de nous donner les principales conclusions ! Ses travaux, à l’en croire, seraient scientifiques, critiques, au-dessus de la mêlée. En fait, elle est un rouage du mécanisme qui perpétue l’idéologie dominante, fondée sur des présupposés n’ayant besoin d’aucun étayage argumentatif. Situation éminemment confortable ! Les propos de Jack Lang, Nathalie Heinich e tutti quanti coulent de source dès lors qu’on accepte que l’« art contemporain » est de l’art. [...] On a envie de poser à ces messieurs-dames qui évoluent dans les parages du pouvoir une question qu’il est vital pour eux d’occulter : peut-on examiner d’un point de vue exclusivement sociologique la politique de l’Etat vis-à-vis de l’art à une époque où sa définition fait problème ? Nathalie Heinich ne veut pas savoir que ce problème est l’objet d’un débat inter doctos. Cette dénégation s’exprime dans son texte quand elle parle de « création authentique » à propos d’art contemporain. Un tas de charbon est-il une création et en quel sens pourrait-elle être authentique ? L’action publique, dit-elle, devrait « privilégier à qualité équivalente la pluralité des expressions ». Or il est par définition impossible d’apprécier une « qualité équivalente » entre l’art au sens que ce mot a toujours eu et une « pratique » conçue de façon à n’avoir rien de commun avec lui. Nathalie Heinich voudrait qu’un centre d’art puisse dire non à un acte de vandalisme se donnant comme geste créateur. Par exemple le dynamitage dudit centre ou le bris de l’urinoir de Duchamp (une copie), "chef d’œuvre" de Pinoncelli. Mais en se réclamant de Duchamp l’art contemporain ne se définit-il pas comme geste de transgression ? Qui a qualité pour lui poser des limites et selon quels critères ? Si malgré tout on admettait de telles limites (ni dynamitage, ni coups de marteau, ni installations pédophiles comme à Bordeaux) alors au nom de quoi refuserait-on les limites d’ordre esthétique propres à l’art (pas de barbouillages informes, pas d’amas de ferrailles, pas d’excréments) ?

        Nathalie Heinich disant toujours la même chose j’aurais pu m’arrêter là. Cependant il y a quelques pépites à récolter dans son dernier article. Elle reconnaît que « l’art actuel ne fait pas – et de moins en moins – consensus ». La parution des livres de Christine Sourgins, d'Aude de Kerros et du mien est sans doute pour quelque chose dans cette concession. Elle va même jusqu’à parler du « discrédit dont pâtit l’art contemporain au-delà de son propre monde », ce monde constitué de professionnels fonctionnant en vase clos. Déplorant cette situation, elle propose une série de recettes pour y remédier en mettant en valeur le « travail » des médiateurs indispensables à une époque où on ne peut se contenter de regarder ce qui est exposé (on risquerait de s’apercevoir qu’un tas de merde est un tas de merde). Ces intermédiaires sont conservateurs de musée, directeurs de centres d’art, commissaires d’exposition, galeristes, experts de salles de ventes. Pour sortir tout ce monde du ghetto il faudrait des conférences de presse, l’ouverture à tous les courants du non-art et « pas seulement aux installations, performances, vidéos et photographies, des prix annuels pour la galerie la plus dynamique ou la meilleure exposition et, bien sûr, car Nathalie Heinich ne s’oublie pas, "que le ministère de la culture commande des enquêtes sociologiques sur les intermédiaires en question."

J’espère que vous avez apprécié le comique involontaire de notre Durkheim en jupon.

Lien vers mon site : http://www.kostasmavrakis.fr/

 

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