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02/01/2010

Badiou suite : qu'est-ce une nation?

L'identité nationale est une valeur qu'un peuple tient à préserver, tout comme un individu désire persévérer dans l'être. Ce sentiment nous unit aux générations précédentes et à celles futures, donnant du sens à notre devenir historique. Nous l'éprouvons d'autant plus vivement que l'identité en question est menacée. Autrefois la menace portait sur l'intégrité territoriale du pays et en fin de compte sur l'existence même de la collectivité. La résolution de lui résister s'appelait patriotisme. Celui-ci implique l'amour du pays et la solidarité avec ses concitoyens allant jusqu'au sacrifice de soi. C'est donc une vertu et même la vertu suprême. Chez les anciens Grecs, l'idéal humain était le kalos k'agathos « beau et bon » mais l'homme bon (aner agathos) était avant tout le bon guerrier. Or pour bien se défendre, il faut être fort et l'emporter sur les autres dans la rivalité pour les territoires et les ressources. Ainsi le patriotisme engendre le nationalisme, voire le chauvinisme, mots qui souvent connotent la haine des autres mais pas nécessairement. Pendant des siècles, les Français et les Anglais se sont fait la guerre tout en pouvant nouer de bons rapports sur le plan individuel.  Aujourd'hui les nations européennes ne se sentent plus en danger. L'affaiblissement des passions nationales s'explique ainsi et beaucoup moins par les progrès de la mondialisation, c'est pourquoi on l'observe en Europe et pas ailleurs. Cependant même pacifiques les oppositions entre nations existent toujours. Elles font l'objet de négociations permanentes. La diplomatie de chaque Etat est guidée par des considérations d'intérêt national qui est à notre époque l'horizon nécessaire de toute politique. On ne saurait concevoir la démocratie sans le "nous" qui fonde un intérêt commun. L'homme d'Etat invoque nécessairement cet intérêt pour justifier ses décisions et ses adversaires en font de même pour le critiquer.     

Ce qui précède suppose une idée plus ou moins précise de la nation. J'en proposerai la définition suivante : une nation est un groupe humain qui partage à un degré ou un autre et par ordre d'importance une langue, une religion, une structure sociale et politique, une histoire et un territoire. Quand plusieurs de ces critères font défaut, la cohésion de la nation est faible, son aptitude à se doter d'un Etat  et de se regrouper sous sa juridiction douteuse et si cet Etat existe, sa pérennité n'est pas garantie. Mettons à l'épreuve de faits ces différents critères. Les Américains et les Australiens qui étaient à l'origine des Anglais sont devenus des nations différentes, avec leur propre histoire, parce qu'ils n'avaient, dès le début, ni territoire ni structure sociale communes. Les Suisses n'ayant ni langue, ni confession religieuse commune sont à peine une nation. Ils forment un Etat qui s'est maintenu de par la volonté des grandes puissances européennes assez longtemps pour créer une histoire commune. La guerre du Sonderbund au XIXe siècle fut la conséquence de leurs divisions religieuses. Le démembrement de la Yougoslavie s'explique par l'absence d'unité nationale répondant à tel ou tel critère de la définition ci-dessus ; confession religieuse et histoire pour la lutte entre Serbes et Croates, territoire et histoire pour la sécession du Monténégro etc.

En France, on se réfère souvent à la conférence prononcée par Renan en 1882. Voici comment Alain Finkielkraut en a résumé les conclusions : « Renan commence par écarter toute définition raciale de la nation [...qu'il] définit comme un principe spirituel, une âme [....] composée de deux éléments : un riche legs de souvenirs, un héritage de gloire et de regrets à partager d'une part, et de l'autre, le consentement actuel, le désir de continuer la vie commune ». Finkielkraut regrette que « la France soit aujourd'hui le théâtre d'une double crise : de l'héritage et du consentement ». Badiou lui répondit que « l'héritage du passé et le consentement, voilà des catégories totalement passives dont l'unique logique est l'impératif « famille, patrie » ». « Il y a dit-il, une division constitutive de cet héritage » entre ce qui est recevable d'un point de vu universaliste et ce qui renvoie « à l'extrême férocité des classes possédantes ». Par un de ces tours de passe-passe dont il est coutumier, Badiou feint de comprendre « héritage » comme signifiant « tout ce que des Français ont fait ». On ne peut supposer qu'il était distrait au moment où Finkielkraut parlait. Ce serait un signe inquiétant de gâtisme. Renan précise en effet « héritage de gloire et de regrets », donc divisé. Pétain ce sont les regrets, de Gaulle la gloire et ainsi de suite. Dommage que Finkielkraut n'ait pas fait cette réponse et qu'en outre il se soit trompé sur la conférence de Renan. Fixant les critères de l'appartenance nationale, celle-ci ne se distingue pas tant par l'exclusion de la race que par celle de la langue. Elle s'inscrit, en effet, dans une polémique avec Mommsen qui invoquait la communauté de langue pour affirmer la germanité de l'Alsace sans égards pour la spécificité du problème. L'attachement des Alsaciens à la France remontait à l'émancipation par la révolution française des paysans, des luthériens et des Juifs. Les Alsaciens étaient nationalement français parce qu'ils l'étaient politiquement.     

Il y a d'autres exceptions à la primauté de la langue dans la détermination de l'appartenance nationale. Sous l'empire ottoman, les nationalités (miliet) étaient classées d'après la religion. Un orthodoxe de l'île d'Hydra ou un Souliote se considéraient comme grecs même si à la maison ils parlaient albanais. Ces communautés ont nourri plusieurs héros de la guerre d'indépendance grecque comme Botsaris ou Miaoulis. Au fin fond de l'Anatolie, il y avait des villages chrétiens isolés dont les habitants avaient oublié leur langue et qui pourtant se considéraient comme grecs. On les appelait des Karamanlis. La mère du fameux armateur Aristote Onassis en était une et on peut supposer que la famille de ce nom qui a donné deux premiers ministres à la Grèce comptait un Karamanlis parmi ses ancêtres. Inutile de s'attarder sur l'exemple de l'Irlande du nord où la confession seule a longtemps déterminé de quel côté de la barricade on se tenait.

A suivre

Kostas Mavrakis

DE QUOI BADIOU EST-IL LE NOM ?

Pour en finir avec le (XXe)Siècle

 

 Editions l'Harmattan, Collection Théôria, 13 €

 COMMUNIQUE DE PRESSE

Le sous-titre de ce nouveau livre de Kostas Mavrakis fait allusion à un ouvrage intitulé Le Siècle publié en 2005 par Alain Badiou. Il s’agit d’un penseur d’envergure longtemps méconnu qu’un pamphlet contre Sarkozy a rendu célèbre. Partisan d’une violence illimitée pour peu qu’elle se pare d’oripeaux « révolutionnaires », il excuse Staline, admire Mao Tsé-toung, fait l’apologie de la révolution culturelle et réserve ses traits aux « nouveaux philosophes » qui ont dénoncé le goulag. On peut sans être injuste le qualifier de  maoïste fossile conservé dans la strate sédimentaire des années soixante.

Les ouvrages proprement philosophiques de Badiou sont difficiles car il identifie l’ontologie aux mathématiques et mobilise celles-ci pour étayer indûment toutes sortes de thèses en matière de politique, de syndicalisme ou d’amour. Cela fait que personne ne se risque à les discuter. Kostas Mavrakis, longtemps disciple et camarade de Badiou, ne s’est pas laissé intimider. Armé d’une connaissance interne de sa pensée, il soumet celle-ci à une critique sévère mais courtoise qui rend clair ce qui semblait obscur. La motivation initiale de Mavrakis était la défense de l’art mais de fil en aiguille il a découvert les failles d’un discours dont l’ambition systématique est de couvrir tout le champ du savoir : métaphysique, éthique, esthétique, épistémologie, même si Badiou ne se sert le plus souvent de ces mots qu’en forme de dénégation.

Le livre de Mavrakis sera le bienvenu pour ceux que les outrances des positions politiques de Badiou exaspèrent tout en fournissant à ses partisans inconditionnels un contrepoids et d’utiles éléments de réflexion. Chacun pourra vérifier la pertinence des critiques de l’auteur en prenant connaissance de l’annexe II, consacrée à un échange de lettres avec Badiou à propos d’un article paru il y a quelques mois qui le prenait à partie.

 Table des matières

Préambule                                                                                    

Avertissement

9

 

I.  Un rebelle autoritaire et conformiste

11

 

II.  Israël contre l’universalisme extrémiste

21

1. La polémique Éric Marty - Alain Badiou

22

2. Portées du mot « juif »

24

3. Le droit d’Israël à l’existence

27

 

III. Saint Paul et la « mort de Dieu »

33

 

IV. Qu’est-ce que l’universalisme ?

41

 

V. Badiou philosophe : quelques repères

47

1. L’Être et la Vérité

47

2. Un matérialisme dialectique cartésien ?

51

 

VI. De l’inesthétique à l’anti-esthétique

55

 

VII.  Le non-art ou la nouvelle trahison des clercs

63

1. Le snobisme théoricien

63

2. Jacques Rancière : à la recherche de l’art subversif

66

3. Le Siècle d’Alain Badiou

72

 

VIII. Vous serez comme des dieux

87

 

Annexe I. Bévues mineures d’un philosophe majeur

101

Annexe II. Un échange de lettres avec Alain Badiou

105

 

Bibliographie sommaire

117

Index Nominum

121

 

Quatrième de couverture

Badiou est le nom oxymorique d’un libéralisme autoritaire, maoïste et moderniste. Il est aussi le nom d’un philosophe non négligeable sur lequel on peut s’appuyer pour combattre les mauvaises causes dans lesquelles il s’est fourvoyé. C’est ce qu’entreprend Kostas Mavrakis en poursuivant son frère ennemi dans les domaines de la politique, de l’esthétique et de la religion. Il étudie ce faisant les grands problèmes étroitement liés entre eux qui se posent à la pensée contemporaine. Comment définir l’art et le non-art qui en tient lieu aujourd’hui ? Peut-on encore envisager une politique volontariste de civilisation permettant au peuple de prendre en main son destin ? Quel serait le rapport d’une telle politique au fondement ultime des valeurs ? En quel sens notre survie en dépend-elle ? Sur tous ces points Kostas Mavrakis ne se contente pas de réfuter méthodiquement les thèses d’Alain Badiou, il propose des voies susceptibles de nous aider à surmonter les contradictions et les apories d’une pensée emblématique du nihilisme (post)moderne.

 

Docteur en philosophie et en arts plastiques, peintre, ancien maître de conférences au département de philosophie de l’université de Paris VIII, Kostas Mavrakis fut l’animateur dans les années 70 de la revue maoïste Théorie et Politique. Il a publié des livres sur le trotskysme, la politique étrangère de la Chine, l’art et le non-art ainsi qu’une soixantaine d’articles

13:49 Publié dans Société | Lien permanent | Commentaires (0)

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