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16/10/2010

Le plaidoyer pro domo suo de Takashi Murakami

 J'ai dit ma jubilation à la lecture de Jimenez car je n’ai pas tous les jours un sparring partner (devrai-je dire un punching ball ?) aussi commode à me mettre sous la dent. Si les défenseurs de « l’art contemporain » sont tombés à ce niveau, tous les espoirs sont permis. Un moment viendra où plus personne ne prendra au sérieux des arguments aussi débiles, même pas ceux qui se servent encore de cette langue de bois dans les médias. La forteresse du non-art n’est pas plus inexpugnable que l’enceinte de Jéricho ou le mur de Berlin.

Mais si l’article de Jiménez a été pour moi source de grandes satisfactions, que dire de la tentative pathétique de Murakami lui-même pour plaider sa propre cause ![1) Le premier use de  procédés dignes de Goebbels pour discréditer ceux qui osent penser contre la doxa contemporaine. Il les accuse d’être, ne serait-ce qu’en apparence, pour « la tradition » contre « le progrès » (sic !), puis les avertit qu’ils sont à jamais exclus des médias et notamment des pages du Monde vu qu’ils refusent de célébrer le « métissage généralisé ». Il les traite enfin de xénophobes et de racistes, stigmatisation suprême destinée à leur fermer définitivement la bouche. Ainsi, sous la plume de Jimenez, le ridicule le dispute à l’odieux. Chez le Japonais, il ne reste que le ridicule. On le voit venir de loin avec ses gros sabots. L’art contemporain, dont il se considère avec raison comme un éminent représentant, serait « difficile à décrypter pour le visiteur qui n’a pas les connaissances et repères nécessaires ». Il faut croire que les aigrefins d’Andersen ont eu des disciples à Tokyo. Murakami a bien appris à faire la leçon à quiconque se montre réticent devant ses œuvres : « Ne vous inquiétez pas cher ami. Ca se soigne. Pour le moment, vous êtes décidément trop bête et ignorant mais en fréquentant des personnes raffinées comme MM. Pinault, Arnault, Aillagon, Jimenez (surtout pas Harry Bellet), vous comprendrez qu’une attitude réceptive vis-à-vis de l’art contemporain permet de distinguer les gens intelligents des autres. Les premiers sont compétents partout. Ils sont les arbitri elegantiarum modernes et peuvent en tant que ministres couper les vivres aux intermittents du spectacle et réduire drastiquement le budget de la culture. Comme hommes d’affaires, ils sont aptes à gérer un empire financier, mais aussi à décider ce qui est de l’art et ce qui ne l’est pas. Les intellectuels enfin qui gravitent autour de ces puissants personnages obéissent au doigt et à l’œil à toute sollicitation, ce qui leur permet, le cas échéant, de diriger une revue d’esthétique tout en affirmant que le beau et le laid sont indiscernables. Surtout, gardez-vous d’exprimer publiquement votre désapprobation à l’égard de ma présence à Versailles. Je me suis laissé dire par mon ami Aillagon que cette hostilité serait le symptôme d’une maladie considérée chez vous comme pernicieuse et contagieuse : « l’idéologie nationaliste ». Si vous semblez en être infecté, vous seriez mis en quarantaine.  Les arguments d’Aillagon doivent être forts car ils ont persuadé Jimenez qui dit exactement la même chose ».

 Murakami est roublard. Il joint sa voix à une campagne de diabolisation de ceux qui trouvent mauvais que le non-art supplante l’art et, comme on le lui a soufflé, leur reproche leur nationalisme (imaginaire) mais par prétérition. «N’étant pas Français, je ne me prononcerai pas sur les mérites de cette idéologie », dit-il. Il faudrait donc pour cela être Français. Murakami le pense car il sait bien que dans son pays le nationalisme est une vertu comme on s’en aperçoit chaque fois qu’il y a une tension avec la Chine. Mensonge dans l’Hexagone, vérité à l’autre bout de la terre mondialisée.

La dernière ficelle dont se sert la rhétorique de Murakami se rattache à la première. « Mon public, dit-il, n’est pas ici et maintenant, mais dans les années qui suivront ma mort ». Il s’apercevra, j’en suis sûr, que j’ai capté « quelque chose de l’essence du XXe siècle ». On a reconnu  l’argument romantique : le grand artiste est toujours en avance sur son temps, ce qui fait de lui un incompris. Ne vous pressez pourtant pas de verser une larme sur le sort de ce « poète maudit ». MM. Pinault et Arnault et d’autres spéculateurs prennent bien soin de lui. Les Japonais, eux, le tiennent pour un clown (Harry Bellet dixit).

[1] Cf. Le Monde du 2 octobre 2010

Le Mardi 19 octobre à 20h30 je prononcerai une conférence à la Maison de la Culture de Nogent-sur-Marne sur le thème: "Avons-nous encore besoin d'art?"

10/10/2010

Les impostures de Jimenez

 Marc Jimenez, ai-je remarqué dans ma note du 3 octobre, continue à se réclamer des avant-gardes d’il y a un siècle. Il reste attaché aux espérances utopiques d’une modernité dont il faut dire qu’elle est si peu moderne qu’elle en est toute poussiéreuse. En fouillant dans les cendres, il exhume ici un crâne, là un fémur d’antiques bouffons qui ont cessé depuis longtemps de nous amuser. Poor Yorick, poor Duchamp !...  Il tient, cependant, à ne pas être pris pour un attardé ou un nostalgique, d’où ses efforts pour être compréhensif  vis-à-vis de l’art contemporain.  La nullité de ce dernier devrait être mise sur le compte du souci de transgression et de provocation qui serait, selon un vieux stéréotype, le propre de l’art en général.  Moyennant quoi, les innombrables productions scatologiques ou pornographiques par lesquelles nos « artistes contemporains » cherchent désespérément à nous choquer (sans y parvenir) seraient des preuves de génie. Jean Clair nous apprend qu’une exposition à New York, il y a une dizaine d’années, s’était intitulée « Abject art : Repulsion and Desire ». Jimenez est au courant. Il cite lui-même Modern Toilet Restaurant sans se rendre compte qu’il n’y a là qu’affectation et pose. Les transgressions d’autrefois se sont figées en conventions du nouvel académisme anartistique, en procédés parfaitement prévisibles. Quiconque veut bien réfléchir une seconde le sait mais beaucoup préfèrent ne pas le savoir car ils n’y ont pas intérêt. Jimenez fait partie de ces derniers. Sa posture est typique. Pour préserver l’apparence de la bonne foi, il  fait semblant de traiter le non-art comme si c’était de l’art en le soumettant au discernement du jugement esthétique. Il écartera Cloaca de Wim Devoye  comme « insolite », certes, mais « de mauvais goût » et accueillera un tableau de Rebeyrolle parce qu’il rend «présente l’angoisse du siècle ». Quant aux sculptures de Kittiwatsu Unarom, elles sont « peu ragoûtantes »; on n’en saura pas plus. L’essentiel pour Jimenez est de faire croire qu’on est toujours dans le jugement de goût dont seraient incapables ceux qui protestent contre la volonté d’imposer le non-art au public. A moins que l’intolérance de ces « râleurs et ronchonneurs patentés » ne soit une nème mise en scène de la  « Querelle des Anciens et des Modernes ».

Jimenez ferait mieux de retourner sur les bancs de l’école pour y écouter un cours sur cette fameuse « querelle ». Il apprendrait à cette occasion que les grands modernes : Boileau, Racine, Molière, La Bruyère, étaient partisans des « anciens » alors que les champions des modernes se recrutaient parmi des auteurs de seconde catégorie qui, faute de savoir le grec et le latin, ne pouvaient comparer les auteurs. Ne donnaient-iIs pas Mlle de Scudéry comme exemple de génie contemporain pouvant rivaliser avec les anciens ? Un autre moderne, plus tardif, le duc de Chesterfield, écrivait à son fils qu’il devait tenir pour un axiome que la Henriade de Voltaire était supérieure à l’Enéide et celle-ci à l’Iliade ! Est-il nécessaire de préciser que les « ronchonneurs » dont se plaint Jimenez ne sont pas assez stupides pour juger Murakami inférieur à Michel-Ange ou même à Le Brun? Dans la Querelle des anciens et des modernes, les participants comparaient ce qui est comparable ce qui n'est pas le cas quand on oppose au grand art un quasi-non-art. Jimenez le sait parfaitement, c’est pourquoi il ne s’attend pas à ce que nous autres « esprits chagrins » admirions Murakami, il nous exhorte seulement à lui accorder « un petit sourire » !          

06/10/2010

Aillagon le Capo màfia du "complot de l'art"[1]

En exposant dans les appartements royaux et la galerie des glaces les sieurs Koons, Veilhan et Murakami, Jean-Jacques Aillagon a poussé jusqu’au zénith la cote de ces prétendu artistes  collectionnés par son  patron et ami, le milliardaire François Pinault. Ce parvenu s’est constitué une immense fortune grâce uniquement à des coups spéculatifs. En tant que méga-collectionneur d’art contemporain, il se considère comme membre d’une élite d’initiés. La réalité correspond bien peu à cette image flatteuse. Né dans une famille aisée, le jeune Pinault quitta l’école à 16 ans sans le moindre diplôme. Il est d’une ignorance crasse en histoire de l’art. Cela explique beaucoup de choses. Aillagon, conseiller culturel du groupe Artémis dont la maison mère est la Financière Pinault,  fut directeur du Palazzo Grassi à Venise, également propriété de Pinault. Le directeur actuel de ce Palazzo est Martin Béthenod ex-chef de cabinet d’Aillagon quand celui-ci était directeur du Centre Pompidou, puis délégué aux arts plastiques du ministère de la culture et commissaire de la FIAC. Ce n’est là qu’un tout petit échantillon de la république des copains et des coquins dans laquelle nous vivons. Aillagon et Béthenod sont des salariés de Pinault : comment peut-on supposer que leurs décisions en matière d’art contemporain ne sont pas influencées par les intérêts de leur employeur ?

Interpellé sur la faveur dont bénéficia Pinault de par la présence de ses poulains entre les cimaises royales, Aillagon fit l’idiot et posa la question rhétorique : «Faudrait-il ne plus organiser d’expositions pour ne plus valoriser aucun artiste et aucune œuvre ? Non évidemment !... ». Il n'est pourtant pas sans savoir que la République a construit à grands frais de nombreux lieux dédiés aux artistes  contemporains tels que le Centre Pompidou, le palais de Tokyo, etc. ?  Personne n’aurait protesté si on y avait montré des objets fabriqués par les manufactures de Koons et de Murakami. C’est précisément parce que la valeur artistique de ces choses est nulle qu’elles ont besoin d’un coup de pub offert sur un plateau par Aillagon. Inde ira. Pourquoi faut-il que l’art de toujours soit vampirisé par le non-art d’aujourd’hui ?

Pour le dire en termes doux MM. Aillagon et tutti quanti pratiquent un fâcheux mélange des genres entre leurs responsabilités à la tête d’une institution publique comme le château de Versailles et le service d’intérêts financiers. Ils se permettent de petits arrangements à la frontière de l’intérêt général  qu’ils se doivent de servir et des intérêts privés de spéculateurs en art contemporain dont ils sont les obligés. Que cela ne tombe pas sous le coup de la loi française, moins précise que celle des pays anglo-saxons sur la définition pénale du conflit d’intérêts, ne les empêche pas de frôler, du moins moralement, la forfaiture et la prévarication.

Marc Fumaroli a exposé le problème très clairement. « La clef du malaise actuel, c’est le conflit d’intérêts voilé qui affaiblit, voire efface la distinction classique entre Etat et marché, entre politique et affaires, entre service public et intérêts privés, entre serviteurs de l’Etat et collaborateurs de gens d’affaires »[2].

  



[1] « Le complot de l’art » est le titre d’un texte célèbre de Jean Baudrillard sur le prétendu « art contemporain ».

[2] Cf. Le Monde du 2 octobre 2010

03/10/2010

Marc Jimenez au secours de Murakami

Il y a quelque temps, le soudain franc-parler des journaux au sujet de Versailles, pollué, une fois de plus, par la faute d'Aillagon, m’avait plongé dans un abîme de perplexité et je m’étais perdu en conjectures. Or le bruit médiatique se prolongeant, le mystère s’épaissit. Durant soixante ans, les médias ont accordé un soutien de plus en plus exclusif au non-art y compris à son invasion du Louvre, du musée Rodin, du musée Bourdelle, etc. Qu’est-ce qui les amène à parler maintenant de ses « impasses » ? Voila que Le Monde publie deux pages consacrées au débat sous le titre, « Murakami à Versailles : audace ou sacrilège ? » J’ai envie de dire à ces messieurs : de grâce, calmez-vous. Il n’y a ni audace ni sacrilège. On peut être attaché au patrimoine sans le sacraliser. Quant à l’audace, laissez-nous rire. Depuis un siècle, le prétendu art contemporain a épuisé toutes ses marges en termes de transgression, de provocation et de choc. En quoi consisterait l’audace du clown Japonais quand il s’installe après Koons dans les mêmes lieux avec le même genre de vulgarité kitsch ?

Cependant, même si pour le moment je n’ai pas de réponse aux questions que je me pose, je ne vais pas bouder mon plaisir. C’en est un de lire la mise à nu du non-art par Marc Fumaroli et Jean Clair, mais c’est un vrai délice de savourer les apologies des avant-gardistes attardés, voire moisis, qui traînent encore alors que depuis 1975 se réclamer de l’avant-garde est complètement passé de mode. Je pense surtout à Marc Jimenez, disciple d’Adorno en voie de fossilisation. Admirez la pertinence de ses arguments et comment il soulève une pierre pour se la laisser retomber sur les pieds. Il commence son article dans Le Monde du 2 octobre en semblant croire que le débat porte sur le beau et le laid. Versailles serait-il trop beau ou trop laid pour accueillir Kaïkaï et Kiki ? Eclairons sa lanterne. Ce qu’on appelle « art contemporain » est généralement conceptuel et relève donc du non-art. En tant que tel, il n’est justiciable d’aucun jugement esthétique ni positif ni négatif (lire sur ce point ma note du 23 septembre). D’ailleurs il faut être relativiste pour considérer comme indécidable la question du beau et du laid. C'est ce que fait Jimenez et cela le  condamne logiquement au silence en matière d’art[1]. Murakami et Koons ne sont pas des anartistes. Certains trouvent jolis les produits de leurs fabriques. Je ne les contredirai pas. Il se trouve qu’il en faut infiniment plus pour procurer une émotion esthétique et que ces objets seraient plus à leur place à Disneyland. Jimenez défend mollement Murakami mais trouve que « l’éphémère sacrilège versaillais ne porte guère à conséquence ». Il prouve ainsi qu’il n’a rien compris au problème. C’est le phénomène global dont cette exposition est un élément qui tire à conséquence, à savoir la substitution du non-art et des jouets jolis mais insignifiants à la peinture et à la sculpture héritières de notre grande tradition européenne.

Or Jimenez ne s’oppose pas au non-art, qui interdit l’art en occupant sa place. La preuve en est qu’il justifie les colonnes de Buren. Il est vrai que son argument est étrange et ressemble au pavé de l’ours. Ces trognons rayés ne seraient pas pires que les bagnoles qui souillaient autrefois le même espace. Paralysé de la jugeote, l’idée ne lui traverse pas l’esprit que les voitures auraient pu être interdites.

Jimenez dénonce « les poncifs parfois franchement réactionnaires » de ceux qui ont critiqué l’exposition de Murakami. Ils s’en prendraient à lui parce qu’il est étranger. Leurs motifs seraient la « xénophobie et le racisme », à quoi s’ajouterait une bonne dose « de crispation puritaine ». Toujours très intelligent, il ne se rend pas compte que la reductio ad hitlerum est une ficelle complètement usée. On éprouve une certaine gêne à lui signaler que les poncifs progressistes et le politiquement correct ne valent pas mieux que les poncifs réactionnaires. Les uns et les autres sont condamnables en tant que poncifs. Il ferait mieux de ne pas s’ériger en gardien des valeurs progressistes. Elles ne sont pas plus indiscutables que les valeurs esthétiques.  

P. S. Dans ma prochaine note j'expliquerai en quel sens Aillagon pourrait être accusé (en tout cas moralement) de prise illégale d'intérêt et de prévarication.

(à suivre)



[1] On trouvera la démonstration de ce point dans le chapitre XII de mon livre Pour l’Art. Eclipse et renouveau intitulé « Les conditions de possibilité de tout discours sur l’art ».