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27/09/2010

Houellebecq et l'art

 Dans ma note : « Le mystère Murakami » publiée le 16 septembre, je m’interrogeais sur le soudain esprit critique dont faisaient preuve les journalistes vis-à-vis de cet anartiste japonais invité à squatter les appartements royaux de Versailles. Faute d’une meilleure explication, je supposais que le dernier livre de Houellebecq avait contribué à délier les langues. Me suis-je aventuré trop loin en attribuant à ce romancier à succès un point de vue lucide sur le non-art ? Ai-je confondu chez lui goût de la provocation et courage ? Avec un tel farceur, la prudence s’impose car il s’arrange pour qu’on ne soit jamais sûr du sens des propos ou des pensées qu’il prête à ses personnages.

Prenons le principal d’entre eux : Jed Martin, individu très ordinaire et néanmoins tout à fait singulier comme l’indique la combinaison du patronyme français le plus fréquent avec un prénom parmi les plus rares. Est-il un grand artiste ? La description de certaines de ses œuvres peut le laisser croire mais rien n’interdit non plus de penser qu’il a profité de circonstances particulières. Le hasard aurait pu tout aussi bien favoriser n’importe qui d’autre. Son galeriste s’exclame par exemple : « on en est à un point de toute façon où le succès en termes de marché [il veut dire en termes financiers] justifie et valide n’importe quoi » (p 208). Une chose est sûre : Jed Martin n’est pas très exigeant en matière de beauté. Houellebecq le laisse entendre dans le passage suivant : « Ces forteresses quadrangulaires construites dans le milieu des années 1970 en opposition absolue avec l’ensemble du paysage esthétique parisien, étaient ce que Jed préférait à Paris, de très loin, sur le plan architectural » (pp 16-17). Quand on confronte les chefs-d’œuvre dont la capitale regorge à la médiocrité des boites à chaussures qui plaisent à Jed, on peut s’interroger sur l’authenticité de sa vocation artistique. Houellebecq ne partage pas le goût de son héros, c’est pourquoi il souligne la disparate entre les cages à lapin et les immeubles haussmanniens typiques de Paris. Il oppose à ce choix celui du père de l’artiste qui dit : «Le Corbusier nous paraissait un esprit totalitaire et brutal, animé d’un goût intense pour la laideur » (p 220). Et encore : « Le Corbusier qui bâtissait inlassablement des espaces concentrationnaires, divisés en cellules identiques tout juste bonnes pour une prison modèle » (p 223).

Le fait que Jed Martin soit un peintre strictement figuratif, malgré l’incompréhension que ce choix suscite dans le milieu de l’art contemporain, devrait le recommander à nos yeux. Malheureusement, il ne comprend rien à la peinture, pas plus que Houellebecq qui admet lui-même une « évidente absence de culture picturale » (p 196-7). Le choix de la figuration que fait Jed, ne l’empêche pas de sortir une platitude comme celle-ci : « je ne parviens plus du tout à trouver d’intérêt aux natures mortes ; depuis l’invention de la photographie, je trouve que ça n’a plus aucun sens ». Parlant du portrait de Michel Houellebecq, l’auteur (qui s'est mis en scène dans son récit) loue p 185 « l’incroyable expressivité du personnage principal » (sic : y en a-t-il un autre ?). J'y vois une certaine contradiction avec ce qui est dit p 51 où il est précisé au sujet de l’artiste qu’«à Rembrandt et Velasquez il préférait largement, dès cette époque Mondrian et Klee ». Cependant, vers la fin du roman, il semble changer d’avis : « La modernité était peut-être une erreur, se dit Jed pour la première fois de sa vie. Question purement théorique d’ailleurs : la modernité était terminée en Europe occidentale depuis pas mal de temps déjà » (p 348). 

Cette posture antimoderniste est confirmée par le passage suivant où c'est Houellebecq (le personnage du roman) qui parle : "Picasso c'est laid, il peint un monde hideusement déformé parce que son âme est hideuse, et c'est tout ce qu'on peut trouver à dire de Picasso, [...] il n'y a chez lui aucune lumière, aucune innovation dans l'organisation des couleurs ou des formes, enfin [...] absolument rien qui mérite d'être signalé, juste une stupidité extrême et un barbouillage priapique ..." (p 176). Un auteur dont le jugement sur le phare de la modernité picturale est aussi sévère ne peut être entièrement mauvais.       

Pour une critique littéraire de cette oeuvre d’Houellebecq cliquer sur le lien d’Annie Mavrakis.

 

Deux informations pourraient intéresser les visiteurs de ce blog : 

Kostas et Annie Mavrakis signeront leurs ouvrages au Salon international du livre et des arts de L'Hay-les-Roses le Vendredi 1er Octobre de 14h à 19h. La manifestation se tient au Moulin de la Bièvre 73, avenue Larroumès. Station Bourg-la-Reine du RER B.

Boris Lejeune expose des peintures et des sculptures à la galerie RUSSKYI MIR du 30 septembre au 30 octobre. Vernissage le 30 sept. à 18h. 7, rue de Miromesnil 75008 Paris. Que des artistes comme Boris Lejeune existent permet de ne pas désespérer de notre époque. Avec lui on est à des années lumière des Murakami, Hirst et autres Koons! 

23/09/2010

Pour éclaircir ma démarche

                Les idées que je défends dans ce blog, en réagissant le plus souvent à des faits d’actualité, suscitent parfois perplexité voire indignation même chez des lecteurs bien disposés a priori. Je porterais des jugements de valeur subjectifs, je prônerais le retour à un  académisme faisandé, on reconnaîtrait dans ma philosophie les stigmates de la réaction.

                Examinons le premier point. Il n’est pas interdit au critique d’exprimer les sentiments qu’éveille en lui une œuvre d’art. Si néanmoins il se veut théoricien et pas seulement poète, il doit expliciter ses critères et ses présupposés. Je l’ai fait dans mon livre Pour l’Art et dans de nombreux articles. J’admets, certes, que leur lecture n’est pas toujours facile, mais ceux qui fréquentent mon blog devraient au moins prendre garde au fait que je ne formule jamais de condamnation esthétique sur le prétendu « art contemporain ». La raison en est simple : il n’est pas de l’art au sens habituel du mot, celui qui s’applique à des productions remontant à des temps immémoriaux à savoir une activité créatrice de formes signifiantes et prégnantes, source d’émotion esthétique. Prenant délibérément le contrepied, point par point, de l’art tel que je viens de le définir, le non-art contemporain doit être ainsi désigné. Du coup il ne relève pas d’un jugement esthétique ni positif (évidemment) ni non plus négatif. .

                Ceux que cet argument n’a pas convaincus prétendent qu’en excluant l’art contemporain de l’art je porterais quand même un jugement de valeur, inadmissible à une époque relativiste comme la nôtre. Cette objection tient son apparence de validité de certains usages du mot « art » dans le langage courant qui le connotent positivement. Dire d’un objet qu’il est une œuvre d’art sous-entend qu’il est beau. C’est d’un « salut l’artiste » que je reconnaîtrai l’habileté sophistique de mes contradicteurs. Ils devraient pourtant savoir que tout ce qui appartient à l’art n’est pas réussi et, parmi les œuvres  à qui on reconnaît cette qualité, rares sont celles qui la possèdent au plus haut degré. Aucun discours critique ne serait possible sans de telles distinctions. C’est pourquoi j’entends ce mot art en un sens ontologique et axiologiquement neutre. Si l’on tient cette précision présente à l’esprit, on conviendra que mes propos sur le non art sont Wertfrei, dépourvus de jugements de valeur. Non que je considère ces derniers comme illégitimes (à l’instar de Max Weber),  mais parce que je n’en ai pas besoin pour clarifier ce problème.       

                On me rétorquera enfin que ma définition n’est après tout que la mienne. Il n’en est rien car je maintiens que formulée sans doute par moi elle n’en est pas moins la seule possible. Essayez donc de la réfuter. Vous n’arriverez pas à montrer qu’elle ne  couvre pas tout le défini et rien que le défini.

                Les tenants de « l’art contemporain » sont très attachés à cette désignation antiphrastique. Elle leur permet d’occuper la place de l’art et donc de le vampiriser. Rien d’étonnant à ce qu’ils tiennent une définition de l’art pour impossible. Ils en ont peur et la fuient comme les ténèbres fuient la lumière. Sans avoir lu Spinoza, ils savent instinctivement qu’omnis definitio est negatio. La définition de l’art nie l’art contemporain comme art et en délivre le concept : non-art.

                Aude de Kerros et Christine Sourgins ont pris l’habitude de se référer à ce qu’elles considèrent elles-mêmes comme non-art en écrivant et en prononçant AC. Je ne suis pas d’accord avec cet usage. Les sigles ont la même signification que les mots complets dont ils tiennent lieu. C’est pourquoi les professionnels du prétendu art contemporain se plaisent à user pour le désigner de la même abréviation en AC comme nous l’apprennent Danièle Granet et Catherine Lamour dans leur livre Grands et petits secret du monde de l’art (p 28). Or, accepter de parler d’art contemporain, c'est d’avance tout accorder aux adversaires de l’art authentique. En revanche, le terme « non-art » permet de tracer une nette ligne de démarcation tout en étant rigoureusement exact. 

(A suivre)

19/09/2010

Arnaqueurs et arnaqués de l'art contemporain

        Un prix de l’art chinois contemporain a été fondé en 1998 par l’ancien ambassadeur de Suisse à Pékin Uli Sigg. On peut s’en étonner (n’y a-t-il pas plus près des Alpes des talents à encourager ?) mais l’explication est simple. La Chine était alors un terrain vierge pour les spéculateurs en non-art, la concurrence moindre, les rendements espérés meilleurs. On pouvait gagner beaucoup d’argent et la réputation de généreux mécène en suivant une recette simple comme bonjour : d’abord dénicher un jeune chinois taquinant le pinceau choisi aussi nul, aussi peu artiste que possible. Ensuite lui acheter son stock pour une bouchée de pain, le quidam étant inconnu et la Chine encore pauvre. Enfin lui décerner le prix. Aussitôt, sa cote s’envole et son ascension se poursuit atteignant des hauteurs stratosphériques quand le prétendu artiste est exposé à la foire de Bâle, au Centre Pompidou, au Whitney museum de New York grâce au réseau et à l’entregent de son protecteur intéressé (il n’a pas été diplomate pour rien). Le nom de son poulain : Zhou Tiehai ; sa spécialité : des bonshommes à tête de chameau sur de vieux journaux. Il est désormais répertorié dans le palmarès des cinq cent premiers anartistes mondiaux. Selon quels critères? Eh bien, selon le critère contemporain, le seul,  celui qui s’exprime en termes financiers, vous savez bien … la cote. Qu’il y ait là un cercle vicieux (très vicieux !) ne vous a pas échappé. Pourquoi les gribouillis de Zhou Tiehai se vendent-ils cher ? Parce qu’il est un grand artiste. Pourquoi est-il un grand artiste ? Parce qu’il vend cher. A l’origine de cette montée sur l’Olympe, il y eut un coup spéculatif. Puis la spéculation s’emballa en s’autoalimentant. Tous ceux qui voulaient une part de l’aubaine se pressaient au portillon. Comme cela faisait monter les prix, ceux qui n’avaient pas encore acheté avaient le sentiment d’avoir manqué une bonne affaire et se précipitaient sans hésiter davantage. Mais les arbres ne montant jamais jusqu’au ciel, les plus riches et les mieux informés des spéculateurs sauront à quel moment se débarrasser de leurs Zhou Tiehai (avant la baisse) en les vendant aux collectionneurs qui font partie de ce que Harry Bellet nomme la liste B. Ceux-ci à leur tour les revendront, sans y laisser trop de plumes s’ils sont malins, aux bonnes poires de la liste C. Les acheteurs de cette dernière liste « sont souvent des entreprises, des banques et parfois même des musées. Ils se rendent rarement compte qu’ils ont été dupés ». Ces objets sont après tout « un élément de bilan qui n’apparaît pas en négatif dans les comptes tant qu’il n’est pas liquidé à perte. Voilà vous savez tout sur l’art ! » conclut Bellet[1]. De toute façon, dans le jeu spéculatif, il y a des gagnants et des perdants. Mais il n’y a pas lieu de s’inquiéter pour ces derniers. Comme ceux qui fréquentent les casinos, ils sont cocus et contents.    



[1] Cité par Danièle Granet et Catherine Lamour dans Grands et petits secrets du monde de l’art Fayard 2010, p 85.

16/09/2010

Le mystère Murakami

                 Pour la première fois depuis bien longtemps, un début de contestation de l’anti-art émerge dans les médias. Evénement ou simulacre d’événement ? Cela paraît trop beau pour être vrai, le soupçon m’étreint qu’il y ait anguille sous roche. Filtrant l’information, les médias sont virtuellement les plus grands ennemis de la démocratie dès lors qu’ils se donnent le mot, et c’est souvent le cas. Reste à savoir qui serait, dans la conjoncture présente, le prescripteur d’opinion ou le chef d’orchestre clandestin. En tant que citoyen, je me dois d’être vigilant sans tomber dans la paranoïa ou donner dans la théorie du complot. Or c’est contraint par la réalité que je me pose des questions.

                L’exposition de Murakami n’est pas la première à détourner un monument du patrimoine pour qu’il serve de faire valoir au kitch clinquant chic, choc et cher d’un soi-disant artiste contemporain. Lorsque Jeff Koons fut invité par Aillagon à squatter le château de Versailles il y a deux ans, les protestations du public n’eurent qu’un minimum d’écho dans les médias. Soudain les journalistes ont des doutes sur une opération qui juxtapose à de magnifiques œuvres anciennes des objets qui seraient plus à leur place à Disneyland. Le Monde du 3 septembre rend compte sans trop de mauvaise foi des manifestations organisées par deux collectifs contre l‘exposition qui dépare Versailles. Le Figaro ironise sur la « procession royale » de personnalités invitées à l’inauguration, « ça brille de tous côtés ». Même ton dans Libération qui voit « du doré partout ad nauseam ».  Dans Le Monde du 16 septembre, Harry Bellet remercie Aillagon d’avoir mis en lumière le « grotesque » des œuvres du Japonais. Il voit un mystère dans le fait qu’une « esthétique destinée à passer le temps dans les transports en commun nippons » soit « devenu un phénomène planétaire ». Ironie car Bellet sait parfaitement comment fonctionne le marché du non-art. Je m’étonne à mon tour qu’il ait mis si longtemps à s’aviser que celui-ci  ne fait que se répéter. Il reconnaît à présent que « Le pop art en général, et Roy Lichtenstein en particulier, ont largement puisé dans l’imagerie populaire. Murakami serait donc […] un avatar japonais du pop art américain » d’il y a cinquante ans. Devant les marguerites du japonais, souriantes comme des émoticons, Bellet « se remémore cette phrase prêtée à un spectateur après la première du ballet Parade en 1917 : ‘‘ Si j’avais su que c’était aussi bête, j’aurais amené les enfants’’. On peut en faire autant à Versailles, ils adoreront. Ce qui laisse penser que les collectionneurs d’art contemporain sont de grands enfants. François Pinault, en tout cas, fan de Murakami et heureux propriétaire de deux œuvres sexuellement explicites ».comme le Lonesome Cowboy en pleine éjaculation.

                Bellet fait preuve d'une audace rare parmi ses confrères étant donné que Pinault est actionnaire de son journal. Reste à savoir pourquoi cette soudaine lucidité ? Ceux qui sont autorisés à s'exprimer dans les médias n’ont-ils pas accepté la pyramide du Louvre, les trognons rayés de Buren au Palais royal et tant d'horreurs encore pire ? Ne craignent-il pas que Vuitton refuse à leurs quotidiens ses campagnes publicitaires ? Depuis cinquante ans, les médias ont été les complices (étrangement unanimes) de la domination totalitaire du non-art qui a systématiquement exclu l’art de tout lieu où il pourrait être visible. Comment expliquer ce qui ressemble à un revirement ?

                Je n’ai pas accès à des informations provenant des coulisses du monde de l’art. D’où mon embarras. Une seule explication me vient à l’esprit : le dernier livre de Houellebecq : La Carte et le Territoire. Jusqu’à présent, la plupart des écrivains français se taisaient parce que le respect humain les dissuadait de dire du bien de l’art contemporain et la prudence d’en dire du mal. Ainsi Pierre Michon se contentant d’indiquer lors d’un débat au Salon du livre en mars 2010 : « j’ai fait l’impasse sur l’art contemporain ». Vient Houellebecq qui a déjà manifesté son superbe mépris de la pensée politiquement correcte en confiant que le Coran est le livre le plus bête du monde. Il fait paraître un roman consacré en grande partie à démolir les opinions convenues sur le modernisme artistique sans épargner même Picasso. Or la critique est unanime à saluer dans ce livre un chef d’œuvre promis à des tirages se comptant par centaines de milliers d’exemplaires. Impossible de recourir à la conspiration du silence, tactique favorite des medias lors de toute mise en cause le non-art. Lâcher un peu de lest restait le seul moyen de conserver une crédibilité minimale. Peut-être que les choses en resteront là. Mais nous somme en guerre et dans celle-ci un petit recul se transforme parfois en débandade. Peu importe d’ailleurs car si la déconfiture du non-art n’est pas pour tout de suite, la prochaine occasion sera la bonne.