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16/12/2008

Les deux élites

Une réflexion d'Emmanuel Todd au sujet de la politique en général s'applique parfaitement à la politique culturelle et artistique en particulier. Elle conduit à distinguer une fausse élite dominante à une véritable élite dominée :

"Le véritable drame, pour la démocratie, ne réside pas tant dans l'opposition de l'élite et de la masse, que dans la lucidité de la masse et l'aveuglement de l'élite".

Après la démocratie, Gallimard 2008, p 223

 

15:31 Publié dans Société | Lien permanent | Commentaires (0)

14/12/2008

Un exemple d’anti-art

Il y a quelque temps (le 23 septembre 2008 plus précisément) Le Monde a consacré six colonnes à une grande célébrité que vous connaissez tous, j’ai nommé … Jacques Villéglé ! Euh, quoi ? Vous n’êtes pas au courant ? Il s’agit pourtant d’un « artiste » dont les « œuvres » « réalistes » (trois mots utilisés par Le Monde) sont exposées au Centre Pompidou. Elles consistent en affiches déchirées. Vous me direz : n’importe quel voyou peut en faire autant mais vous auriez tort car cette question, qui semble couler de source, personne ne se la pose dans les hautes sphères de l’oligarchie qui nous gouverne. Or ces messieurs sont des experts patentés alors que vous ne l’êtes pas, ce qui vous oblige à la fermer. Ce Villéglé s’est fait connaître par le procédé susdit au milieu des années cinquante. Interrogé par Philippe Dagen, il déclare que lui et ses camarades lacérateurs s’étaient placés dans l’esprit des avant-gardes du début du siècle « mais en s’en différenciant par un nouveau comportement, celui qui se voit aussi bien dans les machines de Tinguely que dans les monochromes d’Yves Klein : ne plus faire de peinture ». En réalité Villeglé n’a jamais fait de la peinture, ce qui l’empêche de cesser d’en faire. Il est devenu « artiste » non par une pratique artistique mais, comme il le dit, par un comportement. Ce raccourci vers la célébrité lui avait paru le plus rapide et le moins fatigant. Notons que Tinguely, auquel notre créateur à la-va-vite se compare, a, dans un accès de franchise inhabituel, reconnu qu’il était un charlatan.       

12/12/2008

La citation du jour

Parlant du recul de la religion en France, Emmanuel Todd a ce mot: "en l'absence de sécurité métaphysique, il nous reste du moins la Sécurité sociale".

22:54 Publié dans Culture | Lien permanent | Commentaires (0)

10/12/2008

Le travail artistique

Sous le titre « On croit rêver, draguer devient un ‘‘travail’’ ! » Philippe Tesson s’indigne dans Le Mondedaté du 6 décembre 2008 de ce que la Cour d’appel de Paris a fait de la participation à une émission de télé-réalité un « travail ». Les juges avaient pourtant refusé d’accorder aux plaignants le statut d’artistes interprètes qu’ils revendiquaient. Même pas comédiens, que seraient-ils ? « Assumer la liberté de ne rien faire, jouer à se montrer, exposer au monde son insignifiance, son oisiveté, sa médiocrité, est-ce du travail ? » et ne dévalorise-t-on pas cette notion en le prétendant ? Philippe Tesson a mis le doigt sur la manifestation d’un phénomène plus répandu qu’il ne le croit. L’erreur qu’il dénonce procède d’une « logique » qui a triomphé dans un autre domaine du visuel : les arts plastiques. Accumuler un tas de charbon, déverser un tombereau d’ordures, exposer des excréments recouvrant une image de la sainte vierge est qualifié de travail par des charlatans et les séides du pouvoir, les fameux « inspecteurs de la création » du ministère de la culture. Buren se réfère à ses rayures en usant de ce mot, qui s’applique à tous les objets du non-art contemporain tels les rayonnages garnis de marchandises diverses par Beuys ou Damien Hirst, les veaux entiers ou coupés en deux et plongés dans du formol de ce dernier, etc. Quelque fois il s’agit d’ailleurs bel et bien de travail comme celui du genre happening accompli dans de nombreux pays par un « artiste contemporain » subventionné par l’Etat français et consistant à balayer un espace public. Bref tout est travail comme tout est de l’art, ce qui revient à dire que rien ne l’est.

Il est clair qu’on ne peut continuer à utiliser les mots n’importe comment et qu’une sérieuse « rectification des dénominations » confucéenne s’impose si l’on veut soigner notre civilisation bien malade.    

Le travail proprement dit est le paradigme et la métaphore de toute « pratique transformatrice ». Comme les pratiques le sont toujours, l’expression est pléonastique. Pour savoir si une activité est un travail il suffit de s’interroger sur ce qu’elle transforme, avec quels moyens et en vue de quel résultat. En simplifiant, on dira que la création artistique transforme les formes et produit des beautés nouvelles. Ici « beautés » appartient au même champ lexical que la notion de style et doit être entendu au sens du mot « vérités » chez Alain Badiou. Cependant toutes les œuvres artistiques, seraient-elles marquantes, ne créent pas un style nouveau. Elles sont pourtant le produit d’un travail comme l’indique le mot grec ergon (œuvre). La plupart du temps, le peintre réalise seulement un spectacle nouveau en interprétant et en combinant des motifs fournis par son expérience visuelle orientée. Par exemple, le dessin d’après le modèle dont la pose et l’éclairage ont été choisis par l’artiste est déjà une « invention » au sens que ce mot avait au seizième et au dix-septième siècle. Cette pratique ne transforme pas seulement les matériaux, elle transforme aussi l’agent dont elle affine la sensibilité et accroit la virtuosité lui permettant de créer des œuvres combinant plusieurs de ces figures et d’autres motifs en un ensemble esthétiquement satisfaisant (beau). L’activité qui conduit à ce résultat mérite alors d’être qualifiée de travail. Certes, le balayeur mentionné plus haut transforme les surfaces sur lesquelles il exerce ses talents : elles sont de plus en plus propres. Mais il faut être un « inspecteur de la création » du ministère de la culture pour y voir un travail artistique.