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13/05/2009

Pour conclure sur le livre de Jean-Louis Harouel

Dans ma dernière note sur Harouel j’ai fait allusion au « travail acharné » sans lequel aucun talent ne peut porter ses fruits. Des recherches psychologiques récentes menées notamment par Benjamin Bloom et K. Anders Ericsson l’ont confirmé. On trouve une synthèse de leurs conclusions dans The Talent Code de Daniel Coyle. L’opinion contraire a longtemps prévalu dans le sillage des conceptions romantiques selon lesquelles la créativité serait un don du génie, une étincelle divine qui donnerait aux élus accès à des vérités transcendantes. L’œuvre serait produite par l’inspiration. Un esprit soufflerait ses vers au poète. Edgar Allan Poe s’est inscrit en faux contre ce genre d’idées en expliquant les démarches strictement logiques qui l’avaient guidé dans la composition de son poème The Raven. Degas aussi a été très clair sur ce point. « Ce que je fais, disait-il, est le résultat de la réflexion et de l’étude des grands maîtres ; de l’inspiration, de la spontanéité, du tempérament je ne sais rien ». Pour Alain l'artiste devait être : « artisan d’abord ! ». Les modernistes voulaient oublier tout cela et n’avaient que mépris pour le « métier ». Quant à « l’art contemporain », c’est-à-dire le non-art pour l’appeler de son vrai nom, il n’exige aucun savoir faire. Harouel y voit le triomphe de la sacralisation romantique de l’art et se plaint de la toute puissance accordée à l’artiste qui lui permet d’imposer le n’importe quoi comme art. Rien n’est plus faux. Le soi-disant artiste n’en est pas un. Or l’auto-proclamation ne suffit pas Se pose alors la question qui l’a fait artiste ? La réponse est un ou plusieurs richissimes mégacollectionneurs-spéculateurs au centre de réseaux institutionnels : galeries, foires internationales, conservateurs de musées, plumitifs divers. Ce sont eux les vrais créateurs du non-art contemporain. Puisque n’importe quoi peut appartenir à cette classe d’objets, sa valeur est décidée par celui qui l’achète. Des journalistes d’investigation américains ont ainsi montré que Basquiat, par exemple avait été littéralement fabriqué par un tel réseau.

Si maintenant on veut remonter au passé pour comprendre le processus qui a conduit à la situation actuelle il faut chercher du côté d’une logique dont Harouel ne dit mot : celle de la surenchère dans la soustraction purificatrice. Les tenants de l’abstraction ne se méprenaient pas seulement sur l’essence de la peinture dont une mimésis spécifique est inséparable, ils invoquaient aussi le mouvement de l’histoire anticipé par l’avant-garde. L’art avancerait en se dépouillant de ce qui prétendument ne lui était pas propre et en se libérant ainsi de toutes les contraintes de sa pratique traditionnelle. Il progresserait par des transgressions successives dont chacune était salué comme une innovation géniale. Le critère étant la nouveauté, chaque artiste soucieux d’attirer l’attention se devait de rendre périmé l’art de la veille par une nouvelle rupture iconoclaste, autrement dit une nouvelle soustraction à ce qui constituait l’art. Sur quoi son voisin proclamait haut et fort que lui allait encore plus loin et en donnait incontinent la preuve par une initiative soit extravagante, soit surprenante à force d’être bête, ce qui la faisait paraître intelligente. Ces surenchères ne pouvaient aboutir qu’au non-art puisqu’il n’y avait rien de plus nouveau et de plus éloigné de l’art selon l’usage courant du mot.

Nous pouvons et devons déduire de cet usage une définition de l’art en général et de la peinture en particulier qui nous évitera de nous en faire une idée réductrice, comme Harouel, et de tomber dans toute sorte d’autres confusions. Voici celles que j’ai proposées dans mon livre Pour l’art. Eclipse et renouveau : « Une œuvre d’art est le produit d’une activité créatrice de formes signifiantes et prégnantes, sources de plaisir esthétique » (pp 180-181). Le mot plaisir signifie simplement que ces œuvres sont recherchées.  La peinture est tout d’abord un art au sens qu’on vient de voir. Comme tout art elle crée un monde imaginaire auquel en un sens on puisse croire. Sa spécificité consiste à s’adresser à la vue au moyen d’un langage dont les éléments sont empruntés au visible. Elle se distingue de la sculpture en disposant ses formes sur une surface sans guère d’épaisseur. Quand elle a pris pleinement son essor elle s’en distingue aussi en ne se limitant pas pour l’essentiel aux figures d’êtres vivants et en créant deux sortes d’illusions : celle de la lumière  et celle de l’espace tridimensionnel. Précisons que la mimésis est nécessaire à la peinture pour constituer son langage propre mais pas la mimésis illusionniste. Celle-ci est, certes, par elle-même source de plaisir esthétique mais en général la grande peinture (notamment d'histoire) nous offre plus que le plaisir ayant cette origine ce qui signifie qu’on peut se satisfaire dans ce cas d’une figuration moins intensément réaliste.

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