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27/07/2009

La mauvaise foi du snobisme

    Des gens intelligents, dont certains sont même sensibles à la peinture, prennent fait et cause pour le prétendu  « art contemporain » et confondent ainsi l’art et le non-art, le beau et le nul, ce qui revient en fait à intervertir le bien et le mal, le vrai et le faux. J’ai toujours été frappé par ce mystère d’iniquité. Serions-nous entrés dans un âge de ténèbres? J’incline à penser pourtant que la situation n’est pas désespérée car notre nature résiste aux effets déshumanisants du capitalisme. Face à cette aliénation, il y a, certes, ceux qui l’accueillent avec faveur et s’emploient à la justifier sous prétexte de l’expliquer mais ils ont affaire à ceux, dont je suis, qui la déplorent et voudraient rétablir un  rapport sain (non corrompu par le relativisme) au bien, au vrai, au beau. Pour obtenir ce résultat face à un ennemi qui n’est jamais là où on le vise, les arguments ne suffisent pas. Comment rendre évident le genre particulier de mauvaise foi qui lui permet de faire illusion dans ce jeu de bonneteau? J’en demanderai la preuve à ceux-là mêmes qui se font les avocats du diable poussés par l’ambition, le snobisme, l’appât du gain et d’autres motifs aussi troubles. Ils savent de quoi il retourne.

Invitée à une émission télévisuelle, Judith Benhamou fait son métier de défenseur attitré de l’art contemporain en ayant recours aux lieux communs habituels. Puisque la société a connu un changement radical par suite de l’apparition de divers gadgets technologiques, puisque les êtres humains ne sont plus des êtres humains, l’art se devait de changer lui aussi du tout au tout. Quand, cependant, le meneur du jeu lui demande quelle œuvre elle choisirait si on lui donnait les moyens de l’acquérir elle ne parla ni d’un veau dans le formol de Damien Hirst, ni de quelque rayure de Buren mais d’un Corot! Le richissime Pinault, dont la collection d’abord exposée au Palazzo Grassi et qui occupera bientôt la Dogana, n’est pas assez masochiste pour vivre entouré de ses dix-huit Koons. Les visiteurs qu’il reçoit  admirent sur les murs de ses appartements des marines hollandaises. Alain Badiou apologiste prolixe de l’avant-garde, goûtait assez ma très classique Léda (voir mon site) pour s’en dire dans une lettre le « propriétaire transcendant ». Mais l’anecdote la plus significative à cet égard, je l’ai trouvée dans le dernier livre de Marc Fumaroli. S’étant rendu à une conférence d’Arthur Danto, il l’entendit expliquer « sa théorie à grand renfort de Hegel et de Wittgenstein. Au moment des questions, un jeune homme se lève et déclare innocemment (nous sommes dans le Middle West) que tout cela est bel et bon, mais que pour lui, poète, le critère de l’œuvre d’art est le plaisir que d’emblée elle fait naître. Un instant décontenancé, le conférencier répond en grommelant : ‘‘ La question n’est pas là. Mon métier est d’expliquer ‘‘l‘Art contemporain’’, non d’exprimer mes goûts personnels. Si vous voulez savoir le mien, sachez qu’en peinture je mets Chardin au-dessus de tout’’ » (Cf. Paris-New York, Fayard 2009, pp 117-118).

Voilà qui est clair et réconfortant. Oui,  même les méchants qui assimilent, comme un ex-ministre de la culture, l’urinoir de Duchamp à la Pietà de Michel-Ange, savent faire la différence quand il s’agit de leur goût personnel. A l’abri de l’adage « de gustibus et coloribus … », ils peuvent se permettre un instant de sincérité hors la tyrannie de leur surmoi snob. On ne leur en demande pas plus.    

 

 

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13/07/2009

Les contradictions de Luc Ferry II

Dans ma note précédente sur l'opuscule de Luc Ferry Face à la crise j'ai dit que l'auteur caractérise le stade actuel du capitalisme mondialisé par l'accélération de la course à l'innovation. Ce processus est une fatalité, nous dit-il, mais nous verrons que c'est surtout notre némésis.

Luc Ferry en montre les effets dissolvents et destructeurs dans le domaine de l'art et dans celui des moeurs. En un siècle, nous avons, je cite, "déconstruit la tonalité en musique, la figuration en peinture" renversé les principes traditionnels de notre culture classique ainsi que la morale conventionnelle, religieuse ou bourgeoise. Toutes ces mutations sont attribuées par l'auteur aux jeunes gens de bonne famille plus ou moins de gauche et "bohèmes" particulièrement actifs lors des événements de 1968; groupe social qui fut, selon lui (mais il n'est pas le seul à le penser), le dindon de la farce et l'instrument de la pleine réalisation de la société de consommation contre laquelle il s'insurgeait. L'individualisme hédoniste de cette société fait des gens des drogués de l'achat compulsif de produits inutiles. Luc Ferry ne le précise pas trop (il doit ménager son commenditaire) mais en réalité notre société promeut la consommation du superflu par les deux tiers les plus favorisés de la population et la non-consommation du nécessaire par les plus pauvres. Or ces derniers sont de plus en plus nombreux à cause de l'émigration, de la concurrence des pays émergents du Tiers-Monde et de l'accentuation des inégalités. Le résultat est que les producteurs n'ont pas de quoi se payer ce qu'ils produisent. Voilà pourquoi la crise n'est pas seulement financière mais découle aussi de la surproduction dans l'économie réelle. Le remède trouvé par les gouvernements est d'y injecter des milliards c'est-à-dire de faire travailler la planche à billets. ce qui rejette sur les générations suivantes le coût d'une relance de la machine consumériste. Machine qui ne peut continuer à tourner sans poursuivre sa course vers l'abîme. Luc Ferry qui s'est illustré par des attaques contre l'écologie ne se soucie guère de cette catastrophe vers laquelle nous nous précipitons pour ne renoncer à aucune de nos misérables et vaines jouissances. Il prétend n'être qu'un appareil enregistreur des faits objectifs. Les entrepreneurs seraient contraints d'innover perpétuellement aussi bien en matière de productivité qu'en lançant à grand renfort de publicité de nouvelles marchandises (presque toutes des gadgets). Ainsi la déconstruction des valeurs traditionnelles est-elle devenue pour l'entrepreneur un impératif absolu" (p 43). "Si nos enfants avaient les mêmes valeurs que nos arrière-grands-mères ils n'achèteraient que le dixièmes de ce qu'ils convoitent aujourd'hui" (p 34). Comme Picasso ou Duchamp [l'entrepreneur] pratique la table rase des valeurs anciennes car il lui faut de l'innovation continue pour occuper une des premières places dans le classement mondial. Il y va de sa survie.

L'ambiguité de ce langage le fait décrocher du réel. Les exemples donnés en art par Luc Ferry sont ceux de fausses innovations, d'effets de mode qu'il confond avec les innovations réelles (mais très rares) dans le domaine de la technoscience. En fait, le mouvement perpétuel des premières au temps déjà lointain des avant-gardes s'est très vite réduit à un trépignement sur place au point que les porte parole du modernisme reconnaissent que plus personne dans ce milieu ne se réclame du "nouveau". Les rayures de Buren qui datent d'avant 1968 ont un âge canonique et de plus, comme concept, elles sont un "objet trouvé" (au marché saint Pierrre) et donc vieilles d'un siècle.

Luc Ferry a cependant raison de souligner "la connivence, involontaire au départ mais structurelle en son fond, entre le bourgeois et le bohème", le "bobo" plus précisément, dont le représentant le plus éminent ajouterai-je, est Alain Badiou. N'a-t-il pas adopté un petit africain comme Madonna?  Aucune pose révolutionnaire, aussi outrée soit-elle, ne lui permettra de masquer sa connivence avec "les grands capitaines d'industrie" qui comme lui "adorent littéralement l'art contemporain" (p 36). 

Dans ma note suivante je concluerai cet examen critique du livre de Luc Ferry en en discutant la partie constructive. 

 

 

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12/07/2009

Les contradictions de Luc Ferry

Le rapport au Premier ministre intitulé Face à la crise et dû à Luc Ferry et au "Conseil d'Analyse de la Société" appelle d'autant plus un examen critique que son sous-titre est humble. Dans "matériaux pour une politique de civilisation" l'accent doit être mis sur "matériaux" car c'est en vain qu'on y cherchera le moindre linéament d'une politique de civilisation. Cette lacune est d'ailleurs nécessaire et de structure comme nous le verrons dans un instant.

Luc Ferry veut dégager les contradictions de notre société mais ne prend pas garde aux contradictions de son propre texte. Il commence par démontrer que le devenir du capitalisme mondialisé a pour moteur les innovations de la technoscience. Celles-ci ont lieu "sous l'effet de la compétition généralisée entre pays, entreprises, laboratoires, universités, etc. (p 20) Ainsi "l'histoire se meut [-elle] désormais hors la volonté des hommes. [...] Il nous faut sans cesse "progresser" mais ce "progrès" relève de la seule nécessité" (pp 21-22). "La mondialisation technique est [...] un processus définalisé" (p 24). La preuve en est que la politique a perdu toute "emprise sur l'histoire" sans quoi des problèmes comme le chômage, la récession, la dette, les déficits "seraient réglés depuis longtemps" (p 25). Parvenu à ce point, Luc Ferry aurait dû s'empresser de conclure son rapport, au lieu de quoi il poursuit pendant une centaine de pages dont plus de soixante consacrées à des "propositions". Certes, celles-ci sont modestes et très en-deçà de la "politique de civilisation" qui fixe leur ambition mais en même temps d'une présomption absurde compte tenu de ce qui précède. Le reste est à l'avenant comme nous le verrons bientôt. 

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07/07/2009

Réflexions sur le livre de Marc Fumaroli

Ayant terminé la lecture du livre de Marc Fumaroli Paris-New York et retour, je voudrais vous proposer quelques réflexions et commentaires qu'il m'a inspirés.

Son orientation générale est très critique vis-à-vis du prétendu "art contemporain" qu'il lui arrive de qualifier de non-art. En revanche il est favorable au modernisme jusqu'et compris l'abstraction et cela malgré la continuité entre l'un à l'autre. J'y reviendrai.

On se souvient des critiques que j'ai adressé au livre de Louis Harouel et à son explication de la dissolution de l'art par l'invention de la photographie. Or le procédé de reproduction mécanique des images perçues ne doit pas être pour autant disculpé. A la page 492, Fumaroli observe que l'image photographique s'est imposée chez les peintres "comme substitut du dessin d'étude". Telle est en effet la cause de l'influence néfaste exercée par la photographie. L'étude d'après le motif incitait l'artiste à une première interprétation et stylisation de la forme alors que face au document photographique le dessinateur n'a pas la possibilité d'en tirer une version plus expressive et lisible faute de pouvoir se déplacer par rapport à elle de façon à en faire apparaître toutes les potentialités. Il en résulta un net appauvrissement de la créativité.

Fumaroli déplore que la France soit reléguée à la 5e ou 6e place sur la scène de "l'art contemporain". Or cette place reflète le rang de notre pays parmi les puissances industrielles. Pour qu'il en fût autrement, il eût fallu avoir affaire à de l'art, acheté pour sa valeur esthétique et pour le plaisir qu'il nous procure. Dans ce cas, un milliardaire américain aurait pu préférer un tableau français à l'oeuvre d'un compatriote. En l'absence de tout critère, dont le principal est la délectation, d'autres motivations sont déterminantes tels que les calculs spéculatifs, le tapage fait par les médias anglophones, le "retour sur image" etc. Voilà pourquoi la France a fait un marché de dupe en se mettant à la remorque de New York et en vendant son âme au génie qui toujours nie.