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22/12/2011

Avec Oskar Freysinger (suite II)

 

Jean Robin :  Mozart et Léonard de Vinci ont  eu des mécènes. Aujourd’hui le financement par l’Etat est gratuit, sans souci de retour sur investissement. L’Etat peut se le permettre puisque ses largesses se font avec l’argent du contribuable.

K. M. : Vous supposez qu’il n’y a aucun lien entre le monde de l’argent, auquel appartiennent les mégacollectionneurs, et celui des politiciens. Or les  intérêts qui soutiennent le non-art sont les mêmes dont dépendent les hommes qui alternent au sommet de l’Etat  Celui qui se mettrait à dos de grands capitaines d’industrie comme Pinault et Arnault n’aurait aucun avenir. Qui financerait ses campagnes électorales ?

 J. R. :  C’est nous qui les finançons depuis la loi de 1995.

K. M. : En partie seulement. Quand on apprend que tout récemment encore Liliane Béttencourt distribuait des enveloppes bien garnies …

J. R. : C’était illégal.

K. M. : Certes, mais pas exceptionnel. Il y eut aussi l’affaire des rétrocommissions dont l’annulation fut payée par l’attentat de Karachi et les dons généreux (mais non désintéressés) des potentats africains tel Bongo. Tous les politiciens reçoivent légalement de l’argent sur les fonds publics mais ceux qui bénéficient de quelques extras en marge de la loi sont avantagés. Il y a cependant autre chose qui est plus fondamental. Les très riches ont barre sur les médias auxquels ils peuvent accorder ou refuser leurs campagnes publicitaires. A leur tour, les médias tiennent à leur botte les hommes politiques. En Angleterre, ces derniers rampaient devant Rupert Murdoch et fermaient les yeux sur ses méfaits parce que leur réélection dépendait de lui. Les responsables de la police, à qui on avait graissé la patte, s’abstenaient d’enquêter sur les délits commis par cette presse de caniveau. Un vaste réseau de complicités enserre la vie publique en France comme ailleurs. On pourrait se dire : quel mal à cela ? Après tout, depuis que le monde existe, c’est le petit nombre qui gouverne. Même l’illégalité, la corruption, le favoritisme ne sont pas une raison de se gendarmer car, à petite dose, ces abus mettent de l’huile dans les rouages comme le remarque Mère Courage dans la pièce éponyme de Brecht.

Si cette façon de voir un peu cynique se justifie alors on comprend que les conflits d’intérêts apparaissent comme des peccadilles qui n’offusquent personne. On connaît le cas de cet ancien ministre nommé par Sarkozy à la tête de l’établissement public du château de Versailles qui en profita pour offrir un somptueux cadeau à son ancien employeur, Pinault, en exposant dans la galerie des glaces et les appartements royaux le non-art de  Koons. Ses objets kitsch  ont vu  leur cote grimper encore plus à la suite de ce coup de pub gratuit. Apprenez, si vous ne le savez déjà, que Pinault est une des principaux collectionneurs de Koons. Un renvoi d’ascenseur était sans doute escompté. Ce fut la nomination à la tête de la fondation Pinault à Venise (Palazzo Grassi et Dogana) de l’«ami » de Jacques Aillagon, Martin Béthenot ( On trouvera dans mon site plus d’informations sur cette affaire Koons-Murakami).

O. F. :  A l’époque de Mozart qu’était le retour sur investissement ? 

J. R. :  Le prestige.

O. F. : Ce n’était pas un avantage financier. Il y avait des contraintes par rapport à l’œuvre qui conservait sa vertu éducative. Aujourd’hui l’art doit se vendre à la plus grande masse possible.

K. M. : Il faut distinguer entre les disciplines artistiques. Certaines, qui nécessitent un public de masse, sont restées vivantes vaille que vaille. C’est le cas du cinéma, qui doit faire des entrées, ou du roman, qui doit vendre des exemplaires en nombre suffisant. Du coup, l’artiste ne peut mépriser son public pour faire le malin. Il doit l’émouvoir et lui plaire ce qui, selon Molière, est « la règle de toutes les règles ». Il n’en va pas de même pour les arts dits « plastiques » ou pour l’architecture, dont aucune œuvre ne se donne comme vraiment multiple même s’il peut y en avoir plusieurs versions. Les modalités de production, de diffusion et de consécration sont très différentes dans les arts en question qui n’ont pas besoin d’un public payant de masse et peuvent se contenter d’un public de snobs et de rares et richissimes acheteurs. Voilà pourquoi l’avant-gardisme et le non-art n’ont pas sévi partout, et que certains arts subsistent (quoiqu’à un niveau dégradé) en ayant conservé leurs critères d’excellence, alors que les autres sont quasiment morts. Non qu’il n’y ait pas toujours des peintres et des sculpteurs authentiques, simplement les médias les ignorent délibérément. Tout se passe comme s’ils n’existaient pas. Les intérêts qui sponsorisent le non-art directement ou par l’intermédiaire des institutions de l’Etat, ont les moyens de bannir radicalement l’art en commençant par l’interdiction d’en parler dans les médias

J. R. : Est-ce que vous pensez que la perte de sens est liée à la déchristianisation ?

K. M. : Il n’y a jamais eu de civilisation sans religion. Donc si celle-ci recule ou dépérit, ce n’est pas bon pour l’art.

J. R. : L’imagination ne pourrait-elle suffire ? 

O. F. : L’imagination est aussi diverse et variée que les individus. Elle ne saurait fédérer une communauté.                 

J. R. : Quelle solution appelez-vous de vos vœux ?

K. M. : Une solution doit être réaliste, faute de quoi ce n’est pas une solution. Elle doit donc partir des faits objectifs. J’en vois deux en considérant les choses du point qui m’importe le plus. 1° le capitalisme, forme particulière de l’oligarchie de toujours, a détruit au vingtième siècle l’art et la civilisation ; 2° il s’acharne maintenant à détruire la planète. Il fait cela non pas en obéissant à de mauvaises intentions mais parce que dès le début telle était sa nature ou, si l’on veut, sa logique à savoir de fonctionner selon un cycle de « reproduction élargie » (Marx), contrairement aux sociétés antérieures dont l’économie suivait un cycle de reproduction simple. Il s’en suit que le capitalisme tend vers l’infini ce qui est incompatible avec le caractère limité de notre terre donc avec les conditions d’existence matérielle de l’humanité. On ne peut donner le coup d’arrêt indispensable à ce processus désastreux qu’en s’attaquant à sa cause, le capitalisme, qui est aussi celle du déclin de l’art et de la civilisation.     

En disant cela je suis sûr de soulever des protestations. Ne suis-je pas un Don Quichotte chez qui le ridicule le disputerait à l’odieux ? Pourtant je continue à me tenir sur le terrain du réalisme le plus rigoureux. « Les civilisations sont mortelles », disait Paul Valery mais le capitalisme qui a tué la nôtre ne l’est pas moins. L’époque de l’énergie bon marché n’est plus. L’époque où les métaux et autres matières premières étaient abondants et faciles à extraire aussi.  La globalisation aura pour conséquence que la loi des rendements décroissants frappera tous les pays. Après le Japon, après l’Europe, c’est déjà le tour des Etats Unis. L’Inde et la Chine suivront. Notre avenir ne sera pas celui d’une évolution lente et graduelle. L’histoire de la terre et l’histoire de l’humanité nous apprennent que les changements ont lieu brusquement quand un seuil ou un point de basculement est atteint. Agir maintenant, quitte à ce que ce soit au détriment des intérêts immédiats du capital, est impossible. Cela coûterait trop cher, nous dit-on.  Ne rien faire  comme semblent l’avoir décidé tous les chefs d’Etat est possible mais coûtera (et coûte déjà) mille fois plus. Conclusion, le réalisme aujourd’hui  consiste à exiger l’impossible. Puisque déjà sont apparus sur le mur les signes (Mané, Thékel, Pharès) annonciateurs de la fin de notre système économique et social et que cette fin est indépendante de notre volonté ou de nos incantations (les Don Quichotte sont ceux qui pensent le contraire), il faudrait peut-être réfléchir à ce qui pourrait remplacer ce type de société. Je suis certain que ce monde différent, favorable à la vie, le serait aussi à l’art et à la civilisation …

J.  R. : … et à la qualité.

K. M. : Il faudra consommer moins et autrement, en mettant l’accent sur la qualité plutôt que sur la quantité. On ne peut tolérer que les fabricants s’entendent entre eux pour produire des appareils dont l’obsolescence est programmée.

O. F. : Il y aura une crise économique mondiale. Le système va s’effondrer. Malheureusement l’être humain n’est pas capable de renoncer à quoi que ce soit avant d’y être contraint par la réalité.

J. R. : C’est la technique

O. F. : L’être humain ne s’arrête jamais à midi moins cinq. Il va jusqu’à midi cinq. Il faut que la catastrophe arrive comme lors de la deuxième guerre mondiale. Peut-être que cette crise sera pour lui  une chance de parvenir à une autre logique imposée par le mécanisme même qui a engendré la crise.

K. M. Vous avez, Jean Robin, prononcé le mot « technique » et vous, Oskar Freisinger, le mot « mécanisme ». Cela me fait penser que les hommes, loin de commander à la technique, en sont de simples fonctionnaires. De la vient la difficulté pour les décideurs de décider et de maîtriser quoi que ce soit. Parmi les intellectuels de gauche, on suce et resuce le mot fétiche « émancipation ». Pour l’homme d’aujourd’hui, l’émancipation suprême serait celle qui le détacherait du joug de la technique dont il attend tout alors qu’elle lui réserve le pire. Cela pourrait être le thème  d’une autre discussion. 

 

 

 

 

 

18/12/2011

Avec Oskar Freysinger (suite)

 

"Serf ce peuple bâtissait des cathédrales, émancipé il ne construit que des horreurs"

Cioran

(Je remercie Jean Robin pour cette citation) 

 

Freysinger défend la conception romantico-anarchiste selon laquelle l’art est antinomique au pouvoir sauf l’art baroque qui serait à l’origine de tous les maux. Si je m’étais permis de l’interrompre, j’aurais pris la défense du baroque et notamment du Caravage, du Bernin, de Borromini et, en ce qui concerne sa thèse générale, j’aurais attiré son attention sur la multitude de contre-exemples prouvant que l’art est généralement au service des puissants même si l'on peut y reconnaître parfois une secrète connivence avec les courants souterrains qui manifestent les aspirations populaires.

Freysinger : Certaines œuvres d’art ont une vocation universelle.

K. M. C’est vrai car le pouvoir de toucher universellement est une caractéristique des grandes œuvres d’art. Elles ont ce pouvoir dans la mesure où elles expriment avec une intensité maximale les particularités individuelles, ethniques, civilisationnelles. En parlant de lui-même, le grand artiste parle de tous et s’adresse à tous car il partage avec ses congénères une même nature humaine. C’est ce qui explique que l’on puisse goûter les œuvres produites par des hommes appartenant à des cultures très éloignées de la nôtre. Encore faut-il qu’il s’agisse d’œuvres d’art susceptibles d’êtres distinguées comme telles. Nous avons donc une universalité chargée de sens à l’opposé de celle que revendiquent les objets appartenant au non-art contemporain, indiscernables d’un objet quelconque.

Jean Robin : Quelle solution ? Un retour en arrière ? Une prise en compte de ce qui s’est passé pour construire quelque chose de nouveau ?

K. M. Ce qui est en cause, c’est la vision qu’on a de l’histoire. Selon moi, celle-ci n’obéit pas à une tendance à se mouvoir vers je ne sais quel « avant ». Elle ne réalise pas inéluctablement le « progrès » comme le pensaient Kant, Hegel, Marx et, plus près de nous, Kojève-Fukuyama. Dans le devenir historique, il n’y a aucune fatalité. Quand l’URSS, créée par Lénine et Staline, s’est effondrée, nous n’avons eu ni un « retour en arrière » ni un progrès mais un vague mélange des deux,  incompatible avec la conception progressiste et irréversible de l’histoire.   

Il s’agit donc de savoir non pas comment nous adapter à ce qui arrivera nécessairement (le fameux « sens de l’histoire ») mais comment trouver les voies et les moyens de changer le monde dans un sens souhaitable qui, selon moi, doit aller vers la civilisation et non vers la barbarie. Dans cette recherche, nous n’avons aucune garantie de succès. Même le matérialiste et déterministe Lénine savait que nous étions au début du XXe siècle à la croisée des chemins. Il disait contre Rosa Luxembourg que l’humanité était placée devant le choix : « Socialisme ou Barbarie ». Nous savons que c’est le deuxième terme de l’alternative qui l’a emporté. Ne parlons pas du goulag, des camps d’extermination allemands, des deux guerres mondiales. Considérons seulement ce dont nous discutons, l’art. Dans ce domaine, l’Occident, encore dominant, exporte depuis un siècle sa barbarie alors qu’au XIXe siècle il exportait sa civilisation comme l’atteste le palais du roi de Thaïlande. Aujourd’hui les tours, les barres et les blocs informes ou extravagants (penchés et tout de travers) se voient partout au mépris du climat et des traditions locales. Il s’agit avant tout de faire « moderne » sans craindre ni l’horreur ni le ridicule.

Bref la question qui se pose est : comment faire pour que la création artistique et le Beau aient à nouveau droit de cité au lieu d’être de facto interdits ?

Jean Robin : …et soient financés …

K. M. Il faut qu’il le soient. Il y a toujours quelqu’un qui finance. Chez les Grecs, c’était la cité ce qui parfois soulevait des vagues. Il y eut ainsi des Athéniens qui trouvaient que le programme de Périclès coûtait trop cher. Alors ce grand homme répondit : si vous ne voulez pas payer, je le ferai moi-même de mes propres deniers mais sur le Parthénon et sous la statue chriséléphantine  sera gravée l’inscription « Ex Voto de Périclès ». Les protestations furent alors unanimes et on n’en parla plus.

Jean Robin : c’est le grand capital qui paye pour la conservation du patrimoine alors que l’Etat ne finance que « l’art contemporain ».

K. M. Il est vrai que l’Etat ou les responsables politiques locaux (tel Estrosi à Nice) défigurent nos villes au nom du soutien à « l’art contemporain » en érigeant sur les places publiques des tas de ferraille. Mais globalement, ce sont les méga-collectionneurs privés (comme Pinault ou Arnault) qui achètent l’art contemporain et en imposent la promotion. L’Etat n’a pas les moyens d’acheter les « œuvres » les plus cotées. Ce dont il fait l’acquisition (à New York plutôt qu’à Paris) c’est du second choix. Il n’empêche que les prix déboursés avec l’argent du contribuable sont tellement exorbitants qu’on les tient secrets.

Freysinger : On est passé du mécénat désintéressé au sponsoring pour lequel il y a un « retour sur investissement ».

 

A suivre       

    

17/12/2011

Houellebecq et le Souverain Bien

Houellebecq est honoré, on lui décerne le prix Goncourt, on l'invite sur les plateaux de télévision, mais les médias ne l'aiment pas. Sans le dire, ils lui en veulent de laisser entendre que la partouze permanente, style DSK, ne rend pas heureux. Or la débauche est une branche extrémiste du consumérisme et celui-ci est un des piliers du capitalisme et de son reflet idéologique : le matérialisme. Le mot d'ordre de beaucoup d'économistes est : "consommez, la main invisible fera le reste. La consommation est ainsi érigée en Souverain Bien et le Marché en Providence. Tels sont les misérables substituts de la religion.  

12/12/2011

Débat sur l'art et la société avec Oskar Freysinger

A l’invitation de Jean Robin qui dirige les éditions Tatamis et anime l’excellent site Enquête et débat, j’eus le 3 décembre 2011 une discussion philosophique passionnante sur des questions relatives à l’art, la société, l’histoire avec le dirigeant politique suisse bien connu Oskar Freysinger dont je venais de lire le petit livre débordant d’humour et d’esprit en réponse à Stéphane Hessel (Antifa aus éditions Tatamis). En me rendant au rendez-vous, je pensais rencontrer pour une conversation  amicale l’homme que j’admirais pour avoir mis en rage l’oligarchie européenne et notamment Cohn Bendit, en donnant l’occasion au peuple suisse de mettre un terme par une « votation » à la multiplication des mosquées. Je ne savais pas que l’entretien serait filmé et enregistré ni quels seraient les sujets abordés. Sur ce dernier point d’ailleurs, mes interlocuteurs n’en savaient pas plus que moi. Nous avons même eu de la peine à cadrer le débat. Comme nous étions d’accord sur presque tout nous craignions qu’il se réduise à une causerie de bonne compagnie. Il s’avéra qu’il pouvait néanmoins être fort vif. Cependant improviser sur des problèmes aussi délicats et complexes est une entreprise semée d’embûches. Il m’a donc semblé utile de clarifier mes positions dans une version rédigée des propos que j’ai tenus. Pour avoir accès à la séance filmée cliquer sur google puis sur enquête & débat.

Ma prise de parti dans les conflits qui opposent les hommes aujourd’hui s’explique par mon engagement en faveur de la civilisation et de l’art. Les deux sont étroitement liés car l’art de  chaque civilisation en définit l’essence. Ce que les archéologues nomment la « civilisation matérielle » (les objets, les outils, les techniques, éventuellement la science), est dissociable du monde qui l’a produite. L’Europe a emprunté à la Chine la boussole, le papier,  l’imprimerie, sans pour autant s’enchinoiser. Alors que si elle en avait adopté l’architecture, la peinture, la musique, elle serait devenue un appendice périphérique de l’Empire du Milieu comme l’étaient autrefois le Vietnam et la Corée. L’Europe ne l’a pas fait parce qu’elle avait sa propre civilisation qui ne le cédait à aucune autre. Aujourd’hui les civilisations sont toutes bien mal en point à cause de l’affaiblissement de leurs fondements spirituels. Leur épanouissement suppose une religion, une hiérarchie de valeurs, une tradition. Tout cela étant battu en brèche, elles ne peuvent que dépérir. La cause est à rechercher dans l’ordre économique et social qui conserve notre patrimoine mais démolit notre héritage. Cette structure qui n’impose pas une fatalité conditionne cependant une tendance, un penchant des individus à se diriger dans un certain sens. On le voit bien dans le domaine de l’écologie. Des sociétés brillantes ont disparu parce qu’elles n’ont pu se résoudre à préserver leur environnement. Cette fois-ci la catastrophe affectera le globe entier. Les décideurs le savent mais  ne veulent pas le savoir. Le souci du court terme empêche de faire ce qu’il faut pour éviter l’issue qui s’annonce et plus on tarde, plus les mesures salutaires deviennent onéreuses et moins on est disposé à payer ce prix. La super-classe mondiale (que regroupe en France « Le Siècle » et  dont les représentants à l’échelle globale se réunissent à Bilderberg) est incitée par la poursuite de ses intérêts immédiats à détruire 1°à long terme la nature dont Dieu nous a confié la garde, 2° à court terme, toutes les identités culturelles. Celles-ci sont en effet perçues par les intérêts dont je parle comme susceptibles (à travers le patriotisme) de faire obstacle à la circulation sans règles ni entraves des capitaux (délocalisables et transférables), des hommes (s’installant où ils veulent sans demander la permission), des marchandises (qui font disparaître par le dumping  les productions du pays). Ce qu’ils veulent, c’est une mode identique en tout lieu, un nomadisme et un mélange universel. Leur mot d’ordre est « des jeans et des macdo partout ». Encore une raison pour les représentants du très grand capital financier de promouvoir ce que j’appelle le non-art et eux l’art contemporain. Celui-ci présente pour ces messieurs plusieurs avantages. N’ayant aucun contenu, il dispense d’un bagage culturel pour s’y repérer, ne créant pas de formes, il n’exige pas un goût éduqué pour être apprécié. N’étant pas tributaire d’une civilisation particulière, il semble n’exclure personne. Bref, tous peuvent s’y reconnaître et s’en servir comme signe de reconnaissance (entre riches). L’universalisme du marché mondial appelle un art universel a priori (indépendamment de ses qualités). Rien n’étant plus universel que le rien, cet art prétendu reflète le néant de signification logé au cœur de notre monde. Il est la marchandise absolue qui, dépourvue de valeur d’usage (elle ne procure aucun plaisir esthétique) et réduite à sa valeur d’échange, ne vaut que par son prix. Le non-art est un des moyens dont se sert le capitalisme mondial financiarisé pour imposer son idéologie : le relativisme nihiliste. Ce relativisme se manifeste par l’absence de critères. Comme disait Beuys, tout homme est un artiste et donc tout est, ou pourrait être, de l’art. Récemment c’était des hardes que faisait tomber une grue dans le Grand Palais. Cela donnait un amoncellement de chiffons mais pourrait être n’importe quoi d’autre, par exemple un tas de charbon comme celui que propose à notre admiration le musée d’art contemporain de Bordeaux.

A ce point Freysinger évoque Duchamp. Je lui réponds que cette figure emblématique du dadaïsme était un ennemi déclaré de l’art, c’est pourquoi il a protesté contre la récupération dont il avait fait l’objet. Il écrivit à un ami : « Je leur ai lancé à la tête l’urinoir comme une provocation anartistique et voilà qu’ils en louent la beauté ».

A suivre