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20/12/2012

Quelques reflexions théologicophilosophiques

L’argumentation pragmatique

Dans le domaine politique et sociale les hommes sont obligés individuellement et collectivement de prendre des décisions, de suivre une orientation. Ils sont, comme disait Pascal, « embarqués ». S’abstenir serait un autre choix et probablement le pire. Or les jugements de valeurs ne sauraient être fondés en raison si ce n’est moyennant l’acceptation d’une ou plusieurs propositions axiomatiques. Ces propositions fonctionnent comme un principe d’autorité nécessaire ; reste à en connaître la provenance. Certains disent : il n’y a pas d’autorité car il n’y a pas de révélation ni personne qui interprète et transmet cette révélation. D’autres répondent : il y a une autorité (l’Eglise) qui interprète et transmet une révélation. Celle-ci porte non pas sur tout mais sur les vérités les plus importantes pour les hommes. Ces vérités ont deux caractéristiques : 1° la raison ne peut ni les démontrer, ni les contredire ;  nous sommes ainsi sommés de prendre parti librement, c’est-à-dire sans être contraints par des arguments irréfutables. 2° Si néanmoins nous acceptons d’écouter ceux qui les défendent, nous inclinerons à les croire et à nous engager à leur côté car il nous semblera que le monde sera meilleur au cas où nous serions nombreux à faire ce choix et, pour nous personnellement, la vie plus facile à vivre.  Il s’agit, certes, d’un argument pragmatique, mais pourquoi le repousser alors qu’il n’y en a pas de meilleur ni dans un sens ni dans l’autre ? « La vie de l’athée, dit Chateaubriand, est un effroyable éclair qui ne sert qu’à découvrir un abîme ». Le croyant au contraire se répétera la parole du Christ : « Je suis la lumière de la vie. Celui qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres ». Tout le monde s’accorde sur le fait que nous avons besoin de valeurs au point d’ailleurs de galvauder ce mot. Or à l’échelle de la société, seule la religion propose une vision du monde intégrant les valeurs ; c’est pourquoi elle est le ressort spirituel de toute civilisation et une condition nécessaire de son existence. Si à notre époque les arts périclitent, cela est dû à la domination de l’idéologie libérale qui fait découler la réalisation du bien de l’action égoïste de l’homo oeconomicus. On peut dans ces conditions être tenté de plaider pour la religion en général comme le fait Chateaubriand dans Le Génie du Christianisme où il écrit : « L’incrédulité est la principale cause de la décadence du goût et du génie. Quand on ne crut rien à Athènes et à Rome, les talents disparurent avec les dieux, et les Muses livrèrent à la barbarie ceux qui n’avaient plus foi en elles ». Plus loin, il remarque : « Quiconque est insensible à la beauté pourrait bien méconnaître la vertu ». Chateaubriand, on le voit, sous-entend que les transcendantaux : le Bien ; le Beau, le Vrai sont liés les uns aux autres. J’ajouterai que chacun reflète les deux autres. Sur quoi repose ce triangle des valeurs ? Est-il purement arbitraire et dépourvu de sens ? Nous sommes pris en tenailles entre l’affirmation de Dieu, ce que les rationalistes tiennent pour irrationnel et le nihilisme qui l’est bien plus[1].

 

La théodicée leibnizienne

Un des problèmes les plus épineux de l’apologétique est celui de l’origine du mal ou de la théodicée (justification de Dieu). Celui-ci, nous disent les impies, est soit tout puissant, soit bon. Il ne peut être les deux. La réponse des chrétiens est ordinairement la suivante : Dieu a voulu que l’être humain soit libre car le bien qui résulte de la liberté l’emporte sur le mal qui vient de son mauvais usage. C’est ainsi qu’il faut comprendre la fameuse thèse de Leibniz selon laquelle : il y a du mal dans le monde mais celui-ci est le meilleur possible parce que tout se tient. Si Dieu avait éliminé un mal sur tel point, il en aurait créé un plus grand sur tel autre.

Il y a donc une borne à la puissance de Dieu qui tient à l’impossibilité pour lui de se contredire comme l’a reconnu Saint Thomas d’Aquin. Celui qui se contredit admet qu’une de ses paroles était erronée, chose impossible à la perfection divine. En affirmant cela, je ne m’écarte nullement du Credo de Nicée dont la version originale en grec exalte Dieu en le qualifiant de Pantocrator. Cela signifie qu’il exerce son pouvoir sur l’univers entier un peu comme l’Autocrator (l’empereur) l’exerce sur l’oecumene. Or la notion de pouvoir (kratos) n’est pas susceptible de degrés ; on le détient ou non. La traduction latine par omnipotens est trompeuse ainsi que sa traduction en français. Pantocrator ne suggère nullement l’idée de toute puissance. La puissance est susceptible d’augmenter jusqu’à l’infini, ce qui n’est pas le cas du pouvoir. Il y a dans le cas de la toute puissance un passage à la limite. Si les pères grecs avaient voulu l’autoriser ils auraient dit pantodynamos. Dynamis signifie puissance (en latin potentia).   

Dans le cosmos, la dépendance des parties les unes par rapport aux autres est une nécessité logique. C’est dans le Tout en tant qu’il a un sens, donc dans le dessein d’ensemble que se donne la volonté de Dieu. Les parties sont ainsi soustraites aux volitions particulières de celui-ci. Plus précisément, ces volitions sont réfractées dans les processus sensibles aux conditions initiales, donc dans des détails infinitésimaux à l’échelle de l’univers. Dieu ne laisse pas pour autant d’être libre et « tout puissant » car sa non-intervention dans le devenir de sa création vient simplement du fait qu’il ne peut commettre de faute, s’en apercevoir et changer d’avis ou, ce qui revient au même, se contredire.

Polémiquant contre l’indéterminisme quantique, Einstein disait : «Dieu ne joue pas aux dés ». Le développement de la science a donné tort à Einstein. On peut donc sérieusement se poser la question si Dieu joue aux dés, notamment dans le domaine de la microphysique et, sur le plan macrophysique, par le moyen de l’homme. Ce que je viens de dire sur les « processus sensibles aux conditions initiales » le suggère. Dieu concèderait sa part au hasard. Selon le père Michel Viot les sources les plus anciennes de l’idée de Purgatoire remontent au Gorgias de Platon[2]. A mon tour, je m’autoriserai, avec un grain d’humour, du grand penseur qu’était Euripide dont deux vers disent ceci : « car le dieu s’occupe des grandes choses et laisse les petites à la Fortune (Tuché) ». Je ne saurais, il est vrai, garantir la correction théologique de cette thèse qui présente, cependant, l’avantage de mieux faire comprendre les miracles. Dieu intervient dans certains cas pour rectifier les effets des processus aléatoires. Ceux-ci n’étant pas son œuvre directement, son coup de pouce reste conforme à sa Providence.             

Les fondements de la politique et de la pensée

La philosophie politique grecque suppose que la raison puisse, par elle-même, déterminer ce qu’est la justice et, plus généralement, les fins ultimes de l’homme et de la cité, (la vie bonne). Héritier des classiques, Léo Strauss le pense aussi. En revanche, pour les modernes depuis Max Weber (et déjà depuis Hume et Kant), les jugements de valeurs ne peuvent s’appuyer sur la raison et celle-ci est impuissante à trancher les conflits qui les opposent. Or pour autant que l’homme d’Etat admette le principe selon lequel sa fin est le bien commun, il est obligé de prononcer des jugements de valeur et de fonder sur eux ses choix et décisions. Il en va de même pour ses adversaires quand ils le critiquent. L’argumentation de Léo Strauss montre qu’il ne peut y avoir de science dont la rigueur s’établirait sur l’élimination des jugements de valeur, une science wertfrei, comme le voulait Max Weber. Mais de ce que le recours aux jugements de valeur est inévitable, il ne s’en suit pas que la philosophie politique soit en mesure de les fonder, pas plus qu’elle ne peut se fonder elle-même. Aucune théorie ne le peut comme l’a démontré le théorème de Gödel pour la formalisation de l’arithmétique.

C’est sans doute pour cette raison qu’Alvin Johnson a émis la thèse que cite en l’approuvant Eric Voegelin selon laquelle « ce n’est qu’à travers la religion qu’un ordre social est possible »[3]. Quand le même Voegelin met sa foi entre parenthèses, il lui faut chercher un autre fondement à la philosophie politique qu’il fait alors « reposer sur une théorie de la nature humaine »[4]. En lui-même, ce fondement semble faible mais il paraîtra plus solide si l’on admet que la nature humaine renvoie à la nature du Tout. On serait alors sur le terrain non de je ne sais quelle cosmologie mais d’une métaphysique théologique car la nature du Tout est sous-tendue par la Raison immanente à la Création, autre nom du Logos. Celui-ci est la relation nécessaire du Tout et des parties qui ne peut être appréhendée que du point de vue du Tout. Anticipant sur les Stoïciens, Euripide met dans la bouche d'un de ses personnages cette pensée sublime : « Si les dieux m’ont abandonnée, moi et mes deux enfants, cela aussi a sa raison ».

Le problème métaphysique par excellence porte sur les fondements de toute pensée y compris de la métaphysique. Cela revient à dire que la pensée s’interroge sur sa propre garantie. Ou encore que son questionnement a pour objet le meta- de toute méditation théorétique. Or aucun objet de savoir ne contient sa propre garantie. L’invitation à prouver sa preuve est aporétique. Cela vaut pour la religion mais également pour la science la plus dure qui est nécessairement hypothético-déductive et dont les hypothèses ne sont jamais vérifiées mais seulement (le cas échéant) infirmées (falsifiées pour reprendre l’anglicisme poppérien). Cela vaut même pour les mathématiques dans lesquelles, selon Bertrand Russel, « on ne sait de quoi on parle ni si ce qu’on dit est vrai » ! Or les athées exigent de nous sur le plan de l’argumentation rationnelle ce qu’ils n’exigent pas de la science.

Revenons à la question du rapport entre la rationalité philosophique et la révélation religieuse. Pour penser ce rapport, je ferai paradoxalement appel aux théories de l’athée invétéré Alain Badiou. La philosophie, nous dit-il, est sous condition de la politique, de la science, de l’art et de l’amour au sens où son devenir est déterminé par les vérités nouvelles produites dans ces quatre domaines. Sa tâche est de rendre ces vérités possibles ensemble et cohérentes (compossibles selon le terme de Leibniz), étant entendu que, par vérités, il faut comprendre non pas de propositions adéquates à ce sur quoi elles portent mais des valeurs qui se veulent universelles. C’est pourquoi ces « vérités » surgissent dans une situation à la faveur d’un événement et ne sont pas découvertes. Elles sont nouvelles et ne préexistent pas à l’événement. A cette liste, il faut ajouter la religion qui, elle aussi, engendre (révèle) des vérités spécifiques (sui generis). Elles éclairent l’entendement et suscitent l’émotion de milliards d’être humains tout comme les vérités admises par Badiou si bien que les philosophes, y compris les plus récents, se sentent tenus d’en parler longuement. On pourrait objecter que les philosophes athées ne voient pas dans la religion un champ générateur de vérités. Or pour Badiou ce ne peut être un argument car pour lui la vérité se déclare et ne se démontre pas. De ce fait, en politique par exemple, il y a des sceptiques ou des mécréants qui rejetteront sans hésitation ce que Badiou tient pour des vérités indubitables telles que l’égalitarisme ou le cosmopolitisme.

Ainsi en politique mais aussi en art, en amour et même en sciences, les vérités, selon Badiou, peuvent se heurter à des mécréants. La discussion avec ces derniers relève de la philosophie dans son aspiration encyclopédique. Le peintre, le physicien, l’amoureux ou le militant politique n’ont pas besoin du philosophe pour savoir ce qu’ils font, mais dès que des objections fondamentales sont soulevées au sujet des vérités apparues dans leurs domaines respectifs, la discussion de ces objections requiert le recours à un métalangage fourni, dans un premier temps, par la philosophie. Le métalangage est un langage formalisé qui décide de la vérité des propositions du langage objet. La description de ce métalangage exige un métalangage d’un ordre supérieur et ainsi de suite à l’infini. On est placé alors devant l’alternative suivante : ou bien on admet qu’il n’y a pas de métalangage (ultime) ou bien on adopte celui la révélation. Ce métalangage est nécessaire à la cohérence de tout discours. Sur ce point, Jean-Claude Milner a prononcé une parole définitive : « A supposer qu’on ne croie pas au métalangage [ultime], qu’on ne construise pas l’énoncé suprême d’un Dieu ou d’une harmonie [au sens des sagesses orientales, par exemple le Tao], rien n’assure personne que le Chaos n’existe pas, sinon que nul ne puisse le penser »[5]. Il y a là une dure injonction à l’adresse des athées comme Onfray ou Badiou : « soyez conséquents,  taisez-vous puisque vous ne pouvez pas penser ce à quoi votre nihilisme vous accule ! »



[1] Le dernier livre du célèbre auteur américain Camille Paglia, Glittering Images, montre combien l’argumentation de Chateaubriand est actuelle. Pour Paglia, la quête spirituelle définit le grand art, celui qui dure. Mais à notre époque sécularisée, la croisade libérale contre la religion a coûté cher à l’art. « Ricaner sur la religion est le symptôme juvénile d’une imagination rabougrie ». Historiquement, le grand art a été créé sur des thèmes tirés de la Bible. Notre stérilité actuelle est le résultat d’une banqueroute spirituelle.  

[2] Cf. La revolution chrétienne, Père Michel Viot : entretiens avec l’abbé Guillaume de Tanoüarn, Editions de l’Homme Nouveau, Paris 2012, p 22.

[3] Cf. Faith and Political Philosophy. The Correspondence between Leo Strauss and Eric Voegelin, University of Missouri Press, Columbia and London, 2004, p 36.

[4] Ibid. p 99.

[5] Cf. Jean-Claude Milner, Les noms indistincts, Seuil, 1983, p 62.

21/11/2012

Godelier chez Big brother

 L’entretien accordé par Maurice Godelier au Monde (18 – 19 nov. 2012) porte le titre : « L’humanité n’a cessé d’inventer de nouvelles formes de mariage ». Malheureusement pour le journal le texte ne tient pas cette promesse et le seul exemple qu’il donne, celui des Baruya de Nouvelle-Guinée, ne concerne pas le mariage mais porte sur l’initiation des jeunes et l’usage des mots « père » et « mère ». D’ailleurs l’ethnologue est obligé de reconnaître qu’on « ne trouve pas dans l’histoire, d’union homosexuelle et homoparentale institutionnalisée ». Cela s’expliquerait par le fait que les sociétés se souciaient de leur reproduction. Faut-il croire que la notre ne s’en soucie plus ? Dans la suite Godelier ne peut soutenir ses thèses qu’en détournant le sens des mots à la manière de la dictature décrite par Orwell dans 1984. L’homosexualité serait, selon lui « naturelle », puisqu’on l’observe aussi chez les animaux. Or on y observe aussi des accouplements entre espèces différentes, un éléphant avec une femelle rhinocéros par exemple. Faudra-t-il adopter un jour, pour faire plaisir à certains pâtres, une loi par laquelle l’Etat  reconnaîtra les unions zoophiles ? Selon Godelier, l’homosexualité serait en outre « normale ». Le Petit Robert définit ce dernier mot comme « ce qui suit la règle », « qui est dépourvu de tout caractère exceptionnel ; qui est conforme au type le plus fréquent ». Or les homosexuels représentent 3% de la population, les bisexuels 4% et les homosexuels vivant en couple 1% des couples[1].

Cette perversion, relavant des choix intimes des individus, l’Etat n’a pas à les approuver ou à les désapprouver. Dans notre société démocratique et laïque les autorités se doivent d’ignorer ce genre de choses. En m’exprimant comme je l'ai fait, je ne cherche pas à froisser qui que ce soit et j’emploie les mots au sens neutre qu’ils ont dans le dictionnaire. Consultons encore une fois le Petit Robert. Pervertir = dévoyer, modifier en détournant de sa fin, de son sens. Perversion sexuelle = « tout comportement qui tend à rechercher habituellement la satisfaction sexuelle autrement que par l’acte sexuel « normal », défini comme accouplement hétérosexuel ». Cet accouplement est dit « normal » parce qu’il est en principe et dans l’ensemble ordonné à une fin : la procréation. Telle est sa fonction biologique naturelle, fondement de ce qui s’y surajoute en termes hédonistes, sentimentaux ou spirituels. Godelier invoque « l’apparition de nouvelles technologies de la reproduction ». Question : doit-on faire tout ce que la technique rend possible même si c’est éthiquement condamnable, par exemple assurer la reproduction par clonage ? Or la procréation médicalement assistée peut être immorale comme tout acte qui se sert d’un être humain comme d’un moyen (Cf. Kant).  Godelier nous assure que les homosexuels s’aiment (qui le conteste ?) et fait preuve d’une remarquable habileté sophistique dans l’usage des mots grâce à laquelle il embobine le lecteur qui n’est pas sur ses gardes. A la question « Pourquoi maintenant  (le mariage homosexuel), il répond notamment : « dans une démocratie les minorités peuvent revendiquer des droits nouveaux ».

Examinons ce point. En démocratie peuvent être majoritaires ou minoritaires des partis, des courants d’opinion, la gauche ou la droite mais non des pratiques sexuelles. Personne n’a jamais demandé au peuple de voter sur les goûts et les  préférences des uns et des autres sur ce terrain. La démocratie est un régime politique. Or homosexuel ou hétérosexuel ne sont pas des catégories politiques.  Dans ces conditions le mot « minorité », tel que l’utilise Godelier, n’a aucun sens. Il protestera, certes, qu’il suit l’usage des Américains. Mais cet usage, qui qualifie de « minorité » même les hommes de couleur et les femmes (!), n’est pas le nôtre et de plus  il est absurde.

Parler de « droit nouveau » est abusif car le mot « droit est ici employé dans un sens qui ne correspond à aucun de ceux, très nombreux, que passe en revue le dictionnaire. En réalité il s’agit non pas d’un droit mais d’une obligation imposée aux maires de célébrer une certaine cérémonie et d’une obligation pour les officiers de l’état civile d'enregistrer cette cérémonie sous le nom de « mariage » au mépris de l’usage habituel. Si on estime que le PACS ne protège pas suffisamment les homosexuels pourquoi ne pas le compléter par de nouvelles dispositions ? Ou bien encore pourquoi ne pas inclure celles-ci dans les stipulations d’une « union civile » ? Godelier réclame pour les homosexuels le droit « de vivre légalement leur sexualité ». Or ce droit ils l’ont depuis longtemps ; plus précisément depuis que la sodomie n’est plus réprimée. On voit bien que l’enjeu du projet de loi ne se situe pas dans la vie réelle mais uniquement dans le vocabulaire. Les socialistes prétendent donner aux mots une nouvelle acception, ignorer dans le discours sur la famille la différence sexuelle et bannir du Code Civile la mention du « père » et de la « mère » pour mettre à la place « parent » qui désigne tout autant les cousins, les oncles et les tantes etc. Nous sommes, encore une fois, en plein 1984 sous le pouvoir de Big Brother.

L’institution du mariage a toujours eu pour fonction et finalité d’encadrer la procréation et d’assurer dans les meilleures conditions la perpétuation de la société. Il n’y a jamais eu de rapport entre le mariage et les goûts sexuels. Ces goûts sont une affaire privée qui ne regarde pas l’Etat. Il ne lui appartient ni de les bénir ni de les bannir. Singer le mariage proprement dit et ce qu’il implique en termes de filiation est une mascarade qui nuit au sérieux de l’union ainsi conclue entre un homme et une femme.  Ce sérieux doit être préservé même quand on n’y voit qu’une formalité, un rite profane. Faute de quoi, on sape la famille et cela cause des dommages sensibles  à la société.

Pour éviter de le reconnaître, Godelier s’était livré, dans un entretien accordé au Monde Magazine du 4 décembre 2011, à des contorsions aussi vaines que ridicules. Quand on lui demanda s’il est vrai que les changements dont il parle ont affaibli la famille, il répondit (à côté) que la famille ne suffit pas pour faire une société. Il croit peut-être nous rassurer en observant qu’« aucune des sociétés qui ont accepté ces évolutions [législatives] ne s’est [encore] effondrée » (L. M. 18 – 19 nov. 2012). En fin de course, il concède à contrecœur que ces changements (promus par des politiciens démagogues) « ont bien évidemment ébranlé la famille ». Ou encore que « les liens conjugaux sont devenus plus précaires » (L. M. Mag.). Il ne peut nier que les conséquences soient douloureuses pour les enfants mais il se console en soulignant que les parents « sont aujourd’hui dans l’obligation morale et juridique d’assumer, après leur séparation, leurs responsabilités à l’égard de leurs enfants ». Doit-on comprendre qu’auparavant cette obligation n’existait pas ? Pour un peu, Godelier laisserait entendre qu’en faisant du divorce une formalité le législateur aurait travaillé au bonheur des enfants !  

Pour Godelier le changement favorisant l’égalité des sexes aurait des racines idéologiques. Il découlerait du principe d’égalité entre citoyens proclamé par la Révolution française. Notre sociologue n’a pas remarqué que ce « mouvement très puissant » a été fortement et consciemment impulsé par les capitalistes et leur Etat afin de mettre au travail les femmes, ce qui eut pour conséquence de réduire de moitié les salaires réels. Autrefois, un seul salaire suffisait pour faire vivre une famille. Maintenant, il en faut deux. Le résultat fut un désastre démographique. La  France en fut affectée moins que d’autres pays parce les crèches et les écoles maternelles y sont nombreuses et que l’école garde les enfants toute la journée. Mais l’Espagne, l’Italie, la Grèce ont vu leur natalité tomber à 1,4 par femme et l’Allemagne à 1,3. Godelier fait preuve à ce propos d’une inconscience stupéfiante puisqu’il parle de « la valorisation moderne de l’enfant » au lieu de sa « dévalorisation », terme plus adéquat compte tenu des chiffres que je viens de citer. Quels sont les peuples qui valorisent le plus l’enfant et qui le prouvent par leur natalité ? Ce sont ceux qui sont les moins modernes et les plus proches des sociétés traditionnelles. Les gouvernements qui ont modifié les lois pour flatter des penchants égoïstes alors que personne ne le réclamait vraiment ont programmé la disparition inscrite dans les statistiques de la pluspart des nations européennes. Les propos lénifiants de Godelier visent à cacher la catastrophe qui se profile à l’horizon de ce siècle si nous ne réagissons pas.

 

J'invite mes visiteurs à consulter deux notes précédentes qui complètent celle qu'ils viennent de lire : "La Grèce antique et le pseudo-mariage des homosexuels", publiée le 17 oct. 2012; "La famille et son simulacre", publiée le 11 oct. 2012. 

[1] Godelier ne conteste pas ces statistiques mais il n’en est pas gêné car il fait sien l’argument classique des homosexuels, variante de la célèbre maxime du docteur Knock : un hétérosexuel est un homo- ou du moins un bisexuel qui s’ignore ». Chez Godelier cela prend la forme suivante : « les deux espèces de primates les plus proches de nous sont bisexuels tout comme l’espèce humaine ».

18/12/2011

Avec Oskar Freysinger (suite)

 

"Serf ce peuple bâtissait des cathédrales, émancipé il ne construit que des horreurs"

Cioran

(Je remercie Jean Robin pour cette citation) 

 

Freysinger défend la conception romantico-anarchiste selon laquelle l’art est antinomique au pouvoir sauf l’art baroque qui serait à l’origine de tous les maux. Si je m’étais permis de l’interrompre, j’aurais pris la défense du baroque et notamment du Caravage, du Bernin, de Borromini et, en ce qui concerne sa thèse générale, j’aurais attiré son attention sur la multitude de contre-exemples prouvant que l’art est généralement au service des puissants même si l'on peut y reconnaître parfois une secrète connivence avec les courants souterrains qui manifestent les aspirations populaires.

Freysinger : Certaines œuvres d’art ont une vocation universelle.

K. M. C’est vrai car le pouvoir de toucher universellement est une caractéristique des grandes œuvres d’art. Elles ont ce pouvoir dans la mesure où elles expriment avec une intensité maximale les particularités individuelles, ethniques, civilisationnelles. En parlant de lui-même, le grand artiste parle de tous et s’adresse à tous car il partage avec ses congénères une même nature humaine. C’est ce qui explique que l’on puisse goûter les œuvres produites par des hommes appartenant à des cultures très éloignées de la nôtre. Encore faut-il qu’il s’agisse d’œuvres d’art susceptibles d’êtres distinguées comme telles. Nous avons donc une universalité chargée de sens à l’opposé de celle que revendiquent les objets appartenant au non-art contemporain, indiscernables d’un objet quelconque.

Jean Robin : Quelle solution ? Un retour en arrière ? Une prise en compte de ce qui s’est passé pour construire quelque chose de nouveau ?

K. M. Ce qui est en cause, c’est la vision qu’on a de l’histoire. Selon moi, celle-ci n’obéit pas à une tendance à se mouvoir vers je ne sais quel « avant ». Elle ne réalise pas inéluctablement le « progrès » comme le pensaient Kant, Hegel, Marx et, plus près de nous, Kojève-Fukuyama. Dans le devenir historique, il n’y a aucune fatalité. Quand l’URSS, créée par Lénine et Staline, s’est effondrée, nous n’avons eu ni un « retour en arrière » ni un progrès mais un vague mélange des deux,  incompatible avec la conception progressiste et irréversible de l’histoire.   

Il s’agit donc de savoir non pas comment nous adapter à ce qui arrivera nécessairement (le fameux « sens de l’histoire ») mais comment trouver les voies et les moyens de changer le monde dans un sens souhaitable qui, selon moi, doit aller vers la civilisation et non vers la barbarie. Dans cette recherche, nous n’avons aucune garantie de succès. Même le matérialiste et déterministe Lénine savait que nous étions au début du XXe siècle à la croisée des chemins. Il disait contre Rosa Luxembourg que l’humanité était placée devant le choix : « Socialisme ou Barbarie ». Nous savons que c’est le deuxième terme de l’alternative qui l’a emporté. Ne parlons pas du goulag, des camps d’extermination allemands, des deux guerres mondiales. Considérons seulement ce dont nous discutons, l’art. Dans ce domaine, l’Occident, encore dominant, exporte depuis un siècle sa barbarie alors qu’au XIXe siècle il exportait sa civilisation comme l’atteste le palais du roi de Thaïlande. Aujourd’hui les tours, les barres et les blocs informes ou extravagants (penchés et tout de travers) se voient partout au mépris du climat et des traditions locales. Il s’agit avant tout de faire « moderne » sans craindre ni l’horreur ni le ridicule.

Bref la question qui se pose est : comment faire pour que la création artistique et le Beau aient à nouveau droit de cité au lieu d’être de facto interdits ?

Jean Robin : …et soient financés …

K. M. Il faut qu’il le soient. Il y a toujours quelqu’un qui finance. Chez les Grecs, c’était la cité ce qui parfois soulevait des vagues. Il y eut ainsi des Athéniens qui trouvaient que le programme de Périclès coûtait trop cher. Alors ce grand homme répondit : si vous ne voulez pas payer, je le ferai moi-même de mes propres deniers mais sur le Parthénon et sous la statue chriséléphantine  sera gravée l’inscription « Ex Voto de Périclès ». Les protestations furent alors unanimes et on n’en parla plus.

Jean Robin : c’est le grand capital qui paye pour la conservation du patrimoine alors que l’Etat ne finance que « l’art contemporain ».

K. M. Il est vrai que l’Etat ou les responsables politiques locaux (tel Estrosi à Nice) défigurent nos villes au nom du soutien à « l’art contemporain » en érigeant sur les places publiques des tas de ferraille. Mais globalement, ce sont les méga-collectionneurs privés (comme Pinault ou Arnault) qui achètent l’art contemporain et en imposent la promotion. L’Etat n’a pas les moyens d’acheter les « œuvres » les plus cotées. Ce dont il fait l’acquisition (à New York plutôt qu’à Paris) c’est du second choix. Il n’empêche que les prix déboursés avec l’argent du contribuable sont tellement exorbitants qu’on les tient secrets.

Freysinger : On est passé du mécénat désintéressé au sponsoring pour lequel il y a un « retour sur investissement ».

 

A suivre       

    

12/06/2010

La guerre en philosophie

Althusser disait en citant Kant que la philosophie est un Kampfplatz, une lice, un champ clos. Récemment B.-H. Lévy a tenté de renouveler ce thème à son grand dam (voir ma note du 16 mars). Intervenant à mon tour, je serai modeste et prudent et me contenterai de prendre à mon compte une passage de Nietzsche tiré de Ecce Homo. Il s'applique très exactement à mon rapport à Badiou. Le voici: "Ma façon de pratiquer la guerre peut se résumer en quatre points. Premièrement : je n'attaque qu'un adversaire victorieux, et au besoin j'attends qu'il le devienne. Secondement : je n'attaque jamais que quand je suis sûr de ne pas trouver d'alliés [...] Troisièmement : je n'attaque jamais des personnes, je me sers d'elles comme de loupes pour rendre visibles les calamités publiques [...] Quantrièmement je n'attaque qu'en l'absence de tout différent personnel, ..."