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17/06/2007

Badiou historien

Plusieurs de mes notes ont déjà été consacrées à un examen critique des thèses concernant l'art défendues dans son livre Le siècle (2005) par Alain Badiou. Avant de poursuivre cet examen je voudrais introduire une parenthèse sur ses références à l'antiquité grecque. Elles peuvent paraître périphériques par rapport au centre de son propos mais elles nous en apprennent long sur l'érudition, pas toujours de bon aloi, qui étaye les tours de Babel théoriques au moyen desquelles il prétend escalader le ciel.

Le chapitre 8 du livre cité s'intitule "Anabase". Le mot est poétique et il est emprunté à des poètes mais comme toujours chez Badiou la poésie est étudiée pour sa signification philosophique. Malheureusement il ne s'en tient pas là et nous propose en préambule de longues considérations de philologie helléniste qui seraient passionnantes si elles ne s'appuyaient sur un grossier contresens. Qu'on en juge.

Anabase désigne traditionnellement un récit historique de Xénophon, plus précisément sa première partie qui raconte l'expédition lancée par Cyrus le jeune pour s'emparer du trône de Perse Elle se termine par la bataille de Cunaxa près de Babylone où le prétendant fut tué. Commence alors la seconde partie qui nous fait suivre la "retraite" (selon la traduction française) des soldats grecs recrutés par le prince rebel. Anabasis veut dire montée et aussi marche à l'intérieur d'un pays en s'éloignant des côtes (Anodos en est un synonyme). C'est pourquoi la première partie du livre de Xénophon porte le titre Kyrou anabasis.  

Ces explications étaient nécessaires pour mesurer l'énormité du contresens. Selon Badiou ""Anabase" va nommer le mouvement [des Grecs] vers "chez eux" (p 120). A la page suivante il nous dit que le verbe "anabanein ("anabaser" en somme) veut dire [...] "revenir"". Page 136 il cite les mots de Celan : "montée et retour" et précise qu'ils sont une "traduction tout à fait exacte du verbe anabanein". Les significations sont ainsi inversées. Chez Xénophon le chemin aller se dit "anabasis" et le chemin retour cathodos son antonyme. Cela donne Kathodos ton myrion (La retraite, ou le retour, des dix mille).

Badiou aggrave son cas en tirant de son erreur des gloses qui, on s'en doute, ont peu de chances d'être pertinentes. En revanche Saint-John Perse et Celan ne commettent aucune bévue lorsqu'ils donnent à des poèmes le titre Anabase. Chez eux ce mot fait allusion à la totalité du chef d'oeuvre de Xénophon et vaut par sa puissance évocatrice. Quand Badiou cesse de puiser à tort et à travers dans ses souvenirs d'helléniste en herbe pour commenter ces deux poètes, les réflexions qu'il nous offre peuvent être très éclairantes. Elles se concluent par ces interrogations tout à fait de saison : "Que veut dire "nous" en temps de paix?" "Comment passer du "nous" fraternel de l'épopée", serait-elle nihiliste (Saint-John Perse), "au "nous" disparate de l'ensemble" (Paul Celan)?  
 

Qu'on me permette enfin d'ajouter une petite remarque sur le chapitre de Logiques des mondes (2006) où Badiou analyse la bataille de Gaugamèles remportée par Alexandre le grand. Son adversaire Darius aurait eu le tort de compter sur les chars à faux pour rompre la phalange macédonienne. C'est ce que dit Arrien dans son livre L'anabase d'Alexandre. Curieusement un détail a échappé à Badiou; un détail qu'il aurait dû, plus que tout autre, avoir présent à l'esprit, à savoir le rapprochement avec l'autre "Anabase", celle de Cyrus le jeune, dont je viens de dire qu'il en a parlé à tort et à travers dans son précédent livre. Lors de la bataille de Cunaxa, l'adversaire de Cyrus, son frère aîné Artaxerxes, avait déjà tenté de briser la phalange grecque avec une charge de ses chars à faux. L'échec avait été complet. Bien entendu Alexandre avait lu de près Xénophon. Ce n'était pas le cas de Darius et de son état major. Les Perses n'avaient pas d'historiens. Ils ne savaient même pas que de tels animaux existaient sans quoi ils n'auraient pas eu de nouveau recours à une tactique dont l'expérience avait démontré l'inefficacité.  Leur infériorité militaire n'était donc pas sans rapport avec leur civilisation plus étriquée.  

  

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Badiou le rebelle

Pour illustrer la possibilité d'un art non-classique, Badiou cite un texte de Breton d'une facture des plus classiques. L'équivalent pictural d'un tel écrit pourrait ressembler à un tableau d'Ingres.

Badiou en retient surtout l'éloge de la rebellion serait-elle "extrêmement coûteuse en vies, en douleurs, en drames" (p.203). "Une des puissantes formes de la passion du réel (...) aura été, jusqu'à ces dernières années le refus hautain de comparaître devant le tribunal truqué des résultats économiques, sociaux, "humains" et autres" (ibid.). Par "autres" il faut surtout entendre le "sacrifice" de l'art (c'est le mot de Badiou) sur l'autel de l'avant-gardisme.

Notre ami ne se rend pas compte à quel point le pathos de la rebellion est daté (années 30-40). Aujourd'hui, la rebellion est une posture professionnelle, "un positionnement rentable", comme le faisait remarquer Guillaume Allary dans Le Monde du 31 mai 2007. Voici quelques extraits de cet article : "Brian Molko, chanteur rock, vient de porter plainte contre un hebdomadaire qui avait publié un photo de lui en train de promener son bébé en poussette (...). Motif? Atteinte à son image de marginal". (...) il "demande réparation (...) parce qu'on n'a pas dit du mal de lui.(...) Un artiste présenté comme androgyne, sulfureux et provocateur, bref comme un rebelle, reconnaît que ce prortrait n'est qu'une construction médiatique et qu'en plus c'est son fond de commerce".  



 

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