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10/05/2010

Un combat d'ombres : les champions de Freud versus Michel Onfray

Les arguments de Michel Onfray contre Freud et ceux de d'Elisabeth Roudinesco en sa défense sont bien connus et il n'y a pas lieu d'y revenir d'autant que les uns et les autres ne sont pas nouveaux. Mais il y eut des interventions dans ce débat, dues à des penseurs d'un autre calibre, sur lesquelles j'aimerais présenter quelques observations. « Les analysants, nous dit Daniel Sibony, n'ont que faire de savoir si Freud était un héros ou un sale type ». Certes, mais à condition que le compte rendu de ses travaux et recherches soit honnête car la validité de ses résultats en dépend. Or l'exactitude et la probité des observations de Freud ont aussi été contestées. Ce point essentiel n'est pas annulé du fait qu'on déclare anecdotiques ses compromissions avec les pouvoirs fascistes. Il reste que son témoignage s'est avéré non fiable, sa théorie fausse et sa cure inefficace. Sibony reconnaît que cette dernière ne guérit pas et va même jusqu'à s'en féliciter (Cf. Le Monde 8 mai 2010). Je ne contesterai pas que les écrits de Freud soient intéressants en tant que libres spéculations et qu'ils aient une place dans l'histoire des idées. On doit les étudier à ce titre même si les intuitions éclairantes y sont rares et les affirmations arbitraires monnaie courante comme dans ses opuscules sur Da Vinci et sur Moïse. Quant aux psychanalystes, ils sont sans doute utiles mais pas plus que des rebouteux ou des charlatans. Qu'ils aient une clientèle de luxe ne suffit pas pour leur accorder un statut moins modeste sur le plan du savoir.

Une autre phrase contestable dans l'article de Sibony est la suivante : « Je n'ai encore vu personne se tirer d'affaire et retrouver le chemin de sa vie parce qu'il a lu un manuel de philosophie ». Or c'est bel et bien la fonction que les anciens assignaient à la philosophie épicurienne ou stoïcienne et notamment à l'étude du Manuel d'Epictète. Lorsque celui-ci parle des progrès ou de l'avancement (procopé) de ses élèves, il se référait au même genre de bienfaits que ceux attribués par Sibony à la cure psychanalytique. Il est à peine nécessaire de mentionner le fait que chez beaucoup de nos contemporains, privés des secours de la religion, le divan a remplacé le confessionnal sans qu'ils gagnent au change. On ne peut en effet soigner l'âme en ignorant sa destination comme le reconnaissaient sans doute les psychanalystes catholiques Michel de Certeau et Françoise Dolto.

La position adoptée par Alain Badiou  dans cette affaire (Cf. Le Monde, ibid.) découle de sa décision de fixer à  l'histoire de la pensée un point d'arrêt. Impossible pour elle de dépasser la « décennie rouge 1965 - 1975 ». Quiconque le conteste est un « renégat ». Badiou attaque Onfray sans le nommer en faisant de lui le représentant de l'« obscurantisme contemporain » qui se réclame « d'un matérialisme de la jouissance » pour s'en prendre à la psychanalyse. Celle-ci serait intouchable parce qu'elle est un des trois « dispositifs de la pensée » que nous aurait légué le XIXe siècle « pour le bénéfice de l'humanité tout entière », les deux autres étant le marxisme et le darwinisme. Le mérite de ce dernier serait de séparer la vie et l'existence de l'espèce humaine de toute transcendance et de les rendre à l'immanence de leurs lois propres. Il s'agit là d'une thèse philosophique qui ne dépend pas du darwinisme. Cet immanentisme des lois de la nature, on le trouve déjà chez Spinoza. La contribution de Darwin est d'aller au-delà du principe général en proposant un mécanisme explicatif (à première vue plausible et séduisant) de la genèse des espèces. Il est vrai que le scénario qu'il a construit et ses variantes néo-darwiniennes n'ont pas été confirmés par l'expérimentation, contrairement à ce qu'affirme Badiou, mais on peut imaginer que plus tard un jour on en concevra encore un autre, tout aussi mécaniste, qui lui sera vérifié. Disons que le darwinisme fait partie du matérialisme méthodologique et avance des thèses pour la science au sens d'Althusser. Il s'agit, autrement dit, de spéculations philosophiques appliquées à la biologie naissante, une tentative (avortée) de penser le changement (l'évolution), dans l'ordre du vivant. On pourrait définir de même le marxisme comme ayant pour objet le changement social ce qui l'identifierait, selon Schumpeter, à la philosophie de l'histoire et la psychanalyse comme se proposant d'expliquer le devenir psychique d'une personne par l'histoire de sa première enfance. Dans ce cas aussi, nous sommes à cheval sur des spéculations philosophiques et une science réelle ou imaginaire.

Reste à connaître les raisons qui devraient nous contraindre à défendre ces trois « dispositifs » selon le terme utilisé par Badiou qui ne peut pas en faire des sciences et ne souhaite pas les classer dans la philosophie. Plus précisément, quels sont leurs titres à se voir reconnaître une validité quelconque ? La réponse que donne Badiou à ces questions relève comme toujours de la logomachie la plus creuse. Il lance des mots dont il espère qu'ils étendront raide mort tout contradicteur potentiel. Ces dispositifs seraient une « puissance neuve », ils exprimeraient une pensée « critique », « émancipatrice », leurs adversaires seraient des « conservateurs ». Mais le plus grand conservateur n'est-ce pas lui qui se veut le gardien de ces « grands dispositifs de pensée » ; ceux-ci n'ont-ils pas pour tâche d'« assurer la garde » « des quelques vérités disponibles »? Y a-t-il une différence entre « garder » et « conserver » ?

05/05/2010

Alain Badiou et Gerhardt Hauptmann

L'avenir de la civilisation et celui des êtres vivants, y compris nous-mêmes, sont de loin les problèmes qui me préoccupent le plus. Si je critique (avec courtoisie) Alain Badiou c'est à cause de ses prises de position contre l'art et contre une politique écologique visant à préserver la biosphère. Il annonce, comme Jean-Michel Besnier dans son livre Demain les posthumains, que l'humanité cessera bientôt d'être une espèce naturelle mais lui, contrairement à Besnier, envisage avec faveur la sortie de l'homme du règne animal et son entrée dans le règne des cyborgs. Cela me rappelle un passage du roman de Gerhardt Hauptmann L'Atlantide (1912). Un personnage incarnant le  savant darwinien scientiste et matérialiste s'y exclame avec enthousiasme : « Un jour viendra où la sélection artificielle sera obligatoire [...] Un autre jour viendra, encore plus beau, où des hommes tels que nous seront à peu près rangés dans la même classe où nous rangeons aujourd'hui les Boschimans ».

21/04/2010

Badiou et son missile téléguidé

 Une personne qui se dissimule sous le pseudonyme Communismes, sans doute téléguidée par un groupuscule badiousien, lance à mon encontre des attaques ad hominem et des imputations gratuites d’opinions dans lesquelles je ne saurais me reconnaître ; s’y ajoutent des spéculations sur mes motivations voire des prophéties sur ce que je suis destiné à devenir. Le tout dans un français approximatif et un style confus. Son ton hargneux prouve que ma réfutation du gourou de la secte a touché juste. Je lui répondrai dans l’esprit qui fut le mien lorsque j’écrivais le livre qui les chagrine tant : sine ira et studio (sans colère ni partialité) dans le seul but d’informer ceux qui me lisent.

1° Comme l’indique le sous-titre : Problèmes de théorie et d’histoire, mon livre Du Troskysme qui, soit dit en passant, a été traduit en quatre langues, n’était pas un simple pamphlet. C’est pour cette raison qu’on le recherche toujours, en particulier dans les pays anglo-saxons, près de quarante ans après sa parution. N’étant plus maoïste, j’ai refusé sa réédition en français malgré de nombreuses demandes.

2° J’ai de même saisi l’occasion de ma polémique avec Badiou pour exposer les résultats de mes investigations philosophiques sur plusieurs questions cruciales. En détruisant le faux, je construisais le vrai. N’est-ce pas aussi la fonction du livre où Badiou critique Deleuze ? A l’époque il était peu connu ; devait-on l’accuser de chercher à faire parler de lui parce qu’il s’attaquait à une célébrité ?

3° Le dénommé Communismes divise l’humanité en « blancs » et en « bronzés ». Il me reproche de ne pas être assez prévenu en faveur de ces derniers et de les vouer à l’expulsion. En réalité, mon seul tort est d’avoir laissé entendre que le peuple français a le droit de décider qui s’installe sur son territoire. Il n’y a là rien d’autre qu’un principe démocratique d’où la haine de ce régime professée par Badiou. Quant aux modalités d’application de ce principe, elles ne sont pas de mon ressort. Les fronts sur lesquels je me bats sont ailleurs. Néanmoins le mot d’ordre de Badiou « qui est ici est d’ici » est tellement absurde (et ridicule) qu’il donne des munitions aux xénophobes.

4° Il est un point sur lequel Badiou rejoint le Front National. Ils ont en commun une farouche hostilité à toute mesure en faveur de l’écologie. Pour le FN, le « réchauffement climatique est une imposture mondialiste ! » (cf. Droite ligne N° 2, avril 2010). Pour Badiou il ne faut pas "se laisser distraire [...] par les diversions millénaristes dont la principale aujourd'hui est l'écologie » ( cf. son Interview accordée à Pierre Gaultier parue sur Internet dans Le Grand soir).

5° En bon poujadiste, Communismes me reproche de défendre contre Badiou l’art et la civilisation. Il tient de telles préoccupations pour élitisme de dandy. Pour lui, si j’ai bien compris, seuls comptent les travailleurs immigrés. Il se trouve qu’ayant été moi-même un travailleur immigré j’ai retiré de cette expérience une meilleure opinion des membres de cette catégorie sociale que mon contempteur. Oui, un ouvrier peut apprécier un beau tableau si on le lui montre. J’en ai même connu un qui adorait la musique de Monteverdi mais non celle de Schönberg à qui le non-élitiste Badiou accorde la préférence.

 

 

12:19 Publié dans Culture | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : alain badiou

17/04/2010

Alain Badiou et l'amour

Dans son livre Eloge de l'amour (pp 44-46), Badiou récuse le scepticisme des moralistes au sujet de la déclaration : « je t’aimerai toujours ». Selon lui elle peut être sincère et se traduire dans les faits tout au long d’une vie. Il se donne même en exemple. A une exception près il n’aurait « jamais quitté un amour ». Moyennant quoi, et de son propre aveu, il a vécu au milieu d’un harem. Malgré ses dénégations, il usait de ruse et de restrictions mentales. Quand il disait « je t’aimerai toujours », il omettait de préciser « mais pas toi seule exclusivement ». Confondant de propos délibéré les deux notions, il jurait fidélité à ses maîtresses mais ne leur garantissait que la constance.

L’amour est une passion. Il engage, que dis-je, il déchaîne des affects. Pour communiquer cette expérience, il faut mobiliser toutes les ressources de la poésie (au sens de dichtung). En même temps, ces émotions peuvent et doivent être maîtrisées par la pensée rationnelle. Or Badiou, quand il parle de l’amour en philosophe, en est réduit à des énoncés d’une grande banalité car il est incapable de renouveler ces lieux communs éternels. Cela demande un certain talent littéraire Sur ce point, il se fait d’étranges illusions car il a toujours affiché des ambitions de dramaturge et de romancier, peut être par mimétisme de sartrien. Il ne se contente pas d’exposer aussi clairement que possible ses idées, il s’imagine qu’il peut ciseler une écriture artiste. Or son activité débordante ne lui en laisse pas le loisir. La perfection de la forme ne peut être recherchée par un polygraphe compulsif. En voulez-vous une preuve ? Lisez-donc cette phrase que je relève dans la « Présentation » de son dernier livre : « Je crois qu’il est vraiment, d’un bout à l’autre, ce que son titre dit qu’il est : un éloge de l’amour, proposé par un philosophe qui, comme Platon, que je cite, pense que ‘‘Qui ne commence pas par l’amour ne saura jamais ce que c’est que la philosophie’’ » (pp 10-11). Que dites-vous de ce style qui charrie des galets comme un gave pyrénéen, (à moins que son cliquetis n'évoque pour vous une crécelle) ? Pour moi j'estime que Badiou a mérité de figurer dans le livre des records. Onze fautes contre l’euphonie en une seule phrase!          

15:53 Publié dans Culture | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : alain badiou, amour