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04/09/2012

Au secours, les "vigilants" sont de retour!

Le Monde, qui a depuis longtemps  Richard Millet dans son collimateur, juge maintenant le moment favorable pour lui régler son compte. Ce journal cède ainsi de nouveau à son penchant invétéré à la diffamation dès lors qu’il a un alibi pour exercer sa principale fonction : la police de la pensée. Raphaëlle Rérolle, qui a été chargée de cette exécution, a recours à toutes les figures obligées de ce genre : glissements sémantiques abusifs, citations tronquées, enquête sélective et tendancieuse en commençant par ce titre où tout est faux : « L’apologie de Breivik par Richard Millet crée la polémique chez Gallimard » (Le Monde 28 août 2012). L’apologie au sens stricte est une défense et une justification alors que l’essai incriminé s’intitule « Eloge littéraire d’Anders Breivik ». Un éloge n’est pas nécessairement une apologie. Dans son oraison funèbre, Bossuet  fait l’éloge du grand Condé nullement son apologie puisqu’ il condamne l’engagement dans la Fronde du vainqueur de Rocroy ainsi que son invasion de la France à la tête de troupes espagnoles. De même, Millet n’approuve pas les actes de Breivik, et ne lui épargne pas ses critiques soulignant ainsi à plusieurs reprises la distance qui l’en sépare. Rérolle affecte de tenir pour négligeables ces précisions et les tient pour de simples « précautions » oratoires alors qu’elles clarifient en le restreignant le sens du mot « éloge » tout comme l’épithète dont il est assorti. Ne serait-il pas d’ailleurs honteux qu’un auteur soit obligé de dire des choses évidentes afin de couper court à des imputations calomnieuses ? Ce d’autant plus que Le Monde, comme on vient de le voir, ne se laisse pas dissuader si facilement. Ajoutons que la « polémique » à laquelle Rérolle se réfère est imaginaire. Tahar Ben Jelloun et Jean-Marie Laclavetine ne polémiquent pas entre eux, ils monologuent. Que pourraient-ils faire d’autre étant donné que tous deux sont de lâches « collaborateurs » de la « Propagande », comme dit Millet, c’est-à-dire du discours médiatique ? Pour sa part l’écrivain qu’ils attaquent a déclaré d’avance qu’il ne débat ni ne polémique avec personne[1]. Quant à Annie Ernaux, on ne la comprend que trop bien. Elle est l’archétype de l’écrivaillon « postlittéraire » qu’il écrase de son talent et de son mépris et dont l’hostilité rageuse est pour lui un titre d’honneur. L’intervention du Monde ne vise pas à discréditer Richard Millet, opération vaine auprès des gens qui le lisent, mais à le rendre odieux auprès des gens incapables de le lire ; le but final étant de le priver de son ancrage professionnel en faisant pression sur Antoine Gallimard. S’adressant à celui-ci, la journaliste lui signifie clairement ce qui lui reste à faire : se séparer d’un salarié, certes efficace comme éditeur, mais pas assez larbin[2].

   

Je reviendrai dans une prochaine note sur le fond du différend.



[1] Cf. De l’antiracisme comme terreur littéraire, Editions Pierre-Guillaume de Roux, Paris 2012, p 27.

[2] Antoine Gallimard n’a pas toujours résisté aux pressions de la bien-pensance médiatique comme on l’a vu en 2006 quand il renonça à publier, après l’avoir acceptée, une réfutation du libelle antiheideggerien d’Emmanuel Faye « complaisamment relayé"  par l’archi-vigilent Roger Pol Droit dans Le Monde, suivi par Le Point, Le Nouvel Observateur et Libération.

09/06/2012

Comment le non-art fait main basse sur les églises (suite)

Je reviens sur le dernier livre d’Aude de Kerros qui traite d’un épisode de la guerre  contre l’art, contre notre civilisation et finalement contre nous-mêmes en montrant comment le non-art et la logomachie pseudo-théorique qui l’accompagne ont squatté les églises et détourné leur fonction religieuse[1]. Sur le milieu du non-art et sa domination totalitaire, ce livre est une mine d’informations peu connues et néanmoins indispensables pour comprendre notre époque. Voici encore un exemple, parmi  tant d’autres, de ce qui est permis aux soi-disant « artistes contemporains » dans les lieux de culte. Qu’on soit ou non croyant on jugera de mauvais goût cette installation réalisée en septembre 2001 par Faust Cardinali dans le baptistère de Saint Sulpice. Un gigantesque échafaudage permettait de faire tomber de quatre mètre de haut du liquide vinylique sur des certificats de baptêmes ainsi occultés. Selon « l’artiste » il s’agissait du sperme de Dieu mais dans d’autres textes il faisait allusion au « sperme froid de Satan dont parlent les sorcières » (cité par Aude de Kerros pp 125-126).   

 L’essayiste sur lequel je m'appuie, encourt, cependant, la critique en se servant obstinément de l’acronyme AC dans lequel il est impossible de lire autre chose qu’art contemporain et qu’il faudrait bannir pour cette raison. Celui qui, en entier ou sous forme abrégée, emploie ce syntagme inventé par nos adversaires leur a, d’avance, tout concédé. La preuve en est qu’ils usent eux-mêmes de ce sigle loin d’en être gênés.  Guillaume Bernard a bien expliqué les méthodes de manipulation des lobbies dont le choix des mots, destiné à faire réagir l’auditeur en chien de Pavlov, est un des procédés les plus efficaces[2]. Refuser ce choix est le seul moyen de faire échec à la manipulation. Prenons l’habitude d’appeler un chat un chat. Aude de Kerros est d’accord avec moi sur le fond comme l’atteste la phrase suivante que je lui emprunte : « Le mot ‘’art’’ a aujourd’hui tous les contenus que l’on veut sauf le contenu originel du mot ». Autrement dit le prétendu art contemporain est tout ce qu’on voudra sauf de l’art. C’est exactement ce qui est signifié en le qualifiant de non-art. 

La valeur des artefacts que celui-ci nous propose est fabriquée grâce à un mécanisme très simple. Soutenu par les « inspecteurs de la création », Faust Cardinali  fait scandale à l’église Saint Sulpice. Cela fait monter sa cote. Autre exemple, tout récent : l’Etat met le Grand Palais à la disposition de Buren et finance les immenses affiches qui annoncent cette manifestation du génie des rayures. Le grand spectacle annoncé devient alors ipso facto un « événement » dont les médias se doivent de parler. Ceux qui ont acheté les gribouillages de cet anartiste emblématique voient alors leur investissement garanti et l’on repart pour un nouveau tour. C’est ce que Luc Ferry a dénoncé dans Le Figaro  du  24 Mai 2012 sous le titre « Monumenta(le) imposture ? ». 

Comment notre civilisation en est arrivée à cette déchéance ? Ayant fourni ailleurs une réponse développée à cette question[3], je me contenterai d’un survol en considérant surtout le moteur de ce mouvement, la surenchère dans la transgression qui a poussé l’art de renoncement en renoncement, de soustraction en soustraction, vers toujours moins de forme, toujours moins de sens et toujours plus d’amphigouri ; ceci suppléant cela. Depuis le début du XXe siècle, on a justifié ce qu’on voulait faire passer pour de l’art par le changement inévitable identifié à la marche en avant du progrès, le bouleversement des codes qui s’ensuit, l’avant-garde qui l’incarne, le relativisme et l’arbitraire du goût, le caractère autoréférentiel de la forme, la quatrième dimension (chez Duchamp), la nécessité d’être à la hauteur des découvertes scientifiques et des innovations techniques, l’impératif d’abandonner toute convention et toute règle pour qu’advienne l’« homme nouveau ». In fine on a prétendu qu’en tombant dans l’informe on s’élevait au sublime et maintenant on en est à prétendre que la scatologie est la manifestation la plus authentique du spirituel et du sacré, que profanation et blasphème sont l’expression d’un christianisme qui s’ignore[4]. A chacune de ces étapes était concocté un nouveau discours apologétique hétérogène aux précédents et incompatible avec eux. Rien d’étonnant, l’erreur est multiple, la vérité une. Oubliés par la plupart, ces discours finissent dans le cimetière des vieilles lunes. Le néo-chamanisme de Jean de Loisy qui reprend le mantra du « désordre », suivra le même chemin. Qui se réclame aujourd’hui de l’avant-garde,  qui se dit fidèle à la peinture pure ou  invoque l’homme nouveau ?      

Pour éloigner les conflits entre visions du monde et entre identités culturelles que l’art reflète nécessairement,  on a commencé par donner la préférence à un « art » sans contenu, puis, on s’est offert l’apparence d’un consensus en réduisant au silence les voix critiques grâce au soft power des médias. Ainsi, dans le domaine du prétendu « art contemporain », les puissances financières ont imposé le conformisme et la soumission les plus abjects de la part des intellectuels qui désirent exister, donc bénéficier d’une certaine visibilité. Qu’on ne compte pas sur la neutralité de l’Etat laïque dans un pays comme la France où des « inspecteurs de la création » discriminent  l’admissible (le non-art) et ce qui doit être exclu (l’art). Les hommes politiques qui ont autorité sur ces fonctionnaires dépendent, comme l’a révélé l’affaire Murdoch, des médias et  à leur tour ceux-ci dépendent des annonceurs, c’est-à-dire du grand capital. Or celui-ci tient à ce terrain de jeux spéculatifs et de reconnaissances réciproques qu’est le non-art. Le champ qui se découpe ainsi est en exception par rapport au « système politique moderne qui, nous dit Christophe Réveillard, privilégie […] la diversité plutôt que l’unité »[5].  C’est au contraire l’unité la plus rigoureuse sous une domination totalitaire qui prévaut dans ce secteur. Cette situation, loin de manifester la force du non-art, en trahit le néant. Ne pouvant soutenir le voisinage de l’art vivant, il l’interdit dans les musées. En revanche lui-même peut parasiter sans vergogne le palais de Versailles, le Louvre, les églises, les musées d’art classique.

Alors que les théoriciens de la gouvernance se revendiquant de Habermas mettent l’accent sur « les procédures garantissant un débat libre et argumenté », il y a un domaine où ce débat est tabou. Pourtant il porterait, au moins partiellement, sur l’utilisation des deniers publics. Quand les agents du ministère de la Création achètent à New York  des non-œuvres qualifiées  « art contemporain », ils font du prix déboursé un secret d’Etat et se dérobent à toute discussion sur les critères de leur choix. En outre, comme nous l’apprend Aude de Kerros, Jérôme Alexandre, qui dirige le département d’Art contemporain aux Bernardins, opposa une fin de non recevoir à la proposition d’un débat entre partisans et critiques de cet « l’art » préférant qu’il se déroule, c’est plus sûr, entre personnes du même avis (p 117).

L’unanimité dans les institutions qui ont présidé à la substitution du non-art à l’art, est révélatrice d’un mal qui atteint la légitimation de l’ordre établi. La démocratie et le pluralisme ont déserté une société où  l’on n’entend qu’un seul son de cloche. La faille ainsi  apparue dans  l’hégémonie idéologique des dominants est, certes, presque imperceptible pour la plupart des observateurs qui se soucient fort peu du destin de l’art et de la civilisation. L’oligarchie ferait bien pourtant de la surveiller car on ne peut en prédire l’évolution.      

 


[1] Sacré art contemporain. Evêques, Inspecteurs et Commissaires Jean-Cyrille Godefroy éditeur, sans lieu, 2012.

 

[2] Dans son chapitre sur les communautarismes de l’ouvrage collectif La guerre civile perpétuelle. Aux origines modernes de la dissociété, Artège éditeur, Perpignan 2012 p 176.

[3] Dans ma contribution intitulée « La grande usurpation ou comment le non-art fut substitué à l’art» in Art ou mystification huit essais, ouvrage bilingue (russe français), Rouskyi Mir Editeur, Moscou 2012.

[4] L’Eglise est sommée de donner sa bénédiction à ce genre de manifestations, puisque selon Jean de Loisy le blasphème  « est une relation avec le divin ».

[5] In La guerre civile perpétuelle, op cit p 77.

04/06/2012

Vers et poésie

 

Le modernisme n’a pas privé la seule peinture de l’essentiel de ses pouvoirs, ouvrant ainsi la voie au non-art pur et simple. Dans d’autres disciplines artistiques, un certain dépérissement est également perceptible quoique infiniment moins marqué. En relisant Athalie j’ai réfléchi sur la perte immense qu’a représenté l’abandon par la poésie de ses formes versifiées. Le stupide XXe siècle n’a pas compris que moins de contraintes signifie moins de ressources ; et qu’une forme (le vers), en elle-même sans valeur, peut produire de formidables effets de sens quand elle est au service d’une pensée. Considérez, entre mille autres exemples, cette stichomythie :

Athalie

[…] D’un fantôme odieux, soldats délivrez-moi.

Joad

Soldats du Dieu vivant, défendez votre roi.

Didascalie : Le fond du théâtre s’ouvre […] et les lévites armés sortent de tous côtés …

L’antithèse frappante entre « moi » et « roi » est renforcée par la rime qui, symétriquement, oppose à l’intérêt personnel du tyran aux mains sanglantes, la fonction de souveraineté impersonnelle de celui qui est l’image de Dieu, eikon basiliké, selon le titre grec de l’apologie attribuée à Charles Ier d’Angleterre. Racine n’aurait pu foudroyer la reine usurpatrice et impie de ce coup de théâtre sublime sans la régularité du vers classique.

18/12/2011

Avec Oskar Freysinger (suite)

 

"Serf ce peuple bâtissait des cathédrales, émancipé il ne construit que des horreurs"

Cioran

(Je remercie Jean Robin pour cette citation) 

 

Freysinger défend la conception romantico-anarchiste selon laquelle l’art est antinomique au pouvoir sauf l’art baroque qui serait à l’origine de tous les maux. Si je m’étais permis de l’interrompre, j’aurais pris la défense du baroque et notamment du Caravage, du Bernin, de Borromini et, en ce qui concerne sa thèse générale, j’aurais attiré son attention sur la multitude de contre-exemples prouvant que l’art est généralement au service des puissants même si l'on peut y reconnaître parfois une secrète connivence avec les courants souterrains qui manifestent les aspirations populaires.

Freysinger : Certaines œuvres d’art ont une vocation universelle.

K. M. C’est vrai car le pouvoir de toucher universellement est une caractéristique des grandes œuvres d’art. Elles ont ce pouvoir dans la mesure où elles expriment avec une intensité maximale les particularités individuelles, ethniques, civilisationnelles. En parlant de lui-même, le grand artiste parle de tous et s’adresse à tous car il partage avec ses congénères une même nature humaine. C’est ce qui explique que l’on puisse goûter les œuvres produites par des hommes appartenant à des cultures très éloignées de la nôtre. Encore faut-il qu’il s’agisse d’œuvres d’art susceptibles d’êtres distinguées comme telles. Nous avons donc une universalité chargée de sens à l’opposé de celle que revendiquent les objets appartenant au non-art contemporain, indiscernables d’un objet quelconque.

Jean Robin : Quelle solution ? Un retour en arrière ? Une prise en compte de ce qui s’est passé pour construire quelque chose de nouveau ?

K. M. Ce qui est en cause, c’est la vision qu’on a de l’histoire. Selon moi, celle-ci n’obéit pas à une tendance à se mouvoir vers je ne sais quel « avant ». Elle ne réalise pas inéluctablement le « progrès » comme le pensaient Kant, Hegel, Marx et, plus près de nous, Kojève-Fukuyama. Dans le devenir historique, il n’y a aucune fatalité. Quand l’URSS, créée par Lénine et Staline, s’est effondrée, nous n’avons eu ni un « retour en arrière » ni un progrès mais un vague mélange des deux,  incompatible avec la conception progressiste et irréversible de l’histoire.   

Il s’agit donc de savoir non pas comment nous adapter à ce qui arrivera nécessairement (le fameux « sens de l’histoire ») mais comment trouver les voies et les moyens de changer le monde dans un sens souhaitable qui, selon moi, doit aller vers la civilisation et non vers la barbarie. Dans cette recherche, nous n’avons aucune garantie de succès. Même le matérialiste et déterministe Lénine savait que nous étions au début du XXe siècle à la croisée des chemins. Il disait contre Rosa Luxembourg que l’humanité était placée devant le choix : « Socialisme ou Barbarie ». Nous savons que c’est le deuxième terme de l’alternative qui l’a emporté. Ne parlons pas du goulag, des camps d’extermination allemands, des deux guerres mondiales. Considérons seulement ce dont nous discutons, l’art. Dans ce domaine, l’Occident, encore dominant, exporte depuis un siècle sa barbarie alors qu’au XIXe siècle il exportait sa civilisation comme l’atteste le palais du roi de Thaïlande. Aujourd’hui les tours, les barres et les blocs informes ou extravagants (penchés et tout de travers) se voient partout au mépris du climat et des traditions locales. Il s’agit avant tout de faire « moderne » sans craindre ni l’horreur ni le ridicule.

Bref la question qui se pose est : comment faire pour que la création artistique et le Beau aient à nouveau droit de cité au lieu d’être de facto interdits ?

Jean Robin : …et soient financés …

K. M. Il faut qu’il le soient. Il y a toujours quelqu’un qui finance. Chez les Grecs, c’était la cité ce qui parfois soulevait des vagues. Il y eut ainsi des Athéniens qui trouvaient que le programme de Périclès coûtait trop cher. Alors ce grand homme répondit : si vous ne voulez pas payer, je le ferai moi-même de mes propres deniers mais sur le Parthénon et sous la statue chriséléphantine  sera gravée l’inscription « Ex Voto de Périclès ». Les protestations furent alors unanimes et on n’en parla plus.

Jean Robin : c’est le grand capital qui paye pour la conservation du patrimoine alors que l’Etat ne finance que « l’art contemporain ».

K. M. Il est vrai que l’Etat ou les responsables politiques locaux (tel Estrosi à Nice) défigurent nos villes au nom du soutien à « l’art contemporain » en érigeant sur les places publiques des tas de ferraille. Mais globalement, ce sont les méga-collectionneurs privés (comme Pinault ou Arnault) qui achètent l’art contemporain et en imposent la promotion. L’Etat n’a pas les moyens d’acheter les « œuvres » les plus cotées. Ce dont il fait l’acquisition (à New York plutôt qu’à Paris) c’est du second choix. Il n’empêche que les prix déboursés avec l’argent du contribuable sont tellement exorbitants qu’on les tient secrets.

Freysinger : On est passé du mécénat désintéressé au sponsoring pour lequel il y a un « retour sur investissement ».

 

A suivre