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26/03/2010

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25/03/2010

Ecologie et philosophie politique

La philosophie politique classique suppose que la raison puisse, par elle-même, déterminer ce qu'est la justice et, plus généralement, les fins ultimes de l'homme et de la cité. Héritier des classiques, Léo Strauss le pense aussi. En revanche, pour les modernes depuis Max Weber (et déjà depuis Kant), les jugements de valeurs ne peuvent s'appuyer sur la raison et celle-ci est inapte à trancher les conflits qui les opposent. Or pour autant que l'homme d'Etat admette le principe selon lequel sa fin est le bien commun, il est obligé de prononcer des jugements de valeur et de fonder sur eux ses choix et décisions. Il en va de même pour ses adversaires quand ils le critiquent. L'argumentation de Léo Strauss montre qu'il ne peut y avoir de science dont la rigueur s'établirait sur l'élimination des jugements de valeur, une science wertfrei, comme le voulait Max Weber. Mais de ce que les jugements de valeur sont nécessaires, il ne s'en suit pas que la philosophie politique soit en mesure de les fonder et donc de se fonder elle-même. Elle ne peut même pas en parler sans recourir à un métalangage[1]. C'est sans doute pour cette raison qu'Alvin Johnson a émis la thèse que cite en l'approuvant Eric Voegelin selon laquelle « ce n'est qu'à travers la religion qu'un ordre social est possible »[2]. Dieu nous offre par la révélation le métalangage nécessaire à la cohérence de tout discours. Comme dit Jean-Claude Milner : « A supposer qu'on ne croie pas au métalangage [ultime], qu'on ne construise donc pas l'énoncé suprême d'un Dieu ou d'une harmonie, rien n'assure personne que le Chaos n'existe pas, sinon que nul ne puisse le penser »[3].

Quand le même Voegelin met sa foi entre parenthèses, il lui faut chercher un autre fondement à la philosophie politique et il la fait « reposer sur une théorie de la nature humaine »[4]. En lui-même, ce fondement est faible mais il cesse de l'être si l'on admet que la nature humaine renvoie à la nature du Tout. On serait alors sur le terrain non de je ne sais quelle cosmologie mais d'une métaphysique théologique car la nature du Tout est sous-tendue par la Raison immanente à la création, autre nom du Logos. Il est pourtant impossible de construire une philosophie politique sur la Bible car il n'existe pas de mot biblique équivalent à « régime » ou politeia. Cela explique sans doute le rejet par le talmudiste Benny Lévy de ce qu'il appelait le « tout politique » caractéristique d'un certain marxisme soixante-huitard dont Jean-Claude Milner a aussi fait la critique mais d'un point de vue lacanien dans Les noms indistincts. Si l'on rejette ce point de vue extrémiste comme tous les points de vue unilatéraux et qu'on accorde à la politique sa juste place, la philosophie politique apparaîtra comme illustrant la nécessaire fusion et la dépendance réciproque de la raison naturelle et de la révélation, d'Athènes et de Jérusalem.

Les prétendues Lumières marquent l'échec de la philosophie dans sa vocation à penser et intégrer la religion. A la place de la théologie philosophique (d'un Saint Thomas d'Aquin par exemple) nous avons dû nous contenter de son substitut : la théologie athée de l'Histoire. La grandeur de l'homme consistant à être un animal qui a besoin de sens, il nous fallait un monde intelligible et l'esprit prométhéen de la modernité voulait que ce monde fût maîtrisable par la science et la technique au niveau physique et par l'action politique sur le plan de l'Histoire. Le marxisme nous offrait à cet égard une double garantie : une vision eschatologique concevant le mouvement objectif de l'Histoire comme orienté vers une fin (terme et but) et une science des lois de l'Histoire permettant de guider l'action politique volontaire. Cette dernière ne pouvait pas faire que le processus de gestation de l'Histoire eût un autre aboutissement mais seulement l'abréger et soulager les douleurs de l'enfantement. Bref l'homme qui s'était fait lui-même par le travail (Engels) continuait à être maître de son destin et, à condition de bien se prosterner devant les nouvelles idoles de l'Histoire, de la Modernité et du Progrès, recevait une promesse de salut éternel : le paradis communiste.

En face, le libéralisme avait en commun avec le marxisme l'économisme productiviste (l'idéologie du développement), la croyance au progrès et l'exaltation de la modernité. Ce sont les trois piliers du discours apologétique de l'ordre établi. La seule différence portait sur le changement social. Les capitalistes n'en veulent pas (on les comprend). En parlant de « la fin de l'histoire », Francis Fukuyama s'est exprimé en fidèle porte-parole de la classe dominante qui bouleverse constamment les rapports sociaux à l'exception de ceux sur lesquels ses privilèges sont assis. Son conservatisme obtus est néanmoins voué à l'échec. Les illusions sur les bienfaits du productivisme se dissipent malgré tous les efforts pour les perpétuer. En Angleterre une commission gouvernementale a mis au point des plans pour une "économie à niveau constant (steady state) prévoyant d'interdire la publicité à la télévision pour réduire le consumérisme. En Allemagne un best seller propose la "prospérité sans croissance".   Sur l'objectif de sauver la planète il semblerait que tous les peuples du monde aient un intérêt commun. Mais dès qu'il s'agit de partager le fardeau, il n'en va plus de même. Le salut de l'humanité exige que nous payions un prix dans l'immédiat en vue d'un bénéfice à moyen ou long terme. Par leur égoïsme, les dirigeants de  certains pays à savoir la Chine, les Etats-Unis et les pays émergents se rendent coupables d'un crime contre l'humanité en comparaison duquel les crimes commis au siècle précédent font figure de vétilles. En conséquence de quoi, les guerres écologiques ne sont pas loin. On se battra pour les terres et les mers, pour le ciel et les forêts, pour l'eau douce et l'atmosphère, pour sauver les abeilles, les lémuriens, les poissons et finalement tout simplement les hommes. Ne fuyons pas notre devoir. J'ai la faiblesse de croire en des valeurs, telles que la création dont nous avons la garde, supérieures aux valeurs en bourse et même à la vie d'individus éphémères.

L'égalitarisme dont l'emprise idéologique est très forte pourrait aggraver la dégradation écologique de la planète. Dès 2005, les émissions de CO2 des pays en voie de développement (excusez l'euphémisme) ont dépassé celles des pays développés et l'écart augmente rapidement parce que les pays riches font de gros sacrifices pour ne pas augmenter leurs émissions et y sont parvenus depuis plus de vingt ans alors que les émissions des autres montent selon une pente  abrupte. Or ces pays sont également responsables de l'explosion démographique. D'ores et déjà pour assurer à l'humanité son mode de vie actuel il faudrait près d'une planète et demie. Or l'empreinte écologique par habitant (la superficie nécessaire à ses besoins) augmente de presque un quart tous les dix ans. En même temps, selon Nicholas Stern, le changement climatique pourrait coûter jusqu'à 20% de la richesse mondiale. Pour éviter la catastrophe il faut regarder en face ces antagonismes au lieu de permettre au « politiquement correct » d'imposer ses tabous et interdits. Le secrétaire général de l'ONU n'exagérait nullement lorsqu'il s'est écrié « notre pied est bloqué sur l'accélérateur et nous nous dirigeons tout droit vers l'abîme ».


[1] Métalangage : Langage formalisé qui décide de la vérité des propositions du langage-objet. Le mathématicien Tarski a montré que les mots « vrai » et « faux » requièrent un métalangage. Langage qui sert à décrire la langue naturelle. La description du métalangage exige un métalangage supérieur et ainsi de suite à l'infini.

[2] Cf. Faith and Political Philosophy. The Correspondence between Leo Strauss and Eric Voegelin, University of Missouri Press, Columbia and London, 2004, p 36.

[3] Cf. Jean-Claude Milner Les noms indistincts, Seuil, 1983, p 62.

[4] Ibid. p 99.

16/03/2010

Bernard-Henri Lévy : un mystificateur mystifié

  Ayant suivi comme tout le monde la controverse autour de la bourde commise par Bernard-Henri Lévy je constate que tout n'a pas été dit sur cette affaire. Y ajouter mon grain de sel ne sera donc pas inutile. Certes, l'enjeu est nul, mais les occasions de rire ne sont pas si fréquentes.

B.-H. L. consacre un livre entier De la guerre en philosophie, à la question propre à flatter son narcissisme « comment je philosophe ?». Il philosopherait donc, voilà un point acquis. A moins que ...  Personne ne conteste qu'il ait écrit avec un certain talent de plume nombre d'essais dont tous ont été fêtés par les médias mais dont aucun n'a laissé une marque impérissable. Il a conquis une notoriété certaine par un marketing douteux. Si la qualité de son style n'est pas contestée l'originalité de ses idées n'a pas frappé ses confrères. Sans cela comment s'expliquer qu'il ne soit jamais cité par d'autres philosophes ? Il est significatif que la recension de son livre ait été confiée à Josyane Savigneau, critique littéraire, et que la seule personnalité qui ait volé à son secours ne soit ni un philosophe, ni un intellectuel mais Ségolène Royal.

Quoi qu'il en soit le Clausewitz des guerres philosophiques s'est fait piéger comme un bleu en chargeant un leurre, les escadrons Kantiens du Chaco, faute d'avoir déployé ses éclaireurs. B.-H. L. a cru à l'existence d'un philosophe nommé Jean-Baptiste Botul, il a lu le livre de cet auteur fantôme : La vie sexuelle d'Emmanuel Kant en le prenant au sérieux et il a en a tiré une interprétation extravagante de la philosophie de Kant. Selon l'auteur de cette mystification, Frédéric Pagès, il aurait suffit à B.-H. L. pour éviter sa méprise de jeter un coup d'œil sur Internet ou de ne pas lire à toute vitesse, « avec un ventilateur », dit-il. Notre star médiatique était pressée de nous faire part des révélations qu'il a puisées dans ce canular comme d'expliquer le monde nouménal par une jeunesse spirite et les phénomènes télépathiques auxquels Kant aurait cru. Sa « manie transcendantale » serait là « pour contenir une folie souterraine ». Enfin ces sornettes feraient l'objet, selon B.-H. L., d'un consensus parmi les savants puisqu'en l'en croire « les biographes savent, aujourd'hui, que [cette folie] le (Kant] menaçait plus qu'aucun autre » (p 123). J'en passe et de meilleures.

Comment croire à la compétence minimale d'un « philosophe » qui proclame ouvertement que pour comprendre Kant il faut connaître sa biographie (n'en déplaise à Marcel Proust) et s'adresse pour se renseigner sur elle à un Botul ? Comment y croire quand on lit ces mots : « Kant [...] dont Jean-Baptiste Botul a montré, au lendemain de la seconde guerre mondiale, dans sa série de conférences aux néo-kantiens du Paraguay que leur héros était un faux abstrait ... » etc. (122). Un philosophe ne peut ignorer que si des écrivains de valeur fleurissent dans un peu tous les pays, en revanche ceux où il y a des philosophes et une tradition philosophique se comptent sur les doigts d'une main. On connaît l'école néokantienne qui s'était formée en Allemagne avant la première guerre mondiale autour  d'Hermann Cohen. Mais des néokantiens au Paraguay, c'est-à-dire dans le coin du monde le plus perdu qu'on puisse imaginer, est une plaisanterie digne du Canard enchaîné où écrit Frédéric Pagès. Que B.-H. L. n'ai pas éclaté de rire en lisant ce trait en dit long sur son manque d'humour et son ignorance.

De cette dernière on trouvera autant de preuves qu'on voudra dans son livre déjà cité. Il attribue à Socrate (p 75-76) les vers d'Euripide que cite Platon dans le Gorgias « qui sait si vivre n'est pas mourir et si mourir n'est pas vivre ». Il croît qu'Althusser en « instruisant le procès de la « dialectique de la nature » s'en prend à Matérialisme et empiriocriticisme de Lénine alors que Dialectique de la nature est le titre d'un livre d'Engels. Il se réfère à Lacan « distinguant  ''le réel'' [...] de ''réalité'' (le monde en tant qu'il est soumis à l'ordre symbolique et du langage » (p 29). Or dans le nœud boroméen de Lacan la réalité appartient au registre de l'imaginaire si l'on en croit une des meilleures autorités en la matière : Jean-Claude Milner dans son livre Les noms indistincts. Je m'arrête là sans quoi on croira que je prends B.-H. L. au sérieux.

07/03/2010

Marianne cloue au pilori Alain Badiou

Dans son numéro du 27 février au 5 mars 2010 Marianne a publié un grand article d'Eric Conan intitulé : "Alain Badiou. La star de la philo est-il un salaud ?"  J'en extrais les passages qui me sont consacrés en les faisant suivre par une petite rectification. 

 

"Avec ce proséIytisme, l'UCFML [le groupuscule fondé par Alain Badiou] n’a guère dépassé les 500 militants à son apogée et n'a "récupéré que peu de maos dépités par la dissolution de la Gauche Prolétarienne en 1973. Le seul lien ­fut Kostas Mavrakis, ex-GP, qui "dirigeait Théorie et po1itique, revue ultra-« théoriciste » où il publiait Badiou : « Malgré mon amitié pour lui, je n'ai jamais eu l'idée "d'intégrer l'UCFML, trop sectaire. Ils n'avaient aucun lien. avec le monde ouvrier ; aucun établi. Ils étaient surtout hostiles aux "syndicalistes, les taxant de révisionnisme, vendus à la bourgeoisie, alors ­qu'à la GP on estimait qu'il fallait encourager la "combativité ouvrière, même sur des revendications réformistes, afin de la renforcer pour  plus tard»

 [...]

"Avec De quoi Badiou est-il le nom ? (L'Harmattan), qui vient de paraître, Kostas Mavrakis, devenu peintre adepte d'un classicisme "évoquant le réalisme socialiste, ­règle aussi ses comptes avec son ancien complice maoïste. Ils étaient pourtant restés proches. Badiou "défendant même Mavrakis, accusé il y a peu d"avoir publié un texte contre l'art moderne dans Krisis, la revue d’Alain de Benoist. Ils se "sont ­brouillés en 2006 comme deux enfants pour une affaire de tableau. Badiou se ­déclarant «propriétaire transcendant de Léda et le "cygne, l'œuvre préférée de Mavrakis, qu'il revendiquait et qu’il n’a jamais obtenue, son ami se sentant trahi par l’apologie de l'art "contemporain par Badiou dans son livre le Siècle. « C'est vrai, j'aurais bien accroché Léda et le cygne sur mon mur, mais le pro­blème "c'est que Kostas a vraiment bascu1é dans la réaction »? précise Badiou : les deux amis se sont séparés en 2009 par un échange de "1ettres en pleine ascension médiatique d'un Badiou triomphant auprès de son ex-ami : « L'heure du retour des vérités universelles est "venue et mon actuel destin public n’est  qu'un des symptômes flagrants de ce que la parenthèse réactive s'achève », lui écrivait-i1 en octobre dernier . « J’ai pensé au délire d’Althusser qui se voyait en dirigeant unique de la révolution. Mondiale, Badiou n'en est "plus très loin, commente Kostas Mavrakis. Un marxiste orthodoxe verrait dans sa célébrité médiatique une manœuvre de "récupération de la bourgeoisie : il est devenu le bouffon du capital. On le montre parce qu’il n’est pas dangereux, il peut même "rendre des services. »

Voici un extrait de la lettre par ailleurs très élogieuse que j'ai adressée à Eric Conan :

Malgré votre probité scrupuleuse, deux erreurs se sont glissées dans un passage qui me concerne. 1° il est inexact que je me sois brouillé avec Badiou « pour une affaire de tableau ». Ma réticence à lui donner la Léda ne fut pour rien dans notre rupture. Je m’étais d’ailleurs à peu près décidé à lui en faire cadeau quand il publia Le Siècle et c’est ce livre qui rendit l’affrontement inévitable. 2° Ma peinture n’évoque ni de près ni de loin le « réalisme socialiste ». Celui-ci est un art de propagande alors que mes tableaux cherchent seulement à procurer une délectation esthétique et quand ils ont un sujet il est emprunté à la mythologie. Par leur style, ces œuvres se rattachent à la grande tradition contrairement à l’école soviétique dans laquelle prédomine une facture impressionniste.