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29/05/2010

Uniformisation ou génocide (?)

La conception très particulière de l'universalisme que défend Badiou implique de privilégier le Même au détriment de l'Autre et le conduit à rêver d'un métissage général et global. Ce processus effacerait les « vieux particularismes auxquels revint l'honneur d'avoir créé les valeurs esthétiques et spirituelles qui donnent son prix à la vie ». Comme à Lévi-Strauss que je viens de citer, cette perte de diversité culturelle me semble un appauvrissement et un facteur de stérilité. Je pense en outre que Badiou n'a pas le sens des réalités. La preuve en est qu'il prône un Etat Binational en Palestine et la fusion de la France et de l'Allemagne. Ce qui s'y oppose dans les deux cas ce sont des différences irréductibles et potentiellement génératrices de conflits entre les deux peuples ainsi réunis. Le vieux maoïste qu'il est  devrait se souvenir d'une citation du président : « la différence est déjà une contradiction ». Mais pour Badiou ce sont là des considérations qu'il serait désastreux de prendre en compte. « Toute identification nationale, nous dit-il, est une identification des « autres » et celle-ci est un premier pas d'une « marche au massacre »[1]. Une fois encore, le sophiste triomphe chez Badiou. Depuis que le monde existe on a distingué les membres d'une tribu, les sujets d'un prince, les vassaux d'un seigneur, les citoyens d'une cité ou d'un Etat sans que cela conduise à des génocides. Ces crimes du XXe siècle ont eu, de toute évidence, d'autres causes que le classement (pour le coup universel) des individus en termes d'appartenance à un groupe social.


[1] Cf. Badiou / Finkielkraut : L'explication, Lignes 2010, p 71.

25/05/2010

Emission radio : "Picasso, génie ou imposteur?"

Lundi prochain, 31 mai 2010 de 19h30 à 21h 00, Henry de Lesquen reçoit dans son "Libre Journal" de Radio Courtoisie Jean-Louis Harouel et Kostas Mavrakis pour parler de Picasso.

24/05/2010

Badiou de l'avant-garde au pompiérisme

    Je terminerai mon examen critique des opinions de Badiou sur ce qu’il appelle « art » en commentant trois derniers passages de l’entretien accordé à During.

1) « Tendanciellement l’art du XXe siècle se centre sur l’acte plutôt que sur l’œuvre ».

2) « Le XXe  siècle […] a voulu inventer un matérialisme romantique. Soit une dissolution du geste créateur dans le Retour éternel de sa propre disparition. Mais les objets ne reviennent pas, seuls peuvent le faire les actes. D’où l’effacement de l’œuvre derrière son procès d’engendrement ». 

3) « Nous oscillons entre l’abjection de l’excrément rendu visible, et le sacré d’une trace qu’infinitise sa visible invisibilité » 

Mes observations :

- On pourrait aussi bien affirmer que les objets seuls reviennent, par exemple les urinoirs de Gober après celui de Duchamp. Les actes, eux, sont très différents. D’abord ses urinoirs Gober les a fabriqués de ses blanches mains ; ensuite le précédent de Duchamp confère une autre signification (et enlève tout intérêt) au geste de son imitateur.

- Effacement de l’œuvre derrière son procès d’engendrement ? Mais de quoi puisqu’il n’y a pas d’œuvre ? Qu’est-ce un engendrement qui n’engendre rien ? En tant qu’il se prétend œuvre d’art, l’urinoir est un pur néant. Rien n’y disparaît ; surtout pas une sirène (comme dans le sonnet de Mallarmé A la nue accablante tu).

- La troisième citation prouve que Badiou n’a même pas l’excuse d’ignorer ce qu’est l’art contemporain comme la plupart des intellectuels. Doués d’un instinct très sûr, ceux-ci évitent de s’exposer à des expériences pénibles. Lui, au contraire, est assez snob ou assez masochiste pour en courir le risque.

 

 Conscient pourtant de l'impasse où s'est égaré le prétendu art contemporain, notre philosophe considère qu'il lui incombe en tant que vates d'indiquer une issue. Il en propose même plusieurs. S'inspirer de la topologie, faire du cinéma en « inventant une sorte de ''nous'' anonyme comme celui qui unit les mathématiciens », ou encore « rendre visibles les conséquences d'un axiome sur le réel ». Les artistes savent maintenant ce qu'il leur reste à faire. Badiou, lui, s'est bien gardé dans ses œuvres littéraires de suivre ses propres directives : il a innové en démarquant les Misérables de Victor Hugo, La République de Platon, Les fourberies de Scapin de Molière. Impossible de faire plus pompier !

      

19/05/2010

Le XXIe siècle de Badiou, c'est du passé (suite)

Badiou ne se lasse pas de revenir sur le lien réciproque de l'universel et du vrai mais il l'entend en un sens surtout spatial plutôt que temporel : vérité en-deçà des Pyrénées, vérité au-delà. En revanche, selon lui, seul un pari permet d'anticiper la confirmation ultérieure de ce qu'on tient pour valable aujourd'hui. Je lui accorde que l'expérience future confirmera ou non certaines vérités mais j'affirme qu'en matière d'art l'expérience historique n'est pas moins concluante. Autrement dit, seul ce qui a un passé peut avoir un avenir. A ce compte, protestera Badiou, on devrait bannir de l'art toute nouveauté. Pas du tout. Reconnaissons seulement qu'il y a de l'invariant. C'est ce que lui-même fait à la page 27 de Logique des mondes en évoquant « un motif invariant, une vérité éternelle, qui est en travail entre le Maître de la grotte Chauvet et Picasso ». Ce dernier a-t-il innové ? Sans doute, de même que ses prédécesseurs qui ont sculpté les chevaux de Saint Marc (provenant de Delphes), ou peint les percherons de Rosa Bonheur pour ne rien dire des bêtes magnifiques d'Uccello et Delacroix. Ils sont très différents les uns des autres tout en incarnant au même degré la caballéité. Ainsi quelque chose ne change pas en art quand il y a du changement. Ce que nous disons des chevaux, nous devons aussi le dire de l'art qui les représente. En quarante mille ans, la peinture a connu de profondes mutations tout en restant de la peinture. Elle fut fidèle à son essence comme art (activité créatrice de formes signifiantes et prégnantes source d'émotion esthétique) et spécifiquement comme peinture en respectant les normes figuratives les plus scrupuleuses. Exigence mimétique et innovation stylistique sont parfaitement compatibles. Comment savons-nous que la figuration appartient à l'essence de la peinture ? L'histoire nous l'apprend. En grec cet art se dit zographia qui signifie dessin de figures (zoa) humaines ou animales. L'abstraction (art décoratif dégradé), n'est pas de la peinture car elle renonce au langage propre à cet art. De plus, n'étant pas universelle (aucune grande civilisation ne l'a connue) elle ne peut prétendre au statut de vérité artistique (au sens de Badiou). Si l'on veut mettre à l'épreuve une vérité en matière de peinture, donc selon Badiou une innovation formelle dans ce domaine, il faut vérifier son respect de cet invariant constitutif de l'essence du pictural, à savoir l'imitation du visible dans le cadre de la définition de l'art en général. C'est à cette condition que cette innovation appartient à l'histoire de la peinture.

Voyons maintenant comment, dans l'entretien accordé à During, Badiou respecte ou plutôt foule aux pieds les principes qu'il a lui-même énoncés. « Le propre du siècle, dit-il, a été de combiner le motif de la destruction et celui de la formalisation ». Virtuose des tours de passe-passe, Badiou commence par dire « le propre du siècle » pour passer quelques lignes plus loin à une généralisation vertigineuse. « Toute nouvelle ''école'' de l'art, plastique ... etc. peut-être définie comme une réponse à cette question » : « quelles sont les formes nouvelles dans lesquelles s'accomplit la destruction des anciennes représentations ? ». En associant nouveauté à destruction, Badiou apparaît comme tributaire de la vision du monde romantique mystico-anarchiste typique des intellectuels juifs au début du XXe siècle (lire Rédemption et utopie de Michael Löwy). De plus, il y ajoute une bonne dose de scientisme en  identifiant les « formes » en arts plastiques au formalisme axiomatique en mathématique, ce qui est une monstruosité conceptuelle. Si l'on tente de clarifier des questions qu'il embrouille à plaisir, on dira que le prétendu art moderne ou contemporain n'a pas détruit les anciennes formes de représentation ; il a détruit la représentation purement et simplement. Quant aux différentes ''écoles'' qui se sont succédé dans l'histoire de l'art, elles ne détruisaient rien au sens où le XX siècle a détruit. Le sculpteur Lyssipe avec son nouveau canon a-t-il détruit celui de Policlète ? En réalité, les soi-disant avant-gardes de ce siècle détruisaient l'art et du coup toute possibilité d'innovation formelle artistique. Badiou serait bien embarrassé s'il lui fallait indiquer l'invariance dans l'art au XXe siècle par rapport aux époques antérieures. Il a beau dire, l'art du XXIe  siècle qu'il envisage ne peut être qu'une morne répétition du non-art, donc un phénomène révolu.