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27/06/2012

Du fanatisme ordinaire

 

Une enseignante du lycée P. E. dans le 93 (je tairai son nom par charité chrétienne), refusa de faire passer le bac  dans la salle d’école qui lui avait été assignée parce qu’elle était ornée d’un crucifix. Elle jugeait sans doute que dans la France républicaine personne ne devrait subir de discrimination, même pas les vampires. L’idée ne lui a pas traversé l’esprit que les élèves, à leur tour, auraient été en droit de ne pas se présenter devant un examinateur aussi intolérant et incapable du minimum de neutralité requis par sa fonction. Représentant l’Etat, elle est tenue de se conformer aux instructions qu’elle reçoit. Ce n’est pas à elle de décider des locaux où se déroulent les épreuves d’un examen. Si elle souhaite faire des observations elle doit les transmettre par écrit et par la voie hiérarchique.

Cet incident confirme les progrès d’un mal insidieux : le fanatisme athée qui ne le cède en rien à celui des bigots. Si on ne lui donne pas un coup d’arrêt il nous ramènera aux âges les plus sombres de notre histoire.  

19/06/2012

Que gagne-t-on en travaillant?

Je me suis amusé à rédiger quelques réflexions à propos d’un sujet qui vient d’être donné au bac L

 

Que gagne-t-on en travaillant ?

 

Sujet éminemment philosophique, justement parce qu’il n’en a pas l’apparence. Comme ceux qui introduisent certains dialogues socratiques, il est formulé avec des termes de la langue courante et semble appeler une réponse coulant de source : « on gagne sa vie, pardi ! ». Or on ne peut se contenter de cette évidence car elle s’applique également aux castors ou aux abeilles qui eux aussi s’activent pour gagner leur vie, c’est-à-dire pour assurer leur reproduction et faire que leur groupe perdure. Cette question, ce sont des hommes qui se la posent et ils ne peuvent être réduits à une espèce animale sociale. Il nous faudra donc continuer à nous interroger. Que signifie travailler ? Que signifie gagner ?

« Travailler » est une activité entraînant une dépense d’énergie et qui aboutit à la transformation de matières premières en produits finis, ces expressions étant entendues tant au sens propre qu’au sens figuré. « Gagner » veut dire, dans ce cas, obtenir un avantage qui compense, justifie et motive cette dépense d’énergie. La motivation rationnelle relève du calcul sans que cela implique qu’il soit conscient car le tri de ce qui est rationnel et de ce qui ne l’est pas peut se faire par des mécanismes de type darwinien.

Ces considérations, cependant, tombent sous le coup de l’objection que nous nous sommes déjà faite. Elles ne vont pas au-delà des intérêts biologiques et de ce qui en nous participe de l’animalité. Il est vrai que pour certains penseurs matérialistes, tels Friedrich Engels, c’est le travail qui a déterminé l’évolution de la main et indirectement celle du langage et du cerveau. Ainsi à l’échelle des âges géologiques, l’homme serait le produit du travail. On ne peut cependant retenir cette théorie car elle a été infirmée par les progrès de l’éthologie et de la paléontologie. Entre le travail proprement humain et celui de nos ancêtres anthropoïdes, il n’y a aucune continuité, comme le prouve le fait que la création artistique est aussi vieille que l’humanité. On a découvert des flûtes et des peintures rupestres vieilles de quarante-cinq mille ans et contemporaines de l’homme de Cro-Magnon à ses débuts. Dès son apparition, l’homme se livre à des activités désintéressées qui engagent son intellect. Par son travail dans ces domaines,  il opère des transformations autres que matérielles qui déterminent des gains qui ne le sont pas non plus. En faisant, l’homme se fait. L’élève ou l’étudiant qui travaillent se transforment eux-mêmes en tant qu’êtres pensants. Le chercheur transforme les résultats de ses observations ou expérimentations en conjectures, hypothèses, théories qui ajoutent à nos connaissances. Tels sont les gains que nous obtenons dans ce domaine spécifique à l’homme qui est de l’ordre du spirituel.

Qu’en est-il alors de l’ouvrier, appendice de la machine ou rivé à la chaîne ? Cette activité aussi peut nous transformer positivement si nous en  tirons une prise de conscience qui nous  conduise à nous révolter ou à partir sur la grand-route comme Charlot dans Les temps modernes.  Plus fondamentalement, et en se plaçant à l’échelle de l’histoire mondiale, il convient d’évoquer à ce propos Hegel et sa dialectique du maître et de l’esclave. Ce dernier recouvre son humanité par le travail. En transformant la nature, il transforme sa propre nature parce que chemin faisant il rend cette activité créative et libre. Même au niveau de l’individu, le travail est le seul moyen d’obtenir indépendance et dignité, ces biens plus précieux que tous les objets que nous promet la société de consommation.

15:37 Publié dans Philosophie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : engels, hegel

14/06/2012

Mélanchon, Trierweiler : comédies et proverbes

A défaut d’autre chose, la vie politique offre mainte occasion de rire à l’instar de Démocrite, si l’on est sanguin, ou de pleurer comme Héraclite le mélancolique. Cependant, quel que soit son tempérament, le moyen de ne pas réagir par une franche gaîté devant le crêpage de chignon qui fait les choux gras du monde médiatique ? Nil novum sub sole. Quoi qu’en disent les progressistes, les innovations techniques et les « changements des mœurs » laissent intacte la nature humaine. Le même amusement désabusé a dû accueillir la déconvenue de Mélanchon. Voilà un révolutionnaire échevelé qui, se prenant pour saint Georges devant le dragon, proclame qu’il n’est pas à la recherche d’un siège mais d’une bataille. Le fiasco de ce matamore fait penser à deux adages, l’un chinois : « Soulever une pierre pour se la laisser tomber sur le pied », l’autre grec : « Tel s’en fut chercher de la laine qui revint tondu ». Une sentence semblable se trouve dans The Fair maid of Perth de Walter Scott : « He who goes forth to seek such wool should come back shorne ».

09/06/2012

Comment le non-art fait main basse sur les églises (suite)

Je reviens sur le dernier livre d’Aude de Kerros qui traite d’un épisode de la guerre  contre l’art, contre notre civilisation et finalement contre nous-mêmes en montrant comment le non-art et la logomachie pseudo-théorique qui l’accompagne ont squatté les églises et détourné leur fonction religieuse[1]. Sur le milieu du non-art et sa domination totalitaire, ce livre est une mine d’informations peu connues et néanmoins indispensables pour comprendre notre époque. Voici encore un exemple, parmi  tant d’autres, de ce qui est permis aux soi-disant « artistes contemporains » dans les lieux de culte. Qu’on soit ou non croyant on jugera de mauvais goût cette installation réalisée en septembre 2001 par Faust Cardinali dans le baptistère de Saint Sulpice. Un gigantesque échafaudage permettait de faire tomber de quatre mètre de haut du liquide vinylique sur des certificats de baptêmes ainsi occultés. Selon « l’artiste » il s’agissait du sperme de Dieu mais dans d’autres textes il faisait allusion au « sperme froid de Satan dont parlent les sorcières » (cité par Aude de Kerros pp 125-126).   

 L’essayiste sur lequel je m'appuie, encourt, cependant, la critique en se servant obstinément de l’acronyme AC dans lequel il est impossible de lire autre chose qu’art contemporain et qu’il faudrait bannir pour cette raison. Celui qui, en entier ou sous forme abrégée, emploie ce syntagme inventé par nos adversaires leur a, d’avance, tout concédé. La preuve en est qu’ils usent eux-mêmes de ce sigle loin d’en être gênés.  Guillaume Bernard a bien expliqué les méthodes de manipulation des lobbies dont le choix des mots, destiné à faire réagir l’auditeur en chien de Pavlov, est un des procédés les plus efficaces[2]. Refuser ce choix est le seul moyen de faire échec à la manipulation. Prenons l’habitude d’appeler un chat un chat. Aude de Kerros est d’accord avec moi sur le fond comme l’atteste la phrase suivante que je lui emprunte : « Le mot ‘’art’’ a aujourd’hui tous les contenus que l’on veut sauf le contenu originel du mot ». Autrement dit le prétendu art contemporain est tout ce qu’on voudra sauf de l’art. C’est exactement ce qui est signifié en le qualifiant de non-art. 

La valeur des artefacts que celui-ci nous propose est fabriquée grâce à un mécanisme très simple. Soutenu par les « inspecteurs de la création », Faust Cardinali  fait scandale à l’église Saint Sulpice. Cela fait monter sa cote. Autre exemple, tout récent : l’Etat met le Grand Palais à la disposition de Buren et finance les immenses affiches qui annoncent cette manifestation du génie des rayures. Le grand spectacle annoncé devient alors ipso facto un « événement » dont les médias se doivent de parler. Ceux qui ont acheté les gribouillages de cet anartiste emblématique voient alors leur investissement garanti et l’on repart pour un nouveau tour. C’est ce que Luc Ferry a dénoncé dans Le Figaro  du  24 Mai 2012 sous le titre « Monumenta(le) imposture ? ». 

Comment notre civilisation en est arrivée à cette déchéance ? Ayant fourni ailleurs une réponse développée à cette question[3], je me contenterai d’un survol en considérant surtout le moteur de ce mouvement, la surenchère dans la transgression qui a poussé l’art de renoncement en renoncement, de soustraction en soustraction, vers toujours moins de forme, toujours moins de sens et toujours plus d’amphigouri ; ceci suppléant cela. Depuis le début du XXe siècle, on a justifié ce qu’on voulait faire passer pour de l’art par le changement inévitable identifié à la marche en avant du progrès, le bouleversement des codes qui s’ensuit, l’avant-garde qui l’incarne, le relativisme et l’arbitraire du goût, le caractère autoréférentiel de la forme, la quatrième dimension (chez Duchamp), la nécessité d’être à la hauteur des découvertes scientifiques et des innovations techniques, l’impératif d’abandonner toute convention et toute règle pour qu’advienne l’« homme nouveau ». In fine on a prétendu qu’en tombant dans l’informe on s’élevait au sublime et maintenant on en est à prétendre que la scatologie est la manifestation la plus authentique du spirituel et du sacré, que profanation et blasphème sont l’expression d’un christianisme qui s’ignore[4]. A chacune de ces étapes était concocté un nouveau discours apologétique hétérogène aux précédents et incompatible avec eux. Rien d’étonnant, l’erreur est multiple, la vérité une. Oubliés par la plupart, ces discours finissent dans le cimetière des vieilles lunes. Le néo-chamanisme de Jean de Loisy qui reprend le mantra du « désordre », suivra le même chemin. Qui se réclame aujourd’hui de l’avant-garde,  qui se dit fidèle à la peinture pure ou  invoque l’homme nouveau ?      

Pour éloigner les conflits entre visions du monde et entre identités culturelles que l’art reflète nécessairement,  on a commencé par donner la préférence à un « art » sans contenu, puis, on s’est offert l’apparence d’un consensus en réduisant au silence les voix critiques grâce au soft power des médias. Ainsi, dans le domaine du prétendu « art contemporain », les puissances financières ont imposé le conformisme et la soumission les plus abjects de la part des intellectuels qui désirent exister, donc bénéficier d’une certaine visibilité. Qu’on ne compte pas sur la neutralité de l’Etat laïque dans un pays comme la France où des « inspecteurs de la création » discriminent  l’admissible (le non-art) et ce qui doit être exclu (l’art). Les hommes politiques qui ont autorité sur ces fonctionnaires dépendent, comme l’a révélé l’affaire Murdoch, des médias et  à leur tour ceux-ci dépendent des annonceurs, c’est-à-dire du grand capital. Or celui-ci tient à ce terrain de jeux spéculatifs et de reconnaissances réciproques qu’est le non-art. Le champ qui se découpe ainsi est en exception par rapport au « système politique moderne qui, nous dit Christophe Réveillard, privilégie […] la diversité plutôt que l’unité »[5].  C’est au contraire l’unité la plus rigoureuse sous une domination totalitaire qui prévaut dans ce secteur. Cette situation, loin de manifester la force du non-art, en trahit le néant. Ne pouvant soutenir le voisinage de l’art vivant, il l’interdit dans les musées. En revanche lui-même peut parasiter sans vergogne le palais de Versailles, le Louvre, les églises, les musées d’art classique.

Alors que les théoriciens de la gouvernance se revendiquant de Habermas mettent l’accent sur « les procédures garantissant un débat libre et argumenté », il y a un domaine où ce débat est tabou. Pourtant il porterait, au moins partiellement, sur l’utilisation des deniers publics. Quand les agents du ministère de la Création achètent à New York  des non-œuvres qualifiées  « art contemporain », ils font du prix déboursé un secret d’Etat et se dérobent à toute discussion sur les critères de leur choix. En outre, comme nous l’apprend Aude de Kerros, Jérôme Alexandre, qui dirige le département d’Art contemporain aux Bernardins, opposa une fin de non recevoir à la proposition d’un débat entre partisans et critiques de cet « l’art » préférant qu’il se déroule, c’est plus sûr, entre personnes du même avis (p 117).

L’unanimité dans les institutions qui ont présidé à la substitution du non-art à l’art, est révélatrice d’un mal qui atteint la légitimation de l’ordre établi. La démocratie et le pluralisme ont déserté une société où  l’on n’entend qu’un seul son de cloche. La faille ainsi  apparue dans  l’hégémonie idéologique des dominants est, certes, presque imperceptible pour la plupart des observateurs qui se soucient fort peu du destin de l’art et de la civilisation. L’oligarchie ferait bien pourtant de la surveiller car on ne peut en prédire l’évolution.      

 


[1] Sacré art contemporain. Evêques, Inspecteurs et Commissaires Jean-Cyrille Godefroy éditeur, sans lieu, 2012.

 

[2] Dans son chapitre sur les communautarismes de l’ouvrage collectif La guerre civile perpétuelle. Aux origines modernes de la dissociété, Artège éditeur, Perpignan 2012 p 176.

[3] Dans ma contribution intitulée « La grande usurpation ou comment le non-art fut substitué à l’art» in Art ou mystification huit essais, ouvrage bilingue (russe français), Rouskyi Mir Editeur, Moscou 2012.

[4] L’Eglise est sommée de donner sa bénédiction à ce genre de manifestations, puisque selon Jean de Loisy le blasphème  « est une relation avec le divin ».

[5] In La guerre civile perpétuelle, op cit p 77.