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12/12/2009

Dan Brown suite

Dan Brown fait étalage, ai-je dit, d'une érudition qui se laisse souvent prendre en défaut. En voici quelques exemples.

A la page 97 de l'édition anglaise, le héros (toujours cuistre) fait la leçon à un policier au sujet de nos chiffres qui seraient « arabes ». L'auteur ignorerait-il qu'ils sont en fait une invention indienne ?

D. B. croit savoir (p 223) que le mot Andros signifie « guerrier » en grec alors que c'est le génitif d'aner signifiant homme (mâle). Il prétend aussi que Dareios veut dire « riche dans la même langue. C'est seulement le nom d plusieurs rois perses qui étaient, certes, opulents mais pas au point que leur nom soit devenu commun comme celui du roi de Lydie Crésus.

A la page 287 D. B. nous apprend que les Mayas décapitaient leurs prisonniers au sommet de leur pyramides. En réalité les prêtres de ce peuple, comme ceux des Aztèques, ouvraient la poitrine des victimes pour en arracher le cœur qu'ils offraient à leurs divinités.

Page 499, D. B. confond l'encéphale et les méninges. A partir de cette erreur il développe des considérations fumeuses sur une prétendue analogie entre le cerveau et le temple de Dieu.

Page 313, D. B., tout à sa passion antichrétienne,  parle de « la notion hérétique d'une terre sphérique ». L'histoire de la cosmographie n'est évidemment pas son fort. Les Grecs ont su très tôt que la terre était sphérique et en avaient calculé même les dimensions. Ces vérités n'ont jamais été contestées par les pères de l'Eglise bien qu'elles fussent en contradiction avec le sens littéral de certains passages de la Bible. C'est pourquoi Christophe Colomb n'a pas été accusé d'hérésie.  

D. B. prétend que Paracelse appartenait aux Rose-Croix dont pourtant les textes fondateurs déclarent explicitement que le grand ésotériste était étranger à la confraternité, au demeurant imaginaire.

Page 320, on lit que « des douzaines de grands scientifiques  (scientists) étaient membres [des Rose-Croix] tels que John Dee, Elias Ashmole, Robert Fludd ». En fait, ces personnages n'étaient  savants qu'en « sciences occultes ». De plus, ils ne pouvaient être comptés parmi les Rose-Croix pour deux raisons. 1° cette confraternité n'a jamais existé ; 2° étant censée être rigoureusement secrète à l'époque où elle fut inventée, celui qui se disait Rose-Croix était sûr de passer pour un imposteur. Les auteurs qui, comme Robert Fludd, en prenaient la défense, précisaient  toujours qu'ils n'étaient pas dignes d'y être accueillis.

Dan Brown se fait le champion de l'idéologie et de la mythologie de Francs-Maçons dans lesquels il fusionne les Rose-Croix. Pour cela, il lui faut ignorer la véritable histoire des uns et des autres dont je rappellerai quelques données.

Le fantasme des Rose-Croix est né avec la parution des manifestes anonymes Fama fraternitatis en 1614 et Confessio en 1615. Ces textes offraient une synthèse du  millénarisme (Joachim de Fiore), de la mystique chrétienne (Maître Eckart, Thomas a Kempis), de la tradition ésotérique, enfin, qui se réclamait de Pythagore, Hermès Trismégiste et Paracelse. L'auteur insiste sur cette dernière composante (qui comprend l'alchimie) au détriment des deux autres, trop chrétiennes à son gré. Il l'intègre à l'histoire que les Francs-Maçons se sont fabriquée, en y incluant les Templiers, à l'aide d'innombrables faussaires dont le principal est Kiesewetter. Les manifestes ont été rédigés par un cénacle de théologiens (ou plutôt théosophes) et d'érudits en « sciences occultes » ayant pour inspirateur Johann Valentin Andreae de Tubingen. Ils y exprimaient une aspiration à la rénovation spirituelle du luthéranisme rendu d'autant plus urgente qu'on approchait, selon eux, de la fin des temps. Leur but était donc sérieux mais pas le moyen utilisé, à savoir une plaisanterie ou encore un jeu (ludibrium) intellectuel. Devant la tempête soulevée par ces écrits attaqués par les uns, défendus par les autres, mais toujours pris au sérieux, leurs auteurs paniquèrent en s'apercevant que l'affaire devenait incontrôlable et pouvait les conduire au bûcher. Ils se retirèrent pour se consacrer à leurs affaires privées laissant exposé Andreae dont l'implication était généralement soupçonnée. Le malheureux dut passer sa vie à se disculper en dénonçant pour commencer les Rose-Croix inventés par lui. Cependant il revendiqua comme péché de jeunesse le roman initiatique intitulé Les noces chimiques de Christian Rosenkreutz qu'il prétendit avoir écrit en 1604 alors qu'il le publia en 1616 quand il avait trente ans. L'affaire prit fin en 1619 mais en 1623 d'autres plaisantins apposèrent nuitamment des affiches rosicruciennes à Paris. Un siècle plus tard naissaient à Londres les premières loges maçonniques sur la base des « constitutions » rédigés par James Anderson.  C'est à ce moment que commence l'histoire des Maçons et non à l'époque de la construction du temple de Salomon comme ils le prétendent et comme le répète le naïf Dan Brown. Celui-ci ajoute foi aux récits fantastiques concernant les nobles ancêtres de la maçonnerie parmi lesquels brillent les Rose-Croix. Il prend au sérieux les sornettes au sujet des savants de la stature d'un Newton qui en auraient été membres, si bien qu'il fait dire à son héros (pourtant censé être sceptique) que tout savant devrait lire les manifestes.      

   Pour conclure je ferai deux remarques :

- L'histoire des prétendus Rose-Croix qui forment aujourd'hui des organisations puissantes dans les pays anglo-saxons montre qu'un nom, un simple flatus vocis, suffit, parfois, à susciter le référent auquel il est censé renvoyer. Le pivot du roman d'Umberto Eco, Le pendule de Foucault, est cette même idée. En consultant divers documents, un des personnages de ce livre tombe sur le sigle T.R.E.S. que personne ne peut lui expliquer. Il suppose alors qu'il vaut pour Templi Redivivi Equites Synarchici soit Chevaliers Synarchiques du Temple Ressuscité. Tous les toqués férus  d'ésotérisme et de légendes templières se regrouperont alors sous cette bannière et finiront par tuer celui qui les avait involontairement appelés à l'existence.     

- Ma seconde réflexion porte sur le seul élément sérieux et hautement significatif du roman de D. B. qui, noyé dans la propagande pro-maçonnique, risque pourtant de passer inaperçu. Un des ressorts du conflit dans lequel se trouve impliqué le héros est la mobilisation de la CIA pour faire face à une « crise nationale voire mondiale ». Il faut à tout prix empêcher la catastrophe qui s'abattrait si les peuples prenaient  connaissance d'une réalité soigneusement cachée à savoir qu'ils sont gouvernés par une oligarchie liée par d'effroyables serments au sein d'une société secrète : celle de la maçonnerie internationale. Le héros se rallie à la CIA pour protéger le secret dont la révélation rendrait le monde ingouvernable.

12:21 Publié dans Culture | Lien permanent | Commentaires (0)

02/12/2009

Bertold Brecht et la démocratie directe

Un grand journal du soir exprime dans son éditorial daté du 2 décembre l'indignation que lui inspire la "votation" suisse contre les minarets. Il est opportun de rappeler à cette occasion une anecdote. En 1953 Neues Deutschland organe du Parti communiste en Allemagne de l'est blâma sévèrement les manifestants qui avaient affronté à Berlin les chars soviétiques. Le dramaturge Bertolt Brecht fit alors cette remarque: "Puisqu'il n'est pas question de changer de gouvernement, il faudrait sans doute changer de peuple".

P. S. ajouté le 5 décembre.

Dans ce même journal d'hier Agathe Duparc se montre sérieusement énervée par la démocratie directe en interrogeant Micheline Calmy-Rey chef de la diplomatie helvétique. Celle-ci lui répond: "si ce vote avait eu lieu ailleurs, en France par exemple, il aurait donné le même résultat." Autrement dit ce n'est pas la Suisse qui est xénophobe, c'est la France qui n'est pas démocratique.

 

"Le Symbole perdu" de Dan Brown

Dan Brown, devenu mondialement célèbre avec son Da Vinci Code, avait donné à cette occasion une brillante démonstration de son talent de conteur. On doit aussi lui reconnaître une louable absence d'ambition littéraire, celle-ci étant hors de sa portée. Malheureusement cette modestie ne s'étend pas au domaine des idées. Il en a, ou plutôt il en emprunte beaucoup en matière de philosophie et d'histoire des religions sans disposer du savoir permettant de les trier ou de les étayer. Plusieurs journalistes ont publié des guides utiles montrant comment l'histoire en général et celle du christianisme en particulier ont été falsifiées dans le Da Vinci Code. Son dernier roman : The lost Symbol, confirme l'art de construire des intrigues de Dan Brown mais aussi, hélas, sa désinvolture intellectuelle. Celle-ci se donne sous les dehors d'un sérieux et d'un aplomb qui laissent pantois. L'auteur s'affirme, certes, à nouveau comme un maître du suspense. En revanche la sauce idéologique dans laquelle baigne son récit est franchement indigeste. Une mise en garde contre son penchant à la mystification et son étalage de connaissances frelatées s'impose d'autant qu'il insiste sur la réalité factuelle des principaux éléments sur lesquelles s'appuie sa fiction.

Nous avons affaire à un roman à thèse qui fait l'apologie de l'idéologie et des fantasmagories du maçonisme. Mais Dan Brown va plus loin et tente une synthèse gnostique de tout ce que d'innombrables faussaires ont produit pour fabriquer le mythe des Francs-Maçons et des Rose-Croix. Il y a là une juxtaposition d'histoire-fiction, d'occultisme et de religiosité pseudo-scientifique. Cela donne ceci, par exemple : « La même science qui a érodé notre foi dans le miraculeux construit maintenant un pont à travers le gouffre qu'elle a creusé » (p 502 de l'édition anglaise). Comment ferons-nous pour franchir ce gouffre et revenir au miraculeux ? Eh bien, ce sera grâce aux pouvoirs de l'esprit (ou âme) divine que nous portons en nous et qui peut agir sur la matière parce qu'il est lui-même de nature matérielle (il a un poids !). Dan Brown se fait le propagandiste des superstitions les plus grossières sous couleur de défendre la pensée éclairée (enlightened) et la sagesse (wisdom). Il est vrai que son héros, Langdon, ne partage pas cette vision du monde mais ses réponses de sceptique aux plaidoyers enflammés de ses interlocuteurs sont faibles et timides. Il finit d'ailleurs toujours par battre en retraite.      

   Une prochaine note approfondira ma critique en fournissant des éléments sur la prétendue ancienneté des Maçons et des Rose-Croix.

14:04 Publié dans Culture | Lien permanent | Commentaires (0)