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27/05/2009

Note supplémentaires sur le livre de Jean-Louis Harouel

J’ai sévèrement critiqué certaines thèses défendues par Jean-Louis Harouel dans son livre La grande falsification. La principale est son explication du déclin de l’art par l’invention de la photographie. Si un procédé mécanique de reproduction des formes visibles pouvait avoir un tel effet, ai-je dit, alors la sculpture aurait disparu dès l’antiquité quand fut inventé la technique du moulage. J’aimerais à cette occasion ajouter un autre exemple tiré d’un domaine mineur : celui de la bande dessinée. Comment se fait-il que celle-ci ait prospéré avec les écoles belge et japonaise au lieu de perdre son marché au profit du roman-photo ? Apparemment ce dernier n’offre pas les possibilités expressives du dessin.

Les erreurs d’Harouel ont deux causes. La première est une connaissance superficielle de l’histoire de l’art. Aucun peintre d’histoire, de genre, de portraits, de paysages ou de natures mortes, que ce soit au dix-neuvième ou au vingtième siècle, n’a été ou ne s’est senti concurrencé par la photographie. On ne peut citer un seul exemple d’un artiste dont les amateurs se seraient détournés au profit des photographes. La seconde erreur tient au fait qu’il s’est insuffisamment interrogé sur l’esthétique picturale et qu’il n’a pas su tirer profit des ouvrages qui en traitent. Je n’en veux pour preuve que sa réduction de la peinture à la création d’images « exprimant ce que l’œil perçoit face au réel » (p 128).

Je suis pourtant convaincu du caractère positif dans l’ensemble des effets que ce livre ne manquera pas de produire étant donné le succès que je lui ai tout de suite prédit. Harouel a des formules très dures et souvent heureuses pour condamner le non-art. C’est avec jubilation qu’on le voit clouer au pilori les Klein, Christo, César, Buren dont il écrit qu’ils « méritent d’êtres admirés non pas en qualité d’artistes, mais en qualité d’imposteur et d’escrocs, car ils sont l’élite de la profession ». Eux et leurs pareils « pratiquent la seule forme d’escroquerie qui ne soit pas réprimée pénalement » (p 127). La raison en est que leurs dupes sont consentantes et participent même, ajouterai-je, au succès de la supercherie dont ils partagent les profits. Ce sont des complices. Leurs véritables victimes ce sont nous tous qui sommes, comme le dit Harouel, « cruellement en manque d’art » (p 128). Ce manque ne peut être ressenti que par les amoureux de l’art. En revanche le non-art « convient parfaitement » aux milliardaires incultes qui nous dominent.

18/05/2009

Michelet historien de gauche

Dans ce blog, il m’est arrivé de lancer une pique contre l’histoire telle qu’elle est enseignée dans les écoles. Je suis content de constater que Jean-Claude Milner dans L’arrogance du présent a lui aussi la dent dure contre les « historiens de langue française » généralement « de gauche ». Il les raille d’avoir inventé la notion mythique d’événement dont on sait la fortune philosophique dans l’œuvre d’Alain Badiou. Cette fois, je voudrais dire quelques mots sur Michelet, saint patron de l’historiographie progressiste. C’est de lui que date la bien-pensance française dans cette discipline et la tradition de bouffer du curé à toutes les pages. On doit, certes, lui reconnaître un talent de conteur, mais son style se ressent d’une écriture trop hâtive. Ses passions politiques et les préjugés dont il est imbu déterminent ses jugements avec une régularité qui à la longue devient comique. Dans le tome intitulé « Du 18 brumaire à Waterloo » de son Histoire de la Révolution française le géant Napoléon devient un pygmée. Aux yeux de notre censeur rien ne trouve grâce dans la carrière de son héros : même pas ses victoires. Elles s’expliqueraient par la chance ou l’inertie de ses adversaires qui se laissaient chaque fois surprendre. L’historien n’est pas plus sérieux quand il parle non plus de politique mais des choses de l’esprit  dès lors que les personnages mentionnés ont le malheur de ne pas être de son bord. Il fait l’éloge de Lemercier et de Marie-Joseph Chénier (bons républicains) mais n’a que sarcasmes pour Chateaubriand (légitimiste et catholique). Celui-ci aurait inventé « une langue à part ni française, ni bas-bretonne ». Ses « vaines descriptions » n’auraient « pour but que l’effort d’imiter gauchement Bernardin de Saint-Pierre et de nous inonder d’un grossier déluge néologique ». Michelet se réfère aux  « drames indigestes de Shakespeare » (qui a le tort d’être anglais) mais il consacre un chapitre et un appendice à porter aux nues un certain Granville comparé à Dante et à Milton, excusez du peu ! Le mérite de ce quidam était d’être prêtre jureur, puis défroqué et marié. Michelet se montre assez inconscient de ses propres limites pour faire des incursions en philosophie et dire des inepties sur Spinoza, Leibniz et Kant. Ses opinions à l’emporte-pièce sur les beaux-arts sont à l’avenant. Il doute, par exemple, que David (trop bonapartiste à son gré) « fût vraiment peintre » !  

Lien vers mon site: http://www.kostasmavrakis.fr

11:22 Publié dans Culture | Lien permanent | Commentaires (0)

13/05/2009

Pour conclure sur le livre de Jean-Louis Harouel

Dans ma dernière note sur Harouel j’ai fait allusion au « travail acharné » sans lequel aucun talent ne peut porter ses fruits. Des recherches psychologiques récentes menées notamment par Benjamin Bloom et K. Anders Ericsson l’ont confirmé. On trouve une synthèse de leurs conclusions dans The Talent Code de Daniel Coyle. L’opinion contraire a longtemps prévalu dans le sillage des conceptions romantiques selon lesquelles la créativité serait un don du génie, une étincelle divine qui donnerait aux élus accès à des vérités transcendantes. L’œuvre serait produite par l’inspiration. Un esprit soufflerait ses vers au poète. Edgar Allan Poe s’est inscrit en faux contre ce genre d’idées en expliquant les démarches strictement logiques qui l’avaient guidé dans la composition de son poème The Raven. Degas aussi a été très clair sur ce point. « Ce que je fais, disait-il, est le résultat de la réflexion et de l’étude des grands maîtres ; de l’inspiration, de la spontanéité, du tempérament je ne sais rien ». Pour Alain l'artiste devait être : « artisan d’abord ! ». Les modernistes voulaient oublier tout cela et n’avaient que mépris pour le « métier ». Quant à « l’art contemporain », c’est-à-dire le non-art pour l’appeler de son vrai nom, il n’exige aucun savoir faire. Harouel y voit le triomphe de la sacralisation romantique de l’art et se plaint de la toute puissance accordée à l’artiste qui lui permet d’imposer le n’importe quoi comme art. Rien n’est plus faux. Le soi-disant artiste n’en est pas un. Or l’auto-proclamation ne suffit pas Se pose alors la question qui l’a fait artiste ? La réponse est un ou plusieurs richissimes mégacollectionneurs-spéculateurs au centre de réseaux institutionnels : galeries, foires internationales, conservateurs de musées, plumitifs divers. Ce sont eux les vrais créateurs du non-art contemporain. Puisque n’importe quoi peut appartenir à cette classe d’objets, sa valeur est décidée par celui qui l’achète. Des journalistes d’investigation américains ont ainsi montré que Basquiat, par exemple avait été littéralement fabriqué par un tel réseau.

Si maintenant on veut remonter au passé pour comprendre le processus qui a conduit à la situation actuelle il faut chercher du côté d’une logique dont Harouel ne dit mot : celle de la surenchère dans la soustraction purificatrice. Les tenants de l’abstraction ne se méprenaient pas seulement sur l’essence de la peinture dont une mimésis spécifique est inséparable, ils invoquaient aussi le mouvement de l’histoire anticipé par l’avant-garde. L’art avancerait en se dépouillant de ce qui prétendument ne lui était pas propre et en se libérant ainsi de toutes les contraintes de sa pratique traditionnelle. Il progresserait par des transgressions successives dont chacune était salué comme une innovation géniale. Le critère étant la nouveauté, chaque artiste soucieux d’attirer l’attention se devait de rendre périmé l’art de la veille par une nouvelle rupture iconoclaste, autrement dit une nouvelle soustraction à ce qui constituait l’art. Sur quoi son voisin proclamait haut et fort que lui allait encore plus loin et en donnait incontinent la preuve par une initiative soit extravagante, soit surprenante à force d’être bête, ce qui la faisait paraître intelligente. Ces surenchères ne pouvaient aboutir qu’au non-art puisqu’il n’y avait rien de plus nouveau et de plus éloigné de l’art selon l’usage courant du mot.

Nous pouvons et devons déduire de cet usage une définition de l’art en général et de la peinture en particulier qui nous évitera de nous en faire une idée réductrice, comme Harouel, et de tomber dans toute sorte d’autres confusions. Voici celles que j’ai proposées dans mon livre Pour l’art. Eclipse et renouveau : « Une œuvre d’art est le produit d’une activité créatrice de formes signifiantes et prégnantes, sources de plaisir esthétique » (pp 180-181). Le mot plaisir signifie simplement que ces œuvres sont recherchées.  La peinture est tout d’abord un art au sens qu’on vient de voir. Comme tout art elle crée un monde imaginaire auquel en un sens on puisse croire. Sa spécificité consiste à s’adresser à la vue au moyen d’un langage dont les éléments sont empruntés au visible. Elle se distingue de la sculpture en disposant ses formes sur une surface sans guère d’épaisseur. Quand elle a pris pleinement son essor elle s’en distingue aussi en ne se limitant pas pour l’essentiel aux figures d’êtres vivants et en créant deux sortes d’illusions : celle de la lumière  et celle de l’espace tridimensionnel. Précisons que la mimésis est nécessaire à la peinture pour constituer son langage propre mais pas la mimésis illusionniste. Celle-ci est, certes, par elle-même source de plaisir esthétique mais en général la grande peinture (notamment d'histoire) nous offre plus que le plaisir ayant cette origine ce qui signifie qu’on peut se satisfaire dans ce cas d’une figuration moins intensément réaliste.

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12/05/2009

L'idéologie vieillote d'Alain Badiou

Alain Badiou m'a reproché de m'être enfoncé « dans une vision du monde totalement arriérée » ? A-t-il raison? Je ne saurais dire mais il est certain que je répudie les visions du monde qui font une place à la notion d’arriération et à celle de progrès, son corollaire. Je les considère avant tout comme fausses. Il se trouve qu’elles passent actuellement pour être sinon arriérées du moins vieillies ce qui me fait regretter de voir mon ex-ami philosophe confit dans son formol progressiste comme un veau de Hirst.

Je lis dans L’arrogance du présent de Jean-Claude Milner : « un nom ne vaut que par les divisions qu’il induit. Or il est arrivé ceci : les noms que l’on croyait porteurs d’avenir (que cet avenir fut réputé radieux ou sinistre), ils se sont révélés un jour ne plus diviser personne ; les noms que l’on croyait définitivement obsolètes, ils ont opéré les divisions les plus irréductibles » (pp 21-22). Milner est assez allusif, selon son habitude, sur ce qu’il entend par là. Mais moi je sais à quoi il me fait penser. Soudain, vers le milieu des années soixante dix, le mot « avant-garde » est devenu un sujet de plaisanteries, le mot « Révolutionnaire ! » un slogan publicitaire assez drôle, Marx, Lénine, Staline, Mao, Che Guevara se sont transformés en personnages folkloriques figurant sur les T-shirts. En revanche, Jésus-Christ et Allah, le nom juif, les identités nationales, l’art et le non-art, tout cela divise plus que jamais. Alain Badiou a manqué cette mutation, lui qui attache tant d’importance à être « contemporain ».