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21/11/2012

Godelier chez Big brother

 L’entretien accordé par Maurice Godelier au Monde (18 – 19 nov. 2012) porte le titre : « L’humanité n’a cessé d’inventer de nouvelles formes de mariage ». Malheureusement pour le journal le texte ne tient pas cette promesse et le seul exemple qu’il donne, celui des Baruya de Nouvelle-Guinée, ne concerne pas le mariage mais porte sur l’initiation des jeunes et l’usage des mots « père » et « mère ». D’ailleurs l’ethnologue est obligé de reconnaître qu’on « ne trouve pas dans l’histoire, d’union homosexuelle et homoparentale institutionnalisée ». Cela s’expliquerait par le fait que les sociétés se souciaient de leur reproduction. Faut-il croire que la notre ne s’en soucie plus ? Dans la suite Godelier ne peut soutenir ses thèses qu’en détournant le sens des mots à la manière de la dictature décrite par Orwell dans 1984. L’homosexualité serait, selon lui « naturelle », puisqu’on l’observe aussi chez les animaux. Or on y observe aussi des accouplements entre espèces différentes, un éléphant avec une femelle rhinocéros par exemple. Faudra-t-il adopter un jour, pour faire plaisir à certains pâtres, une loi par laquelle l’Etat  reconnaîtra les unions zoophiles ? Selon Godelier, l’homosexualité serait en outre « normale ». Le Petit Robert définit ce dernier mot comme « ce qui suit la règle », « qui est dépourvu de tout caractère exceptionnel ; qui est conforme au type le plus fréquent ». Or les homosexuels représentent 3% de la population, les bisexuels 4% et les homosexuels vivant en couple 1% des couples[1].

Cette perversion, relavant des choix intimes des individus, l’Etat n’a pas à les approuver ou à les désapprouver. Dans notre société démocratique et laïque les autorités se doivent d’ignorer ce genre de choses. En m’exprimant comme je l'ai fait, je ne cherche pas à froisser qui que ce soit et j’emploie les mots au sens neutre qu’ils ont dans le dictionnaire. Consultons encore une fois le Petit Robert. Pervertir = dévoyer, modifier en détournant de sa fin, de son sens. Perversion sexuelle = « tout comportement qui tend à rechercher habituellement la satisfaction sexuelle autrement que par l’acte sexuel « normal », défini comme accouplement hétérosexuel ». Cet accouplement est dit « normal » parce qu’il est en principe et dans l’ensemble ordonné à une fin : la procréation. Telle est sa fonction biologique naturelle, fondement de ce qui s’y surajoute en termes hédonistes, sentimentaux ou spirituels. Godelier invoque « l’apparition de nouvelles technologies de la reproduction ». Question : doit-on faire tout ce que la technique rend possible même si c’est éthiquement condamnable, par exemple assurer la reproduction par clonage ? Or la procréation médicalement assistée peut être immorale comme tout acte qui se sert d’un être humain comme d’un moyen (Cf. Kant).  Godelier nous assure que les homosexuels s’aiment (qui le conteste ?) et fait preuve d’une remarquable habileté sophistique dans l’usage des mots grâce à laquelle il embobine le lecteur qui n’est pas sur ses gardes. A la question « Pourquoi maintenant  (le mariage homosexuel), il répond notamment : « dans une démocratie les minorités peuvent revendiquer des droits nouveaux ».

Examinons ce point. En démocratie peuvent être majoritaires ou minoritaires des partis, des courants d’opinion, la gauche ou la droite mais non des pratiques sexuelles. Personne n’a jamais demandé au peuple de voter sur les goûts et les  préférences des uns et des autres sur ce terrain. La démocratie est un régime politique. Or homosexuel ou hétérosexuel ne sont pas des catégories politiques.  Dans ces conditions le mot « minorité », tel que l’utilise Godelier, n’a aucun sens. Il protestera, certes, qu’il suit l’usage des Américains. Mais cet usage, qui qualifie de « minorité » même les hommes de couleur et les femmes (!), n’est pas le nôtre et de plus  il est absurde.

Parler de « droit nouveau » est abusif car le mot « droit est ici employé dans un sens qui ne correspond à aucun de ceux, très nombreux, que passe en revue le dictionnaire. En réalité il s’agit non pas d’un droit mais d’une obligation imposée aux maires de célébrer une certaine cérémonie et d’une obligation pour les officiers de l’état civile d'enregistrer cette cérémonie sous le nom de « mariage » au mépris de l’usage habituel. Si on estime que le PACS ne protège pas suffisamment les homosexuels pourquoi ne pas le compléter par de nouvelles dispositions ? Ou bien encore pourquoi ne pas inclure celles-ci dans les stipulations d’une « union civile » ? Godelier réclame pour les homosexuels le droit « de vivre légalement leur sexualité ». Or ce droit ils l’ont depuis longtemps ; plus précisément depuis que la sodomie n’est plus réprimée. On voit bien que l’enjeu du projet de loi ne se situe pas dans la vie réelle mais uniquement dans le vocabulaire. Les socialistes prétendent donner aux mots une nouvelle acception, ignorer dans le discours sur la famille la différence sexuelle et bannir du Code Civile la mention du « père » et de la « mère » pour mettre à la place « parent » qui désigne tout autant les cousins, les oncles et les tantes etc. Nous sommes, encore une fois, en plein 1984 sous le pouvoir de Big Brother.

L’institution du mariage a toujours eu pour fonction et finalité d’encadrer la procréation et d’assurer dans les meilleures conditions la perpétuation de la société. Il n’y a jamais eu de rapport entre le mariage et les goûts sexuels. Ces goûts sont une affaire privée qui ne regarde pas l’Etat. Il ne lui appartient ni de les bénir ni de les bannir. Singer le mariage proprement dit et ce qu’il implique en termes de filiation est une mascarade qui nuit au sérieux de l’union ainsi conclue entre un homme et une femme.  Ce sérieux doit être préservé même quand on n’y voit qu’une formalité, un rite profane. Faute de quoi, on sape la famille et cela cause des dommages sensibles  à la société.

Pour éviter de le reconnaître, Godelier s’était livré, dans un entretien accordé au Monde Magazine du 4 décembre 2011, à des contorsions aussi vaines que ridicules. Quand on lui demanda s’il est vrai que les changements dont il parle ont affaibli la famille, il répondit (à côté) que la famille ne suffit pas pour faire une société. Il croit peut-être nous rassurer en observant qu’« aucune des sociétés qui ont accepté ces évolutions [législatives] ne s’est [encore] effondrée » (L. M. 18 – 19 nov. 2012). En fin de course, il concède à contrecœur que ces changements (promus par des politiciens démagogues) « ont bien évidemment ébranlé la famille ». Ou encore que « les liens conjugaux sont devenus plus précaires » (L. M. Mag.). Il ne peut nier que les conséquences soient douloureuses pour les enfants mais il se console en soulignant que les parents « sont aujourd’hui dans l’obligation morale et juridique d’assumer, après leur séparation, leurs responsabilités à l’égard de leurs enfants ». Doit-on comprendre qu’auparavant cette obligation n’existait pas ? Pour un peu, Godelier laisserait entendre qu’en faisant du divorce une formalité le législateur aurait travaillé au bonheur des enfants !  

Pour Godelier le changement favorisant l’égalité des sexes aurait des racines idéologiques. Il découlerait du principe d’égalité entre citoyens proclamé par la Révolution française. Notre sociologue n’a pas remarqué que ce « mouvement très puissant » a été fortement et consciemment impulsé par les capitalistes et leur Etat afin de mettre au travail les femmes, ce qui eut pour conséquence de réduire de moitié les salaires réels. Autrefois, un seul salaire suffisait pour faire vivre une famille. Maintenant, il en faut deux. Le résultat fut un désastre démographique. La  France en fut affectée moins que d’autres pays parce les crèches et les écoles maternelles y sont nombreuses et que l’école garde les enfants toute la journée. Mais l’Espagne, l’Italie, la Grèce ont vu leur natalité tomber à 1,4 par femme et l’Allemagne à 1,3. Godelier fait preuve à ce propos d’une inconscience stupéfiante puisqu’il parle de « la valorisation moderne de l’enfant » au lieu de sa « dévalorisation », terme plus adéquat compte tenu des chiffres que je viens de citer. Quels sont les peuples qui valorisent le plus l’enfant et qui le prouvent par leur natalité ? Ce sont ceux qui sont les moins modernes et les plus proches des sociétés traditionnelles. Les gouvernements qui ont modifié les lois pour flatter des penchants égoïstes alors que personne ne le réclamait vraiment ont programmé la disparition inscrite dans les statistiques de la pluspart des nations européennes. Les propos lénifiants de Godelier visent à cacher la catastrophe qui se profile à l’horizon de ce siècle si nous ne réagissons pas.

 

J'invite mes visiteurs à consulter deux notes précédentes qui complètent celle qu'ils viennent de lire : "La Grèce antique et le pseudo-mariage des homosexuels", publiée le 17 oct. 2012; "La famille et son simulacre", publiée le 11 oct. 2012. 

[1] Godelier ne conteste pas ces statistiques mais il n’en est pas gêné car il fait sien l’argument classique des homosexuels, variante de la célèbre maxime du docteur Knock : un hétérosexuel est un homo- ou du moins un bisexuel qui s’ignore ». Chez Godelier cela prend la forme suivante : « les deux espèces de primates les plus proches de nous sont bisexuels tout comme l’espèce humaine ».

16/11/2012

La Grèce théocratique de Jean-Louis Harouel

La majeure partie du livre récemment paru de Jean-Louis Harouel intitulé : Le vrai génie du christianisme, a pour fil conducteur la thèse suivante : « Le christianisme a inventé la distinction du sacré et du profane » (p 11).  Se pourrait-il que les anciens Grecs aient ignoré cette distinction ?  Ils seraient très surpris de l’entendre dire. Pour les Athéniens il y avait une nette différence entre la ville (astu) profane et l’Acropole sacrée. On devait prendre un bain avant d’y monter. Partout en Grèce, il y avait des enceintes appartenant à un dieu. Elles délimitaient un espace sacré nommé téménos. Les Phocidiens ayant cultivé des terres consacrées au dieu de Delphes, le conseil amphictionique déclencha contre eux la troisième guerre sacrée (356 – 346 av. J. - C.). Chez les Romains, l’intérieur du temple (fanum) est sacré, l’espace qui est devant (pro fanum) ne l’est pas.

Harouel identifie à tort le couple sacré/profane au couple religieux/politique. Or il n’est pas moins inexact de prétendre que les anciens ignoraient cette dernière distinction comme il le fait en évoquant la « confusion du politique et du religieux de l’Antiquité païenne » (p 122) ou encore « l’enchevêtrement entre le politique et le religieux » (p 30). Cet enchevêtrement ne caractérise stricto sensu que le théocratisme islamique. Harouel en parle comme d’un « monisme » qu’il oppose au « dualisme » chrétien, usant d’une terminologie métaphysique tout à fait déplacée dans ce contexte. La séparation du politique et du religieux, qu’auraient ignoré les anciens, fonctionne chez notre auteur comme un passe-partout grâce auquel la philosophie de l’histoire n’a pas de secret pour lui. A l’en croire, il aurait emprunté cette idée à un auteur vieux de quasiment deux siècles : Fustel de Coulanges. En réalité, Jean-Jacques Rousseau avait déjà soutenu dans l’Emile que les anciens ignoraient la distinction faite par Jésus-Christ quand il a déclaré que son royaume n’était pas de ce monde ou qu’il fallait rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu. Selon Rousseau, dont l’erreur est identique à celle d’Harouel, chaque pays, chaque cité avait ses propres dieux, « ses dogmes et ses rites son culte extérieur prescrit par des lois ; hors la seule nation qui suivait [ce culte], tout était pour elle infidèle, étranger, barbare ». C’était « une espèce de théocratie dans laquelle on ne doit point avoir d’autre pontife que le prince, ni d’autres prêtres que les magistrats ».

Rien de tout cela n’est conforme à la réalité. Les Grecs n’ont jamais formulé de jugement dépréciatif sur les religions des peuples étrangers. Il aurait pourtant été tentant de tourner en dérision les divinités zoomorphes des Egyptiens. Une anecdote rapportée par Hérodote va même dans le sens contraire. On y voit un seigneur perse se moquer de la religion grecque à cause de son anthropomorphisme. De plus, chez les anciens, ni la morale, ni les lois n’étaient d’origine religieuse contrairement à ce qu’affirme Fustel de Coulanges cité par Harouel : « Le christianisme est la première religion qui n’ait pas prétendu que le droit dépendît d’elle » (p 125). Selon ces deux auteurs,  le second copiant l’autre, « César […] était le gardien et l’interprète des croyances ; il tenait dans ses mains le culte et le dogme » (p 36). Or les religions antiques n’avaient ni croyances fixes ni dogmes. Tout un chacun pouvait inventer de nouveaux mythes. Il n’y eut jamais chez eux de querelle sur ce chapitre. C’est au respect scrupuleux des seuls rites que présidait l’empereur en tant que grand pontife. Harouel devrait comprendre que la conception antique de la religion et des dieux est à ce point hétérogène à la conception chrétienne qu’il ne peut y avoir entre elles ni accord ni désaccord.

J’ai toujours ressenti une grande admiration pour Fustel de Coulanges et Simone Weil mais depuis que je les ai vus enrôlés par Harouel, je suis devenu méfiant. Il arrive même aux plus grands génies de se tromper. Celui qui les cite en les prenant pour des autorités infaillibles ne peut excuser son erreur en invoquant la leur. Notre auteur s’imagine peut-être qu’une idée fausse deviendra vraie parce qu’il convoque pour l’appuyer une foule de savants dont aucun n’est helléniste. Cette façon d’argumenter a suscité chez saint Augustin une exclamation plaisante : « Sanitatis patrocinium est, insanientium turba ! » (« La belle garantie de sagesse que la multitude des fous ! ». Dans les écrits théoriques (et le livre d’Harouel a l’ambition d’en être un), les citations de seconde main, pour autant qu’il y en ait, ne peuvnt être que décoratives. Elles expriment des opinions, dont la validité doit être établie en raisonnant à partir des faits, non le contraire.  D’ailleurs, autorité pour autorité, je préfère de loin celle d’un antiquisant contemporain : Paul Veyne, selon qui les anciens « n’avaient pas attendu le Christ pour savoir que Dieu et César font deux »[1].



[1] Cf. Paul Veyne, Quand notre monde est devenu chrétien, Albin Michel, Paris 2007, p 247.

30/09/2012

Le libéralisme du grand capital et la civilisation

On a raison de considérer le libéralisme, dont la puissance américaine est le bras armé, comme le pire ennemi de la civilisation et de l’humanité. Immoral, il nie toute autre motivation que le calcul égoïste en vue de maximiser l’utilité individuelle. Selon cette logique  l’enrichissement de quelques uns doit l’emporter sur toute autre considération. Puisque cela rapporte, les forêts tropicales, notre poumon, sont détruites et remplacées par des plantations produisant de l’huile de palme nocive à la santé. Pour la même raison les océans sont vidés de  leurs poissons et, acidifiés par le gaz carbonique, deviennent graduellement impropres à entretenir la vie, sauf celle des méduses. Ensuite le libéralisme s’oppose aux identités enracinées dans un héritage, une culture, une terre, un paysage. C’est qu’il ne supporte pas ce qui pourrait faire obstacle, si peu que ce soit, aux flux sans frictions de marchandises, de capitaux,  d’hommes voire de publicités anglophones. Or la création des œuvres d’art et des textes littéraires suppose cet enracinement.

Qu’on se pose la question : pourquoi les Etats-Unis et l’Angleterre son appendice ancré au large de notre continent insistent aussi lourdement pour que la Turquie soit accueillie au sein de l’Union Européenne ? Depuis que ce pays a présenté sa candidature à l’adhésion il s’est islamisé sans que l’U.E. y trouve à redire. Le résultat est que ses ressortissants non-musulmans ne sont pas considérés comme de vrais Turcs. Les minorités musulmanes non-sunnites comme les Alévis sont discriminés, les Kurdes sauvagement opprimés. Les chrétiens orthodoxes n’ont même pas le droit d’utiliser leur bibliothèque de Halki. La Turquie n’est pas une nation démocratique et ne partage pas nos valeurs. La justice y est aux ordres, l’état de droit un rêve. L’étudiante franco-turque Sevil Sevimli en a fait l’expérience quand, en visite dans le pays de ses parents, elle fut jetée en prison parce qu’elle possédait un exemplaire du Manifeste communiste de Marx et d’Engels et qu’elle avait assisté à des concerts et autres manifestations parfaitement légales. Pendant trois mois elle a partagé le sort de plus de 700 étudiants turcs non moins innocents qu’elle mais qui, dépourvus de passeport étranger, moisissent dans les geôles d’Erdogan sans savoir quand ils en sortiront.  Ankara est en conflit avec les Chypriotes dont elle a envahit l’île. Elle l’est aussi  avec les Arméniens du Caucase et les Kurdes des confins de l’Irak, de l’Iran et de la Syrie. L’Europe devra-t-elle un jour lui manifester sa solidarité en lui prêtant main forte contre ces peuples lointains ? En fait, les Américains se font les parrains des Turcs pour dissoudre l’Europe dans l’Asie et détruire son unité civilisationnelle. De la sorte elle ne deviendra jamais une puissance autonome  ayant une ambition  propre.

Le libéralisme, idéologie du grand capital international, a favorisé en outre la substitution du non-art à l’art. Ce dernier, principale composante de toute civilisation, ne peut que gêner l’homogénéisation intégrale de l’espace marchand car les civilisations sont hétérogènes et multiples. Le vide du non-art est tellement plus congruent au « doux commerce » comme disait Montesquieu. Celui qui n’a rien à dire ne risque pas de contredire qui que ce soit. Le contenu de l’art  est presque toujours  religieux et nos maîtres d’école nous ont appris que religion signifie guerre de religions. Il est beaucoup plus pacifique de déclarer avec John Cage : « I have nothing to say, so I say it » : (je n’ai rien à dire, donc je le dis). On se souvient que John Cage fut l’auteur d’une parfaite illustration de la notion de  « non-art » en donnant un « concert » du silence. Je n’étonnerai personne en exprimant ma préférence pour Le Messie de Haendel. L’hyperclasse mondiale dominante organise l’oubli de Haendel en tant que musique vivante en rendant impossible la création d’œuvres véhiculant un égal potentiel d’émotion esthétique. Elle est responsable de la barbarie qui se répand insensiblement et paralyse la vie de l’esprit.

24/09/2012

Affaire Millet : dernières escarmouches

 Les deux notes que j’ai consacrées à l’affaire Richard Millet n’ont pas été comprises par tous mes visiteurs. Une mise au point qui intègre en outre les idées les plus intéressantes apportées par d’autres contributions au débat me semble donc utile.

Objet d’une véritable lapidation, l’écrivain s’est expliqué lui-même dans Valeurs acttuelles et L’Express sur ses thèses qui soulèvent tant de colère. Il l’a fait avec un bon sens et une modération qu'on lui reproche habituellement d’être dépourvu. L’ironie de son titre : « Eloge littéraire d’Anders Breivik », n’ayant pas été perçue il reconnaît que ce titre n’était pas heureux en ajoutant qu’au demeurant il avait condamné sans ambigüité les crimes du Norvégien. Il se scandalise même qu’on ait infligé à ce tueur de masse vingt et un ans de prison seulement, soit trois mois et quelques par victime.  Breivik l’a intéressé uniquement en tant que « symptôme monstrueux de la décadence et de la perte de sens de l’Europe ».  

Assouline trouve que la campagne orchestrée par Annie Ernaux  « promue chef de meute pour les circonstances » fait penser aux années 1944-1945, autrement dit pue l’épuration. Elle a rassemblé « l’habituelle cohorte des médiocres du petit monde littéraire » pour obtenir la tête d’un grand auteur sous une imputation aussi commode qu’elle est creuse et galvaudée : celle de fascisme. Ayant encouru cette flétrissure il « déshonore la littérature » dit-elle. Hélène Merlin-Kajman se demande : « Sade fait-il honneur à la littérature ? » et nous confie que cette question, il ne lui serait jamais venu à l’esprit de se la poser avant d’avoir lu la dénonciation  d’Annie Ernaux. Citons à ce propos Guy Debord : « Je ne suis pas un journaliste de gauche : je ne dénonce jamais personne ! ». Pour relativiser encore un peu plus la « faute » reprochée à Millet, celle d’avoir qualifié Breivik d’ »écrivain par défaut », rappelons en outre, à la suite de Bruno de Cessole, l’essai classique de Thomas de Quincey au sujet du tueur en série John Williams : De l’assassinat considéré comme un des beau-arts (1827).

Richard Millet ayant intitulé un de ses livres De l’antiracisme comme terreur littéraire, Robert Redeker développe des considérations philosophiques éclairantes sur l’accusation de racisme comme instrument de terreur pur et simple. « Un tel (aujourd’hui Millet, demain un autre) est possédé par le substitut moderne du Diable, l’opinion raciste ». Dans le langage courant « racisme et raciste sont des anathèmes employés hors de toute rigueur sémantique à l’instar de fasciste ou d’extrémiste ». « Le coupable [l’est] de tout le Mal circulant dans la société ». Pourtant le mal moral est désormais interdit d’énonciation car il est théologique et jugé moralisateur. « La mort de Dieu et la mort de l’homme [qui s’en suit, K. M.] a entraîné la ruine de la morale kantienne » dont la forme est désormais habitée par un contenu autre que l’impératif catégorique à savoir l’antiracisme. « Rien ne le révèle autant que la mise au pilori de Richard Millet ».

Dans ce contexte idéologique il n’est pas étonnant si la terreur dont parle ce romancier  s’avère  parfaitement efficace comme on l’a constaté avec la capitulation d’Antoine Gallimard. Pierre Nora non plus n’a pas fait preuve d’un grand courage. Il veut bien concéder à Millet le droit d’avoir ses idées et de les exprimer à condition toutefois que sa proximité professionnelle ne  compromette ni ne contamine le directeur de Débat. Esquissant une discussion des thèses de son collègue il écrit : « Il y a de bons arguments pour condamner le multiculturalisme et en redouter les conséquences. Il y a de bonnes raisons pour déplorer dans la période actuelle une anémie de la langue et un dépérissement de la littérature. Mais quel rapport entre les deux ? » Richard Millet lui avait déjà répondu dans L’Express : « ma réflexion vise à comprendre la concomitance du déclin de la littérature et de la modification en profondeur de la population de la France […] par une immigration extra-européenne massive [….] le multiculturalisme n’est qu’une des formes de la décomposition culturelle, spirituelle et sociale de l’Europe, … ». « C’est sans doute pour avoir touché du doigt l’alliance entre l’insignifiance culturelle de l’Occident et le multiculturalisme idéologique que je suscite une telle haine ».

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