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13/02/2009

La radicalité du vrai

Toute prise de position radicale contient un élément de vérité serait-il unilatéral. Seule en est dépourvue l'eau tiède du modérantisme et de la bien pensance manichéenne. Un moment viendra où cet élément sera récupéré par l'histoire.

21/01/2009

Badiou et l'Esthétique

Le terme inesthétique forgé par Alain Badiou figure dans le titre d’un de ses ouvrages le Petit manuel d’inesthétique. Est-ce un concept nouveau permettant de discriminer, par exemple, entre son approche (sa façon de poser les problèmes) et la mienne ? Nous verrons que ce n’est nullement le cas.  Voici la définition qu’en donne Badiou : « Par ‘‘inesthétique’’ j’entends un rapport de la philosophie à l’art qui, posant que l’art est par lui-même producteur de vérités, ne prétend d’aucune façon en faire, pour la philosophie, un objet. Contre la spéculation esthétique, l’inesthétique décrit les effets strictement intraphilosophiques produits par l’existence indépendante de quelques œuvres d’art ». Or dans ma thèse de février 1993 (Badiou présidait le jury) je définissais l’Esthétique comme « la réflexion méthodique sur l’Art [c’est-à-dire les œuvres d’art] en tant que source principale, directe ou indirecte, d’une expérience sui generis, l’expérience esthétique »[1]. Dans la suite, je précisais que je n’entendais pas le Beau (cause de l’expérience ou émotion esthétique et caractéristique des œuvres d’art réussies) au sens d’une métaphysique du beau à la manière platonicienne qui prendrait pour objet des propriétés esthétiques abstraites (formelles ou morales) existant indépendamment des objets qui les possèdent et dont la connaissance donnerait juridiction à la philosophie sur les objets en question, à savoir les  œuvres d’art. Nous étions par conséquent d’accord sur le fond à ceci près que je n’estimais pas nécessaire d’inventer un mot nouveau dès lors que j’avais clairement expliqué comment j’entendais le mot ancien. La coïncidence entre l’esthétique, telle que je l’entends, et l’inesthétique de Badiou résulte d’ailleurs d’une autre coïncidence virtuelle : celle entre la vérité en art chez Badiou et le Beau dans la philosophie traditionnelle et plus généralement la substitution par Badiou du mot « Vrai » au mot « Bien » dans le texte de Platon (Cf. Second manifeste pour la philosophie, Fayard 2009 pp 119-120). Badiou désigne les valeurs par ses quatre types de vérité sans doute pour mieux prendre ses distances par rapport au relativisme de ce qu’il appelle la « sophistique moderne » liée au « tournant linguistique » de Wittgenstein et Heidegger. Il lui oppose son « geste platonicien » qui légitime la recherche de la vérité. En art, ce geste lui fait rejoindre le néoplatonisme de la Renaissance qui ne partage pas la méfiance de Platon à l’égard de l’image. Pour Badiou, un certain réalisme des idées s’avère contre le nominalisme non seulement dans le langage notionnel mais aussi dans les formes picturales ou sculpturales. Il aurait pu citer Goethe qualifiant d’Urpferd (cheval originaire) une œuvre de Phidias. On trouve ainsi chez lui des formulations comme celle-ci :« A seulement regarder ce qui existe d’invariant dans des mondes par ailleurs disparates, on s’oppose au relativisme » (Cf. Logique des mondes p 17), ou encore : « C’est bien un motif invariant, une vérité éternelle, qui est en travail entre le Maître de la grotte de Chauvet et Picasso. […] Peindre un animal […] est […] s’évader de la grotte pour remonter vers la lumière de l’Idée » (L. M. p 27).

Cette critique du relativisme est manifestement incompatible avec les positions favorables au modernisme artistique adoptées dans Le Siècle. C’est pourquoi j’ai dit que Badiou nous donnait des armes pour combattre ses opinions. En voici un autre exemple : la solution proposée par lui au problème « comment le non-être peut-il apparaître? » est la suivante : étant donné un apparaissant ce n’est pas sa négation qui apparaît mais son envers. Je trouve très satisfaisante cette solution et je la ferai mienne volontiers contre Badiou en remarquant ceci : ce qu’on nomme abusivement « art contemporain » doit être dit « non-art » non pas tellement au sens où il en serait la négation (en tant que telle celle-ci n’apparaît pas) mais en un sens élargi de la négation, à savoir comme l’envers de l’art. Badiou dit, en effet, « qu’un étant là et son envers n’ont, dans le monde, rien de commun » (L. M. p 118). Or de l’aveu des tenants même de l’art contemporain (par exemple Anne Cauquelin), celui-ci et l’art n’ont rien de commun.

Dans le domaine des arts plastiques comme dans les autres, chaque époque historique, chaque civilisation avait son style, tout comme son idéal humain : le héros, le Kalos kagathos, le chevalier, l’honnête homme, le gentleman. Et la nôtre ? Poser la question, c’est y répondre. Selon Badiou, il y a une « coresponsabilité de l’art, qui produit des vérités, et de la philosophie, qui, sous condition qu’il en ait, a pour devoir […] de les montrer ». Sous condition qu’il y en ait, justement. Que doit-on faire si dans la société du spectacle il n’y en a pas, non certes absolument, mais sous les projecteurs médiatiques ? La tâche de la philosophie n’est pas, il me semble, de suivre l’opinion dans ses illusions nourries par les médias ni de s’incliner devant le mensonge selon lequel le non-art est de l’art. Or Badiou qui pose au révolutionnaire maoiste envers et contre tout pratique le suivisme le plus servile quand il s’agit de peinture, de sculpture, d’architecture et de musique. En 1998 il avait eu la prudence de s’abstenir d’en parler, réservant ses commentaires au cinéma, au théâtre, à la danse, à la poésie c’est-à-dire à des créateurs authentiques et incontestables. C’est ailleurs que l’avant-gardisme a sévi et c’est de cette calamité qu’il fera l’éloge dans Le Siècle. Ce livre décrit les « effets intraphilosophiques » produits par l’absence d’art. Dans mon cas, ces effets ont conduit à l’élaboration des premiers linéaments d’une esthétique. Dans le sien elle a produit une anti-esthétique seule digne de l’anti-art dont elle fait l’apologie.



[[1] On trouvera ce passage également dans mon livre Pour l’Art Eclipse et renouveau, déjà cité, p 193. 

 

 

18/01/2009

Note

http://www.kostasmavrakis.fr/

L'universel

Les civilisations engendrent toutes de l’universel sous la forme d’œuvres, de valeurs, de vérités. Je serai donc d’accord avec Alain Finkielkraut disant dans son émission « Répliques» : « S’il y a de l’universel en France, il est issu de la particularité française ». Cependant il existe une civilisation qui mérite d’être qualifiée d’universaliste au sens où elle se réfère explicitement à l’humanité dont font partie avec une égale dignité tous nos semblables. Cette civilisation s’intéresse aux autres civilisations, s’ouvre à leur influence et reconnaît leur contribution au trésor intellectuel du genre humain. C’est en Europe, héritière en cela de la Grèce antique, qu’elle a fleuri. Toutes les sociétés sont à l’origine  ethnocentriques et voient dans leurs membres les hommes véritables. C’est en Europe que sont apparus pour la première fois des penseurs qui prenaient leurs distances avec cette façon de voir, ce qui a rendu possible une discipline scientifique portant le nom d’ethnologie. Les premières recherches ethnologiques au cinquième siècle avant J.-C. sont dues à Hérodote, le père de l’histoire, mot qui signifiait alors enquête[1].

Mes désaccords avec Alain Badiou à qui je reproche son universalisme extrémiste et unilatéral, ont pour enjeux principaux l’art et la civilisation. Une de ses thèses auxquelles je m’opose le plus est la suivante : « L’universalité des vérités se soutient de formes subjectives qui ne peuvent être ni individuelles, ni communautaires ». C’est sans doute vrai pour les sciences dites exactes, mais qu’en est-il de l’art et de la poésie ? Comment penser le rapport entre les œuvres de l’esprit et le site civilisationnel et national qui les a engendrées et dont elles portent le nom ? D’un côté, l’art est le corps et la substance de toute civilisation. D’un autre côté, cette dernière imprime aux œuvres leur physionomie et leur parfum propre. Le Parthénon et le Taj Mahal créent un style emblématique d’une civilisation et en même temps présupposent celle-ci. Comme on le voit sur cet exemple, une particularité traditionnelle est la condition d’un chef-d’œuvre qui s’y rattache et qui néanmoins possède en tant que chef-d’oeuvre une validité universelle au sens où il peut émouvoir toute personne sensible à l’architecture. Celle-ci disparaît comme art dès lors qu’elle ne se soumet plus à un style, expression d’une culture singulière. La notion de « style international » (c’est ainsi qu’on a désigné le modernisme architectural) est un oxymore. Si l’on admet avec Hegel que l’universel (garant de la validité) se donne dans le particulier, il s’en suit que si vous supprimez l’un des deux contraires il ne reste plus rien de l’ensemble en tant qu’art. En parlant de lui-même, un artiste nous parle à tous. Il perdrait tout pouvoir de nous toucher s’il renonçait à exprimer sa sensibilité personnelle.

Je m’inscrirai donc en faux contre la thèse de Badiou selon laquelle l’appropriation d’une vérité implique l’« affirmation de l’unité des mondes dès lors qu’on les considère du point de vue des vérités »[3]. Le fait d’apprécier aussi bien le Taj Mahal que le Parthénon ne conduit pas à reconnaître l’unité des mondes mais au contraire à prendre mieux conscience de leur distinction essentielle.  On ne promeut pas l’universel en prônant la disparition des particularismes. Bien au contraire. La multiplicité des empires, nations, cités et autres entités politiques en concurrence, voire en guerre les unes avec les autres, contribue à la grandeur et à la vitalité de leurs civilisations ou cultures propres y compris dans le domaine des sciences dures comme l’a démontré David Cosandey[4]. C’est pourquoi je serais tenté de prendre le contrepied de la thèse de Badiou et de dire que l’universalité des vérités se soutient de formes subjectives individuelles ou communautaires.



[1] Cf. Kostas Mavrakis : « La Grèce et la querelle de l’universalisme », Krisis n° 23, janvier 2000.

[2] Cf. Alain Badiou, Logique des mondes, Seuil 2006, p 17.

[3] Cf. Alain Badiou, Second manifeste pour la philosophie, Fayard 2009, p 31.

[4] Cf. Le Secret de l’Occident, Gallimard 2007.