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21/09/2012

Les apologistes des Pussy Riot

 Il y a quelques semaines le milieu médiatique, avec Le Monde en tête, s’est de nouveau enflammé contre la Russie. L’obstination dont fait preuve son peuple à rester attaché à une  identité archaïque irrite avec raison les valeureux défenseurs du métissage universel. En l’occurrence leur colère est suscitée par l’arrestation et la condamnation de trois innocentes colombes qui pieusement avaient entonné un cantique suppliant la Mère de Dieu de chasser Poutine. Si l’on ne peut même pas prier dans la cathédrale du Christ Sauveur, c’est à désespérer de la « Sainte Russie ». C’est aussi à désespérer de sa culture car la prière en question était, nous dit-on, une œuvre d’art appartenant au genre « performance » d’autant plus sublime qu’elle était punk. Ainsi l’incarcération des tendres « punkettes », selon le diminutif utilisé par les commentateurs, a violé simultanément les libertés religieuse, politique, artistique. Le moyen de ne pas s’en indigner !

Avant de s’émouvoir, cependant, il est bon de s’informer, et pour cela de prendre quelque distance par rapport à la « Propagande » en s’interrogeant sur certains points. Comment se fait-il que les journalistes n’aient jamais traduit Pussy Riot, le nom que se donne ce groupe ? Nous sommes pourtant loin d’être tous anglophones.  Il suffit de se poser la question pour avoir la réponse : nos manipulateurs entendent donner à l’incident la coloration la plus anodine possible. « Pussy » est un mot argotique obscène désignant le sexe féminin, « riot » signifie émeute. « Pussy Riot » peut donc être rendu par « Les chattes déchaînées ».  Chacun comprend qu’une église n’est pas le lieu approprié pour un tel déchaînement. Voilà pourquoi  ici l’anglais «  brave l’honnêteté » comme dirait Boileau[1].  

Notons qu’à l’occasion les Pussy Riot savent choisir les lieux de leurs exhibitions. Ainsi l’une d’entre elles, Nadejda Tolokonikova, se proposant d’attirer l’attention en copulant publiquement, se livra à cette activité animale au Musée de zoologie. Marie Jégo du Monde éprouve une admiration sans bornes pour ces transgressions comme on le voit dans la page entière où elle en parle (1 septembre 2012). Elle qualifie affectueusement de « gamines » les jeunes femmes dont l’âge va de 22 à 30 ans tout comme comme son journal traitait Mohamed Merah de « gamin ». Le Monde a d’ailleurs pris l’affaire très au sérieux allant jusqu’à consacrer un éditorial à la défense des trois provocatrices. On y apprenait qu’elles avaient « chanté et dansé devant et sur l’autel » (L. M. 1 août 2012). Quoi de plus innocent à une époque où l’on revendique hautement le droit de blasphémer surtout d’ailleurs contre le Christ dont les fidèles protestent pacifiquement. Quand il s’agit de l’Islam dont les zélateurs mettent le monde à feu et à sang c’est différent. On voit alors des hommes politiques désapprouver avec gravité les offenses à Mahomet. Or il se trouve que la manifestation des Pussy Riot ne relevait pas du blasphème mais de la profanation d’un lieu saint et la profanation est réprimée partout. Quand des inconnus ont jeté une tête de cochon devant (je dis bien devant et non dans) une mosquée, la police a fait une enquête et la justice a ouvert une instruction. Des émules des Pussy Riot qui danseraient sur des tombes seraient poursuivis, même en France, que dire alors de l’autel sacré d’une église ! Et la liberté ? demandent les faux naïfs. Eh bien la liberté des uns finit où commence la liberté des autres. Personne n’ignore ce principe. S’il était permis de se livrer à des bouffonneries dans les lieux du culte celui-ci deviendrait impossible, ce qui porterait atteinte à un droit fondamental. Or c’est ce qui a été fait. Le Monde (1 septembre 2012) décrit la scène : « Déhanchements, prosternations, signes de croix, les punkettes (…) entonnent un simulacre de prière », bref se livrent à une parodie de la messe.

Poussés dans leurs derniers retranchements et ne pouvant justifier l’injustifiable, les contempteurs du christianisme ont recours à l’argument selon lequel la peine infligée (deux ans) serait disproportionnée. Cette évaluation est purement subjective et ne tient pas compte du contexte. Sous le communisme, la Russie a connu la plus grande persécution antichrétienne depuis Dioclétien. Dés sa prise du pouvoir, Lénine déclara en petit comité : « plus nous fusillons de prêtres réactionnaires mieux cela vaut ». Résultat 200.000 prêtres « réactionnaires » tués, 41.000 églises détruites et je ne parle pas de tous ceux envoyés au goulag parce qu’ils restaient fidèles à leur foi[2]. Les  Pussy Riot et leurs suppôts appartiennent, comme ils le disent eux-mêmes, à une avant-garde : l’avant-garde d’une nouvelle persécution antichrétienne et c’est en tant que tels qu’ils ont été condamnés pour « vandalisme [de la sainte messe] en bande organisée animé par la haine religieuse ». Ils traitent ceux qui ne pensent pas comme eux de « réacs », « selon cette manie qui consiste à mutiler les mots et qui claque ici comme le knout »[3]. Qu’ils ne s’étonnent pas si les réacs se défendent.

        

 

 

 

 

 

 

   



[1] A l’époque de Boileau on disait en latin ce qu’on n’osait dire en français.

[2] Chiffres indiqués par Peter Pomerantsev dans Newsweek 17 septembre 2012.

[3] Cf. Richard Millet De l’antiracisme comme terreur littéraire, Pierre-Guillaume de Roux éditeur, Paris 2012, p 29.

11/09/2012

Annie Ernaux en Hérodiade

Le Monde (du 11 septembre 2012) poursuit sa campagne contre Richard Millet ce qui donne raison à celui-ci au delà de toute espérance. Cette fois, c’est Annie Ernaux qui, sans surprise, est chargée des basses œuvres. Elle réagirait ainsi à des sentiments « de colère, de dégoût et d’effroi », suivie en cela par une nombreuse cohorte principalement formée d’écrivaillons et autres plumitifs  dont l’indignation collective signale le désarroi et la déroute de la bien-pensance devant le glaive nu du poète.

Ce « vil sursaut d’hydre », Richard Millet l’a suscité non seulement en disant le vrai, par quoi il heurtait nécessairement des tabous, mais aussi en contraignant ses adversaires à mettre sur le tapis de vraies questions : est-il permis « d’extraire d’un criminel de masse sa seule ‘’dimension littéraire’’ » ? N’y a-t-il pas là quelque immoralité ? Oh sancta simplicitas ! Annie Ernaux devrait lire André Gide ou William Blake, que le premier cite souvent quand il se demande pourquoi Milton dans Le Paradis perdu est plus inspiré par Satan que par Dieu et ses anges. Millet n’est pas moins bon chrétien que Milton mais il sait que la littérature, surtout depuis le romantisme, n’est pas faite de « moraline » (Nietzsche). C’est pourquoi les écrivains (les vrais) ne sont pas bien pensant ce qui revient à dire qu’ils ne mélangent pas la morale et la politique ou, plus exactement, ne confondent pas la morale en tant qu’elle vise le bien propre de l’individu et la morale en tant qu’elle vise le bien de vastes collectivités humaines. Les deux sont légitimes mais la première doit être subordonnée à la seconde chaque fois que la question de leur hiérarchisation se pose. Cette façon de voir n’est cependant pas évidente pour un écrivain qui, par nature, pratique un individualisme méthodologique. On ne peut exiger du poète qu’il soit philosophe et pourtant il l’est à sa manière pour le meilleur comme chez Dante, Bossuet, Goethe, Millet ou pour le pire comme chez Annie Ernaux. Voyez à quel degré de confusion tombe cette dernière, quel esprit gribouille l’anime quand elle accuse Millet des crimes dont elle et ses pareils sont coupables : son texte serait, dit-elle, « porteur de menaces contre la cohésion sociale », il obéirait à « une logique d’exclusion et de guerre civile ». Mais qui menace la cohésion sociale, qui est fauteur de guerre civile si ce ne sont ceux qui ont largement ouvert la porte de l’immigration ? Les combats qui ont opposé récemment en Assam immigrés musulmans venant du Bangla-Desh et populations autochtones ne donnent-ils pas un avant goût de ce qui pourrait arriver partout dans le monde où une immigration incontrôlée crée dans le peuplement une hétérogénéité dangereuse ? Dois-je évoquer les troubles violents qui ont opposé naguère immigrés mauritaniens et natifs du Sénégal ou les problèmes qui se posent dans les îles Fidji par suite d’une immigration de masse originaire de l’Inde qui a fait des aborigènes une minorité dans leur propre pays ou encore le Kossovo où l’immigration des Albanais musulmans a réduit les Serbes au même statut? Richard Millet, de par son expérience libanaise, est bien placé pour savoir que l’hétérogénéité ethnique est un danger pour la paix sociale. Nul n’est obligé de partager le racisme implicite d’Annie Ernaux qui estime sans doute que nous sommes en France trop civilisés pour imiter les comportements des Sénégalais, Assamais, Fidjiens et tuti quanti. Notre romancière proteste qu’elle ne se sent pas menacée mais les victimes du djihadiste Mohamed Merah ne se sentaient pas menacées non plus. Constater comme le fait Richard Millet qu’à six heures du soir il est le seul blanc dans la station du RER Châtelet-les Halles, apprendre que des familles prénomment leurs enfants Rachida et Mohammed à la troisième génération de leur arrivée en France, preuve d’un refus flagrant d’assimilation, il faut, pour ne pas trouver cela préoccupant, partager la naïveté d’Annie Ernaux qui par ailleurs s’oppose  aux lois restreignant le port du voile. C’est pourtant de tels comportements qui relèvent d’une « logique d’exclusion ». Notre auteure (selon l’horrible  solécisme qu’affectionne Le Monde) n’y est pas sensible. En revanche elle tombe en convulsions quand elle voit Richard Millet considérer l’identité comme un « enjeu de la littérature ». Qu’y a-t-il de choquant à cela ? Les Grecs  voyaient dans l’Iliade et l’Odyssée la source de leur sentiment national. Homère était pour eux l’instituteur de la Grèce. Isocrate a été le premier à donner de l’identité ethnique une définition non raciale au sens où elle ne fait nulle référence à l’ascendance. « Nous appelons Grecs, a-t-il déclaré, ceux qui participent à notre païdéia (culture, instruction) ». Or cette païdéia consistait pour l’essentiel en l’étude des poèmes homériques. Alors oui la littérature a besoin d’une identité nationale forte puisant sa sève dans un héritage millénaire et inversement l’identité nationale a besoin pour se perpétuer d’une littérature vivante et florissante. Ce ne sont pas des musulmans qui pourront nous l’offrir ni même des non-musulmans qui refusent notre héritage, notamment chrétien.

Annie Ernaux ne se réclame jamais de la France, des Français, de leur langue, de leur littérature mais seulement de l’humanité. Or il n’y a pas de littérature humaine en général et l’on serait en droit de lui demander pourquoi écrit-elle en français plutôt qu’en arabe ou en espéranto ? N’a-t-elle pas peur de céder ainsi à un « partage de l’humanité » qu’elle accuse pourtant Richard Millet de vouloir « imposer » ? Elle lui reproche aussi son « mépris de l’humanité » (n’est-il pas un être humain, éprouverait-il du mépris pour lui-même ?) et sa prétendue apologie de la violence. En réalité Richard Millet constate simplement « qu’une guerre civile est en cours en Europe ». Comment pourrait-il en être autrement ? Pénétrer en Europe par centaines de milliers tous les ans contre la volonté des peuples qui l’habitent et s’y installer de force n’est-ce pas la suprême violence ? On peut déplorer un tel processus et condamner l’oligarchie qui en est responsable sans éprouver de la haine envers quiconque n’en déplaise à la dame Ernaux qui demande à Richard Millet : «Que voulez-vous ? La fermeture des frontières ? Le renvoi de tous ceux qui ne sont pas ‘’français de sang’’ ?» Je ne suis pas moi-même « français de sang » et pourtant j’approuve les positions de Richard Millet sur toute la ligne. Sans prétendre parler à sa place je suggère à titre d’hypothèse qu’il n’accepte probablement pas de se laisser enfermer dans cette alternative : ou s’incliner devant ce qui se passe ou exiger l’expulsion des dizaines de millions de personnes. Une voie médiane mais poursuivie avec résolution pourrait donner d’excellents résultats. Elle consisterait en un meilleur contrôle des frontières, une réduction des flux migratoires, leur subordination aux intérêts du pays d’accueil, moins de multiculturalisme, des mesures favorisant l’assimilation des uns et le départ des autres.

Qu’une telle modération soit compatible avec les idées de Richard Millet ne fait pas l’affaire d’Annie Ernaux. Il lui faut un ennemi caricatural afin de pouvoir se déchaîner contre lui en toute bonne conscience. C’est là que sa vraie nature se trahit. Elle invoque la démocratie et les valeurs qui la fondent mais elle en rejette explicitement la principale qui est la liberté d’opinion et d’expression. Toute à son intolérance, elle réclame la tête de son adversaire sur un plateau, qu’on le chasse, qu’on le prive de sa situation chez Gallimard. Elle confirme ainsi l’analyse de Richard Millet qui voit dans l’antiracisme une forme de terrorisme politique.      

04/09/2012

Au secours, les "vigilants" sont de retour!

Le Monde, qui a depuis longtemps  Richard Millet dans son collimateur, juge maintenant le moment favorable pour lui régler son compte. Ce journal cède ainsi de nouveau à son penchant invétéré à la diffamation dès lors qu’il a un alibi pour exercer sa principale fonction : la police de la pensée. Raphaëlle Rérolle, qui a été chargée de cette exécution, a recours à toutes les figures obligées de ce genre : glissements sémantiques abusifs, citations tronquées, enquête sélective et tendancieuse en commençant par ce titre où tout est faux : « L’apologie de Breivik par Richard Millet crée la polémique chez Gallimard » (Le Monde 28 août 2012). L’apologie au sens stricte est une défense et une justification alors que l’essai incriminé s’intitule « Eloge littéraire d’Anders Breivik ». Un éloge n’est pas nécessairement une apologie. Dans son oraison funèbre, Bossuet  fait l’éloge du grand Condé nullement son apologie puisqu’ il condamne l’engagement dans la Fronde du vainqueur de Rocroy ainsi que son invasion de la France à la tête de troupes espagnoles. De même, Millet n’approuve pas les actes de Breivik, et ne lui épargne pas ses critiques soulignant ainsi à plusieurs reprises la distance qui l’en sépare. Rérolle affecte de tenir pour négligeables ces précisions et les tient pour de simples « précautions » oratoires alors qu’elles clarifient en le restreignant le sens du mot « éloge » tout comme l’épithète dont il est assorti. Ne serait-il pas d’ailleurs honteux qu’un auteur soit obligé de dire des choses évidentes afin de couper court à des imputations calomnieuses ? Ce d’autant plus que Le Monde, comme on vient de le voir, ne se laisse pas dissuader si facilement. Ajoutons que la « polémique » à laquelle Rérolle se réfère est imaginaire. Tahar Ben Jelloun et Jean-Marie Laclavetine ne polémiquent pas entre eux, ils monologuent. Que pourraient-ils faire d’autre étant donné que tous deux sont de lâches « collaborateurs » de la « Propagande », comme dit Millet, c’est-à-dire du discours médiatique ? Pour sa part l’écrivain qu’ils attaquent a déclaré d’avance qu’il ne débat ni ne polémique avec personne[1]. Quant à Annie Ernaux, on ne la comprend que trop bien. Elle est l’archétype de l’écrivaillon « postlittéraire » qu’il écrase de son talent et de son mépris et dont l’hostilité rageuse est pour lui un titre d’honneur. L’intervention du Monde ne vise pas à discréditer Richard Millet, opération vaine auprès des gens qui le lisent, mais à le rendre odieux auprès des gens incapables de le lire ; le but final étant de le priver de son ancrage professionnel en faisant pression sur Antoine Gallimard. S’adressant à celui-ci, la journaliste lui signifie clairement ce qui lui reste à faire : se séparer d’un salarié, certes efficace comme éditeur, mais pas assez larbin[2].

   

Je reviendrai dans une prochaine note sur le fond du différend.



[1] Cf. De l’antiracisme comme terreur littéraire, Editions Pierre-Guillaume de Roux, Paris 2012, p 27.

[2] Antoine Gallimard n’a pas toujours résisté aux pressions de la bien-pensance médiatique comme on l’a vu en 2006 quand il renonça à publier, après l’avoir acceptée, une réfutation du libelle antiheideggerien d’Emmanuel Faye « complaisamment relayé"  par l’archi-vigilent Roger Pol Droit dans Le Monde, suivi par Le Point, Le Nouvel Observateur et Libération.

31/08/2012

Ni technophile, ni technophobe

 

Dans sa chronique du Monde des livres (24 août 2012) Roger-Pol Droit s’interroge en partant de Hans Jonas sur notre rapport à la technique. Il reconnaît au philosophe allemand le mérite de nous avoir alertés sur le fait que « les mutations techniques exigent de repenser les limites de l’humain et de chercher si leur franchissement est souhaitable ou destructeur. La modernité nous confronte donc bien à la responsabilité inouïe d’éviter d’embarquer les générations à venir dans des processus irréversibles ». Roger-Pol Droit se prend alors à douter. Les premiers hommes auraient ils été mieux avisés en renonçant au feu à cause des mauvais usages qui pourraient en être faits ? Certes non, car dans ce cas « nous ne serions pas vraiment humains. Voilà pourquoi la grande peur des lendemains n’est pas de bon conseil », conclut-il.

Il est regrettable que notre penseur ne se soit pas souvenu de l’anecdote racontée par les anciens grecs au sujet d’Esope. A l’époque où celui-ci était esclave, son maître qui recevait des amis lui avait demandé de préparer à manger ce qu’il y avait de meilleur. Sur quoi le Phrygien facétieux avait servi des langues à toutes les entrées, répondant aux reproches par un éloge de la parole dont la langue est l’organe. La fois suivante, comme le maître réclamait ce qu’il y a de pire, Esope servit derechef de la langue et encore de la langue. N’est-il pas vrai qu’elle sert à tous les excès (hubris) : mensonge, calomnie, blasphème ?

Conformément à cette leçon de dialectique, gardons-nous aussi bien de condamner en bloc l’esprit prométhéen comme de nous y soumettre aveuglément au nom d’un « progrès irrésistible ». Apprenons au contraire à lui résister en considérant les choses du point de vue des conséquences à long terme alors que les maîtres de la technique, les capitalistes, ne voient que leurs profits à très court terme. Dans cet examen critique, n’en déplaise à R.-P. Droit, la « peur des lendemains » est de très bon conseil à condition, encore une fois, de ne pas être unilatéral.

Heureusement nous avons laissé loin derrière nous ce parti-pris progressiste typique du  XIXe siècle de Victor Hugo. L’esprit des « trente glorieuses » en a été le dernier avatar. L’homme de la rue ne croit plus au progrès longtemps identifié à la croissance du PIB impulsée par les découvertes et inventions technoscientifiques. Un exemple le montrera bien. Le 8 mai 1842 sur la ligne Paris-Versailles un accident épouvantable dû à la rupture d’un essieu tua cinquante-cinq personnes qui furent brûlées vives parce que la compagnie de chemins de fer avait donné l’ordre de fermer les compartiments à clef. Aucun responsable ne fut puni, on mit tout sur le dos du hasard et de la fatalité. Les plaignants furent condamnés aux dépens. Devant la Chambre qui se pencha sur l’affaire, l’éloquence de Lamartine atteint un sommet de lyrisme. Dans son effort pour noyer le poisson et préserver les intérêts des patrons il s’exclama qu’à la guerre il faut bien sacrifier des vies. Eh bien, « la civilisation aussi est un champ de bataille où beaucoup succombent pour la conquête et l’avancement de tous. Plaignons-les, plaignons-nous et marchons ».

Personne aujourd’hui ne se serait exprimé ainsi au sujet de la catastrophe de Bhopal (Inde) causée par l’explosion d’une usine chimique appartenant à une société américaine qui fit 3.500 morts sur le coup et 20.000 de plus à retardement ou même de Fukushima qui n’en fit aucun.