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15/11/2008

Un mécénat contre l'art ?

 

Brève intervention de Kostas Mavrakis lors d’une réunion sur le mécénat d’art organisée par le parti Radical à l’Assemblée Nationale avec la participation de MM. Jean-Jacques Aillagon, Pierre Cornette de Saint-Cyr, Jean Perfetto, Rémy Aron et Pierre Gilou.

 

On ne peut dissocier la question du mécénat de la question de ses bénéficiaires. Sur ce point, la transparence devrait être de rigueur. Nos fonctionnaires qui achètent des œuvres pour les collections nationales sont-ils guidés par des critères ? Si c’est le cas, qu’on nous dise lesquels, sans quoi il nous faudrait admettre que leurs choix sont le fruit du caprice. Deux siècles après la Révolution, vivons-nous toujours sous le règne de l’arbitraire ? M. Cornette de Saint-Cyr a répété d’un air pénétré que Louis XIV achetait de l’art contemporain. Ce souverain appliquait le critère infaillible énoncé par Molière à savoir que « la grande règle de toutes les règles est de plaire ». Aujourd’hui, on applique le critère inverse d’où la grande misère de l’art à notre époque. De plus, on nous cache les montants déboursés pour telle ou telle acquisition de peur sans doute de choquer le bon peuple qui serait effaré par la disproportion entre des sommes astronomiques et la pauvreté des propositions prétendument artistiques dont même le journal Le Monde reconnaissait récemment la nullité en termes d’invention formelle (cf. Philippe Dagen, 1er nov. 2008). La nature des objets en question est en fait connue mais elle n’est pas pensée faute d’un terme adéquat pour désigner les objets susdits. Ce terme est « non-art ». En finançant celui-ci, les politiciens au pouvoir font des cadeaux onéreux à des multimillionnaires maxi-collectionneurs, validant leurs choix, honorant la sûreté de leur goût et les faisant gagner à tous les coups dans leurs jeux spéculatifs. Le mécénat des entreprises fait entrer leurs dirigeants dans un club très sélect. Le mécénat d’Etat vise à faire occuper la place de l’art. par le non-art. En exposant Jeff Koons à Versailles et Jan Fabre au Louvre, les responsables qui décident en notre nom permettent au non-art de parasiter l’art et de prendre en otage les visiteurs des musées. Que dire enfin du « mélange des genres » qui frise la prise illégale d’intérêts quand le commissaire priseur Cornette de Saint-Cyr est nommé à la direction du palais de Tokyo et que l’ex-patron de la fondation Pinault, M. Aillagon, met le palais de Versailles au service de la promotion de Jeff Koons, un anartiste très présent dans la collection du même Pinault ? Nous avons clairement affaire à un mécénat contre l’art. Dans ces conditions le meilleur service que puisse rendre l’Etat aux artistes serait de mettre un frein ou même un terme à sa munificence.    

16:39 Publié dans Société | Lien permanent | Commentaires (0)

10/11/2008

Lucian Freud est-il un "artiste contemporain"?

Un portrait inachevé de Francis Bacon peint en 1956-57 par Lucian Freud a été adjugé 5.417.000 (près de 7 millions d'euros) le 19 octobre chez Christie's à Londres. Lucian Freud est un artiste tout ce qu'il y a de plus figuratif. Son métier et sa virtuosité impressionnent. Il prend place dans la continuité de la grande tradition; bref c'est un peintre au sens habituel du mot. A ce titre, il devrait normalement se voir dénier la qualité d'artiste de la part des tenants du prétendu "art contemporain" et c'est pour cette raison que les organismes chargés par l'Etat d'aquérir des oeuvres pour les collections nationales n'achètent jamais des peintures de ce genre. Sur le marché, Lucian Freud est pourtant incontestablement consédéré comme un des plus grands artistes contemporains. Cherchez l'erreur ! 

05/07/2007

Rancière se gargarise de mots

Après une interruption due à une panne d'Internet, je poursuis mes réflexions sur Rancière et l'art.

Selon ce philosophe "les créateurs" "de la peinture abstraite" ont été les "artisans de la vie nouvelle soviétique" [au début des années vingt du siècle passé]. Chez eux "la pureté de la ligne devenait l'instrument de la constitution d'un décor nouveau de la vie susceptible de se transformer en décor de la vie nouvelle" (cf. Malaise dans l'esthétique Paris 2004, pp 48-49). Créer un décor serait-ce changer la société? Un art décoratif serait-il intrinséquement politisé et de nature à servir une cause révolutionnaire? La thèse est absurde et Rancière n'avance aucun argument en sa faveur. Apparemment il la considère comme allant de soi. Par ailleurs il ne dit rien des peintres abstraits du monde occidental. De quelle vie ont-ils été les artisans?

Rancière base sa démonstration sur la rencontre des avant-gardes artistiques russesavec le bolchévisme autour de 1920, mais il ne nous propose aucune interprétation de la rencontre à la même époque ou plus tard du futuriste Marinetti avec le fasciste Mussolini, de l'avant-gardiste Yves Klein avec Franco qui le décora, du surréaliste Salvador Dali avec le même Franco, du théoricien de la "Nouvelle figuration" néo-dadaïste Rezvani avec les semi-fascistes "Algérie française", des Pollock, Rothko et compagnie avec la C.I.A..

Rancière s'occtroie la facilité de tenir pour évidentes des propositions qui ne le sont nullement. Par exemple celle-ci : "une communauté libre, autonome, [...] ne connaît pas de séparation entre la vie quotidienne, l'art, la politique ou la religion" (ibid. p 52). Pourquoi cette affirmation? Vous aurez beau chercher dans son livre votre question restera sans réponse. Cependant Rancière poursuit sans gêne : "Dans cette logique, la statue grecque est pour nous de l'art parce qu'elle ne l'était pas pour son auteur," (ibid). A le suivre puisque les cités grecques étaient des communautés libres, leurs oeuvres d'art n'en étaient pas pour elles! En réalité les Grecs ont développé une critique d'art faisant l'objet de débats très vifs dans le peuple, une histoire de l'art dont le premier représentant fut Douris de Samos et une réflexion théorique sur l'art chez les philosophes. Or le présupposé selon lequel un objet de culte tel que la statue de la divinité dans un temple ou un objet utilitaire n'est pas de l'art (seuls le seraient les oeuvres autonomes des musées) est tout à fait centrale chez Rancière. Comme elle est fausse tout son raisonnement s'écroule.   

29/06/2007

La haine de l'art

Ma cible pendant quelque temps ne sera plus Alain Badiou mais Jacques Rancière à qui je reprocherai, pour commencer, de tenir implicitement pour illégitime toute interrogation sur le statut des objets divers et variés dont on veut nous persuader qu'ils sont de l'art. Il ne peut ignorer que cette prétention est problématique, mais il fait comme si de rien n'était. La domination totalitaire du non-art serait une fatalité dont on ne pourrait que prendre acte comme on le fait pour pour les phénomènes météorologiques. Quiconque proteste serait un nostalgique du passé. S'attaquant sans les nommer à Marc Fumaroli et à Michel Schneider il ironise sur "la niaiserie des pleureurs qui s'apitoient périodiquement sur la ruine de l'art dans le commerce et la politique culturels" (cf. Chroniques des temps consensuels, Paris 2005 (p 46).

La position adoptée par Rancière s'explique par son adhésion tacite aux thèses d'un auteur qu'il ne cite pas (il cite rarement ses sources) et qui est Nelson Goodman. Celui-ci est conduit par son nominalisme à interdire la question (dépourvue de sens pour lui) "qu'est-ce que l'art" à laquelle il substitue la question "quand y a-t-il de l'art?" Rancière admet pareillement qu'une même statue ou un même tableau sont ou ne sont pas de l'art selon les circonstances (cf. Malaise dans l'esthétique, Paris 2004, pp 15, 43, 53). L'exemple canonique donné par Goodman est qu'on peut boucher une fenêtre cassée avec une toile de Rembrandt. Celle-ci ne conviendrait pas plus à un usage qu'à un autre. Pour le sens commun, une toile d'un tel peintre a reçu de son travail des propriétés esthétiques qui la font être et rester ce qu'elle est qu'on s'en serve ou non comme source de délectation contemplative. Un nominaliste ne peut en convenir car il nie l'existence de substances qui seraient ceci ou cela. Ne partageant pas ce présupposé j'interpréterai les mêmes faits autrement. Considérons les soldats de Mummius jouant au trictrac sur un tableau de Zeuxis après le sac de Corinthe. Pour Plutarque cette anecdote ne nous apprend pas qu'un tableau peut fonctionner comme un simple paneau de bois, ce qui est évident. Elle témoigne seulement de la grossièreté des soudards romains, de leur manque de culture qui les rend aveugles à la beauté à laquelle serait sensible toute personne de goût éduqué par la familiarité avec les chefs-d'oeuvre.

Laissons de côté un instant les provocations de Goodman et posons-nous la question générale : n'est-il pas vrai que certaines oeuvres servent parfois à d'autres fins que l'expérience esthétique? Par exemple, le fameux groupe de Neptune et Amphitrite sculpté par Bienvenuto Cellini faisait partie d'un nécessaire de table et servait à présenter le sel et le poivre. C'était pourtant de l'art et les contemporains le percevaient ainsi. J'admettrai donc l'hypothèse infiniment probable qu'aucun artefact n'est beau accidentellement. Quand il est source de satisfaction esthétique, nous sommes en droit d'attribuer cet effet à des caractéristiques produites intentionnellement et pour cette raison nous lui reconnaîtrons le statut d'oeuvre d'art quelles que soient ses autres fonctions : religieuses, de propagande ou utilitaires.

En fait, Goodman et Rancière violent le principe juridique Nemo propriam turpitudinem invocat. On ne peut invoquer la barbarie pour réfuter la civilisation, ni son propre philistinisme pour ravaler l'art au rang du n'importe quoi. Ai-je raison d'user de termes aussi durs? Le philosophe que je critique les ratifie lui-même. A la page 36 du livre déjà cité (2004) il remarque ceci : "art contemporain" ne désigne ni la musique, ni la littérature, ni le cinéma mais uniquement "ce qui vient à la place de la peinture". Il définit donc l'art contemporain comme "ces assemblages d'objets [...] qui occupent les espaces où l'on voyait naguère des portraits accrochés aux murs". Mon lecteur perspicace perçoit déjà un bout de nez hideux qui pointe. Mais poursuivons la lecture. Selon Rancière "peinture" n'est pas seulement le nom d'un art. C'est le nom d'un dispositif qui vient occuper la même place et remplir la même fonction" (ibid.). Maintenant les choses sont claires. La "même fonction", Monsieur ancière? Elle peut sembler la même à qui ne sait rien et ne veut rien savoir de l'émotion esthétique qu'on retire à la vue d'un beau tableau, c'est-à-dire à qui est aveugle à la peinture et Dieu sait que cette engence abonde même parmi les philosophes. Quand triomphait le grand art, elle était inoffensive et se contentait d'imiter les signes de satisfactioçn des vrais amateurs de cet art. Aujourd'hui que le non-art exerce une domination sans partage, les béotiens polygraphes au service de l'Etat et de la haute finance sont devenus virulents et vénimeux car ils se sont chargés de la mission d'achever la peinture déjà mal en point. Pour cela, ils doivent agir masqués, mais ils ne parviennent pas toujours à dissimuler leur vraie nature et leur insensibilité au beau. Rancière se surveille; il enveloppe son propos d'un épais nuage dialectique, mais il ne peut empêcher le philistin en lui de percer. Il se trahit à travers son mépris de la peinture réduite à l'alignement monotone de portraits de famille.

Dans son livre suivant, Chroniques des temps consensuels Rancière laisse échaper des propos qui révèlent à quel point il est un béotien. Parlant de Picabia et de sa capacité à faire "tableaux ou anti-tableaux, figurations ou anti-figurations" (p 148) il n'y reconnaît que des "succès" et des preuves de "virtuosité". Il ne remarque pas la vulgarité et la facilité des peintures figuratives de Picabia qui copie servielement des photographies de charme sans le moindre élément imaginaire. Le sommet est atteint p 64 lorsque Rancière demande : "pourquoi donc considérer que l'art en général est en crise si celui qui venait dans un musée voir de la peinture trouve à sa place des tas de vieux habits, des empilements de postes de télévision ou des porcs coupés en deux? Et si même on pouvait taxer [tout cela] de nullité [...] pourquoi l'éclipse momentanée d'un art parmi d'autres serait-elle la catastrophe finale de l'art?" Ce qui s'exprime à travers ces interrogations rhétoriques, c'est encore le mépris de la peinture. Ce serait un art parmi d'autres qu'importe sa survie? De même les Juifs étaient un peuple parmi d'autres pourquoi faire un tel ramdam pour leur extermination? D'ailleurs, si tout le monde adoptait la même attitude consistant à trouver normal de voir dans un musée le genre d'objets qu'il énumère, l'éclipse de la peinture ne serait pas momentanée mais bel et bien définitive.