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09/01/2010

De Duchamp à Gober un historicisme anhistorique

L'expression "art contemporain" désigne une réalité intemporelle congruente avec le néant qui l'habite. L'objet quelconque admis dans une exposition était "contemporain" en 1914 et l'est resté un siècle après. La seule différence est qu'on le prend de plus en plus au sérieux. Les monochromes d'Alphonse Allais étaient des facéties en 1880 (1), ceux de Rodtchenko en 1922 proclamaient la mort de l'art mais quand dans les années 50 ou 60 du siècle passé Klein ou Rhyman refirent le même geste, celui-ci fut salué comme un chef-d'oeuvre. Ainsi futaccomplie la prophétie d'Alphonse Allais qui se disait précurseur des grands peintres du XXe siècle. La logique du non-art contemporain obéit à une compulsion de répétition. En 1916, Duchamp désireux de se moquer des faux amateurs d'art et vrais snobs, prétend exposer un urinoir. En 1991, sérieux comme un pape, Gober expose au Musée du Jeu de Paume sous les applaudissements unanimes trois urinoirs. On pourrait multiplier les exemples. Aujourd'hui le minimalisme des rayures de Buren surechérit sur le minimalisme des carrés de Malévitch. Rauschenberg expose un effaçage longtemps après Picabia. Christo emprunte à Man Ray et à Kantor l'idée de l'emballage et ce plagiare devient célèbre. Le règne du non-art met, par définition fin à l'art et donc à son histoire alors que l'innovation historique était son seul titre de légitimité. C'est pourquoi être de son temps à notre époque c'est n'être d'aucun temps. Les soi-disant artistes qui se vouent à cette ambition sont tenus de rompre avec toutes les écoles d'autrefois et s'installer dans leur négation immuable qui, de ce fait, se situe hors du temps. Ceux, au contraire, qui se proposent d'abandonner cette posture stérile ne pourront faire autrement que renouer avec l'art, son histoire, ses traditions en assumant à nouveaux frais les exigences imposées par cette fidélité seule à même de produire d'authentiques nouveautés artistiques. 

(1) L'un deux qui était blanc s'intitulait "Première communion de jeunes filles chlorotiques par temps de neige". 

22/12/2009

Rossellini filme la négation de l'architecture

En 1977 Roberto Rossellini a réalisé un documentaire sur l’ouverture au public du Centre Pompidou nouvellement construit. Son assistant d’alors, Jacques Grandclaude, nous propose aujourd’hui un triptyque dont le premier volet montre Rossellini sur le chantier. On le voit se pencher sur les problèmes techniques de son métier : l’artiste comme artisan. Dans le deuxième volet central, nous voyons le résultat fluide et lisse de ce labeur, l’œuvre de Rossellini lui-même. Dans le troisième volet, le cinéaste, filmé cette fois-ci comme penseur, redevient le sujet. Il y défend dans un colloque ses conceptions face à ceux qui l’attaquent. Sa mort est intervenue peu de temps après.
Depuis trente ans, ce chant du cygne du grand réalisateur italien a été mis sous le boisseau pour plusieurs raisons dont les trois suivantes : 1° il montre les antécédents modernes de l’art contemporain, qui apparaît ainsi comme l’aboutissement d’une histoire ; 2° il rend évidente la trahison de l’art français par ceux qui étaient censés le servir et qui, par snobisme ou intérêt, ont préféré se plier aux prescriptions de New York ; 3° il fait entendre les réactions du public qui à l’époque n’avait pas encore été dressé à se taire respectueusement devant l’art dégradé ou le non-art qu’on lui impose.
Que pensait Rossellini du Centre Pompidou ? Tout indique qu’il aurait esquivé la question si on la lui avait posée. En tant que cinéaste, il se voulait regard objectif. Sa caméra enseigne à voir mais lui-même s’abstient de tout commentaire, attitude qui parut suspecte à un journaliste venu l’interroger. Elle lui faisait subodorer un modernisme tiède, peut-être même des réserves muettes. Or pour le progressisme « contemporain » du grand capital et pour son représentant Pompidou dont l’œil narquois surveillait la scène, il était d’autant plus impératif d’exprimer son enthousiasme que celui-ci était improbable. Talia demonstrare destruere est, « montrer ces choses c’est les détruire » disait Tertullien. Devant une œuvre comme celle de Rogers et Piano, il faut s’extasier avant de regarder. Après, il est trop tard. Le silence sonne désapprobateur comme si les mots manquaient pour dire sa consternation ! Une raison de plus pour que les bureaucrates n’aient pas voulu du documentaire de Rossellini et que les journalistes se soient senti tenus de le prendre à parti.
« L’objectivité n’existe pas lui, lança l’un d’eux. Vous exprimez votre point de vue ». « Je suis objectif en me servant de mes yeux sans avoir besoin des vôtres », lui rétorqua le néo-réaliste qui aurait pu citer Goethe disant « je peux promettre d’être objectif non d’être impartial ». Son film en apparence froid et compassé véhicule une prise de parti au moins implicite. Il commence par une vue d’ensemble de Paris. Au loin se profilent, Notre Dame, le Panthéon, le Sacré-Cœur. On entend les cloches, la caméra s’attarde sur les maisons décrépies du quartier et leurs toits; bref la ville traditionnelle de vieille civilisation. Puis à un moment donné, une grande verticale sombre se découpe à droite qui envahit progressivement le champ et oblitère la variété, la richesse, le pittoresque évocateur d’on ne sait quel tableau de Spitzweg. C’est le Centre Pompidou. On ne peut nier que ce contraste fasse sens et soit voulu.
Il y eut d’autres échanges significatifs entre Rossellini et les journalistes. Fishing for compliments, un de ces plumitifs lui posa des questions visant à lui faire reconnaître « le succès populaire » de Beaubourg. Loin de se laisser manipuler en saisissant la perche, Rossellini mit le phénomène sur le compte d’un trait du caractère parisien. Il cita un artiste qui avait attiré des foules pour avoir su piquer leur curiosité. Le centre Pompidou produit le même effet, insinua-t-il, parce qu’il n’y avait rien qui lui ressemblât dans le monde. En tout cas, au cours de ses nombreux voyages, il n’avait rien vu d’équivalent. Certains penseront que c’est le signe du génie des architectes, d’autres y verront la preuve de ce que le sommeil du souci esthétique engendre des monstres.
Avec plus de trente ans de recul, j’opterai pour le second terme de cette alternative car le Centre Pompidou contrevient aux principes les plus fondamentaux de l’architecture et de l’urbanisme. Comme tout art, la première crée des formes signifiantes et prégnantes, source de satisfaction esthétique. Comme tout art, elle nous parle au moyen d’un langage spécifique dont le vocabulaire est constitué d’un ensemble de motifs transmis durant des siècles, voire de millénaires. Se déployant dans les trois dimensions de l’espace, elle diffère de la sculpture en ce qu’elle abrite un espace intérieur clairement et manifestement séparé de l’extérieur. Beaubourg inflige un démenti emphatique à chacun des ces traits dont l’ensemble définit l’essence de l’architecture. On peut en dire autant de sa fonction en matière d’urbanisme, de ses devoirs envers la ville. Un bâtiment doit s’intégrer à l’ensemble constitué par les édifices voisins ; affaire en quelque sorte de politesse, d’urbanité. Au lieu de quoi Rogers et Piano ont infligé à Paris une incongruité. Ils ont posé sur son visage une verrue.
Pour légitimer le Centre Pompidou, on a comparé les protestations qui l’accueillirent à celles suscitées par le projet de la Tour Eiffel. Or cette dernière structure métallique n’est pas un bâtiment. La distinction entre l’intérieur et l’extérieur, que Rogers et Piano ont seulement affaiblie, n’existe pas du tout dans le cas de la Tour. N’étant pas de même nature que les immeubles qui sont à ses pieds, n’étant pas non plus à la même échelle (elle est dix fois plus haute), elle ne saurait jurer avec eux. Absolument hétérogène à son voisinage, la question de son intégration à celui-ci ne se pose même pas. Ajoutons que son dessin, basé sur deux courbes paraboliques qui tendent à se rejoindre asymptotiquement, est d’une grande élégance. Pour toutes ces raisons, la tour Eifel aussitôt achevée fut acceptée et même appréciée. Il en est allé différemment pour le Centre Pompidou dans lequel aucune considération esthétique n’est discernable. C’est surtout pour cette raison qu’il a été comparé à une raffinerie et pas seulement à cause des tubes et tuyaux dont il est fait. Ce rapprochement et sa réciproque se sont si bien ancrés dans les esprits que récemment le commentateur d’une émission de télévision sur l’industrie pétrolière en Irak qualifiait un ensemble de conduits vivement colorés de « Centre Pompidou du désert ».

21/11/2009

Henri Loyrette persiste et signe

Dans un entretien accordé au supplément du Monde (nov. 2009), le président du Louvre justifie à nouveau l'utilisation du vénérable musée comme support publicitaire pour Axa, Total et les montres Bréguet. Il est fier de gagner beaucoup d'argent en en faisant une entreprise exportatrice de chefs-d'oeuvre vers Abou Dhabi. Ce ne sont d'ailleurs là que broutilles par rapport à la transformation du Louvre en écrin du non-art officiel au profit de Jan Fabre, Anselm Kiefer et tutti quanti. Pour défendre cette politique, Loyrette a un argument (et quel argument!) : "le Louvre a toujours été la maison des artistes vivants" comme si c'était le fait que ces messieurs ne soient pas morts qui posait problème. Et de citer Delacroix peignant le médaillon central de la galerie d'Apollon. Parfois, pourtant, un doute le taraude. "La présence d'artistes contemporains n'est pas chose évidente [...] il y a un grand gap entre le moment où s'arrêtent nos collections - la première moitié du XIXe siècle - et le monde d'aujourd'hui". Apparemment, personne ne lui a fait remarquer - si forte est l'emprise de la bien pensance - que le fossé en question n'est pas chronologique ni stylistique. Il s'agit de l'abîme qui sépare l'art du non-art. Exposer celui-ci à côté des grandes créations d'antan a pour but de faire rejaillir sur lui le prestige d'oeuvres géniales et plus précisément d'accréditer l'idée que nous sommes en présence d'objets appartenant à la même catégorie et méritant les uns comme les autres d'être désignées par le mot art. En même temps - la contradiction devient alors flagrante - lorsque l'art authentique est une production actuelle cela suffit pour qu'il soit banni des cimaises. Quant au non-art que je dénonce, on est en droit de le qualifier ainsi dès lors qu'il n'a rien de commun avec quoi que ce soit figurant au Louvre malgré l'immense diversité de ses collections. Au total, il s'agit d'une escroquerie consistant à faire occuper par le non-art la place de l'art. Une usurpation d'identité en quelque sorte. Loyrette participe à cette opération pour complaire aux riches et aux puisants qui ont investi dans le non-art des milliards de milliards. Il n'est pas incompétent; il est vendu.  

07/11/2009

Nous ne sommes plus à l'époque de Maurras

Dans son livre Le procès des Lumières, Daniel Lindenberg fait grand cas d’un retour à Maurras qu’il observerait à notre époque. Celle-ci, pourtant, diffère radicalement de celle du penseur monarchiste en ce qu’aujourd’hui les classes supérieures (en gros les riches) ont basculé dans leur majorité du côté des ennemis de la religion, de la famille, de l’art et de la civilisation. Voilà pourquoi nous (la vague constellation de ceux à qui s’en prend Lindenberg) ne pouvons être maurrassiens ni défendre les hiérarchies sociales. Nous disons aux possédants : « à vous de voir si vous souhaitez nous rejoindre sur la base de nos principes. Sachez seulement que sans principes, sans socle idéologique, aucun ordre ne dure. Pensez à l’URSS ; elle s’est écroulée quand l’emprise du marxisme-léninisme s’est dissipée y compris dans la nomenklatura. C’est en vain que vous vous efforcez d’imposer votre nihilisme et votre cynisme en envahissant les lieux culturels avec les misérables productions du non-art. Bien sûr on vous comprend de préférer vouloir le rien plutôt que ne rien vouloir (pour reprendre le mot de Nietzsche) mais ce ne sont pas les grosses plaisanteries de Jeff Koons ou de Maurizio Cattelan qui vont asseoir votre à hégémonie spirituelle. Comme on ne peut guère s’appuyer sur du vide, votre pouvoir pourrait bien se révéler, à l’instar de tant d’autres, un colosse aux pieds d’argile.

 

Ce lundi 9 novembre à 18h30 je signerai mon nouveau livre intitulé : De quoi Badiou est-il le nom? Pour en finir avec le (XXe) siècle à la librairie l'Harmattan 16, rue des Ecoles (Paris Ve). Voir mon site : Peinture et philosophie, http://www.kostasmavrakis.fr/ et dans ce blog à la rubrique "Culture"