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09/04/2009

L'urinoir et les snobs

Il est permis de voir dans l’urinoir de Duchamp une leçon adressée aux snobs et mettant à nu l’inanité de leur jugement esthétique. « Vous admirez, insinue cet équipement sanitaire, les Rembrandt comme vous m’admirez : simplement parce que nous sommes dans un musée ». La riposte des snobs fut de louer les qualités de Fontaine, l’élégance de ses courbes, sa blancheur immaculée, son ironie spirituelle, son audace. Arthur Danto s’est illustré dans cet exercice.

07/04/2009

Didi Huberman en extase devant un cube

 

Après la panique des spéculateurs boursiers nous pourrions assister à une panique des spéculateurs sur le marché du non-art. Déjà les cotes des soi-disant "artistes contemporains" ont dégringolé. Leurs ventes qui avaient atteint chez Sotheby’s et Christie’s respectivement 316 et 325 millions de dollars en 2007 ont été réduites en 2008 à 125 et 114 millions. La dernière vente aux enchères de Pinault a été un échec que les médias ont préféré taire. Certains se prennent à espérer que la crise pourrait nous débarrasser de cette barbarie. Je n’y crois pas trop. Les intérêts en jeu sont trop énormes. Qu’on pense aux milliardaires mégacollectionneurs, aux centaines, que dis-je, aux milliers de musées d’art contemporain de par le monde, aux fonctionnaires dont les achats ont rempli ces espaces avec l’argent du contribuable. Si tout cela se révélait être du vent, ce n’est pas seulement un capital monétaire qui serait réduit en poussière, c’est aussi du capital symbolique. Que deviendraient les pseudo-intellectuels qui ont fait ces réputations usurpées ; tel ce  « critique d’art » pour qui le pot de fleur de Raynaud, par exemple était une « forme sublime » ? Et puis le maintien de l’ordre social exige aux yeux du pouvoir que nous croyions à notre chance de vivre à une époque comme la nôtre. Si l’on admettait qu’un pot de fleur (ou de peinture) est simplement un pot, l’autocélébration de cette époque serait discréditée tout comme le discours convenu de nos autorités académiques sur l’art contemporain.

Une de ces autorités, en réalité un aigrefin dans le style du conte d’Andersen : « Les habits neuf de l’empereur », est Didi-Huberman. Dans Ce que nous voyons, ce qui nous regarde, il a commenté  admirativement un cube en acier de Tony Smith en réussissant le tour de force de présenter ce volume comme une « sculpture » et même « comme un quasi-autoportrait ». Cette transfiguration est opérée par la magie du verbe. Voyez comme il s’entend à créer une atmosphère en nous disant que l’objet intitulé Die « ne nous inquiète pas seulement à travers l’obscurité de sa masse. Elle nous inquiète aussi à travers l’indécision qui s’y joue perpétuellement d’une verticalité et d’une horizontalité ». Didi-Huberman ne semble pas savoir que les arêtes verticales d’un cube sont, par définition, égales aux horizontales. En cela, il n’y a nulle « indécision » et aucune raison de nous inquiéter. Je précise tout de suite, pour parer au cliché avant-gardiste habituel, que je ne me sens aucunement « dérangé » par la construction géométrique de Smith. En revanche que Didi-Huberman y voie « une œuvre au sens fort du terme » m’inquiète beaucoup (pour lui).          

Les œuvres d’art au sens propre n’étant pas du n’importe quoi peuvent susciter des réflexions très variées mais pas n’importe lesquelles. Leur commentaire est contraint par leurs caractéristiques objectives. Il n’est pas loisible à chacun de délirer à sa guise devant un tableau de Poussin comme le fait Didi Huberman devant la vacuité minimaliste de Smith.

03/04/2009

Yves Michaud fait de la pub au non-art

 Elizabeth Badinter a dit récemment que le message toujours actuel de Simone de Beauvoir était : « n’acceptez pas le monde tel qu’il est ». Les artistes véritables se reconnaissent dans ce mot d’ordre au lieu de suivre les conseils des bonnes âmes qui leur veulent du bien et qui les invitent à être à l’image de la société actuelle. Celle-ci est gouvernée par des forces politiques et des intérêts financiers qui imposent le non-art en lui assurant le monopole de la visibilité médiatique et muséale. Nous vivons à une époque hostile à la vraie culture. Le seul moyen pour un artiste d’être de ce temps est de lui tourner le dos pour simplement survivre ; c’est-à-dire pour rester fidèle à sa vocation.

Le non-art est par définition fait pour ceux qui, ne comprenant rien à l’art, ne peuvent que souhaiter sa disparition. Parmi ces philistins, généralement snobs, il y a des intellectuels connus qui, tels Yves Michaud, mettent leur facilité de plumitifs au service du relativisme nihiliste. Aveugles à la peinture, ils comptent sur cette idéologie pour les en débarrasser. Dès lors, personne ne pourra se prévaloir d’une supériorité sur eux. Comme tant d’autres (par exemple Judith Bénamou), ce monsieur accepte le monde tel qu’il est. Il s’incline servilement devant la domination du non-art et prétend enregistrer avec l’objectivité d’un sismographe la disparition du grand art remplacé, dit-il, par le design, l’emballage, la décoration intérieure et la publicité ; si bien que la beauté serait « partout », à défaut d’être dans les musées ou la nature. L’art « à l’état gazeux » infuserait le quotidien. On le verrait dans la rue et le supermarché. En bon relativiste, il prétend qu’aujourd’hui « la distinction entre un haut et un bas ne vaut plus ». A la même page, il écrit : « Jamais la société n’a autant baigné dans la culture et [pourtant] jamais il ne nous a été aussi difficile d’en identifier les formes élevées »[1]. Cependant le mépris qu’il affiche vis-à-vis des « best-sellers populaires préfabriqués » ou de « la littérature selon Paul-Loup Sulitzer »[2] montre que cette distinction, non seulement vaut toujours, mais va de soi. L’essayiste Michaud se prétend philosophe mais, sans craindre l’inconséquence, il prône en matière d’art un nivellement mortifère par le bas qu’il refuse dans son domaine, celui des lettres où subsistent des critères.

Il m’est arrivé de citer Yves Michaud dans mon livre : Pour l’Art. Eclipse et renouveau parce qu’il fait preuve assez souvent de lucidité vis-à-vis du petit monde de « l’art contemporain ». Quand il s’agit d’art, c’est une autre affaire. Dans un entretien accordé récemment à Télérama (n° 3088, 21-27 mars 2009), il s’est complètement démasqué en faisant la promotion d’anartistes absolus. Il y lit notamment la déclaration suivante : « ce que je connais de plus fort, c’est la performance d l’artiste chinois Zhu Yu, qui a mangé en 2000 des fœtus d’enfants rôtis. Il y a aussi David Nebreda, cet artiste espagnol, squelettique qui se mutile, s’enduit d’excréments et s’expose depuis les années 1990 en photographies belles et fortes ». Interrogé sur le déclin de la critique « réduite à valider des produits », il estime qu’il n’y a pas de quoi s’alarmer. Après tout il n’y avait pas de critiques avant le dix-huitième siècle. Aujourd’hui, « les ventes aux enchères sont un bon baromètre du goût des collectionneurs et de la qualité de œuvres (sic !). Il serait simpliste de le déplorer : l’art a toujours été lié à l’argent. (…) Le Tintoret et Le Titien étaient fabuleusement riches ». Vous avez admiré l’absence de sens historique de Michaud qui est assez ignorant pour tomber dans d’aussi  grossiers anachronismes. Pour lui Le Titien serait un artiste au sens où ce prédicat s’appliquerait à Buren ! Bien entendu, ce qui est consternant aujourd’hui, ce n’est pas que l’art soit lié à l’argent mais que l’argent soit lié au non-art.        



[1] Cf. Yves Muchaud : La crise de l’Art contemporain, P.U.F. 1997, p 61.

[2] Ibid. p 60.

27/03/2009

Lucian Freud n'est pas du goût d'Anne-Marie Bonnet

 

L’art dit « contemporain » (mais vieux d’un siècle) a toujours refusé d’être jugé sur sa valeur esthétique. Seule compterait la « démarche » du soi-disant créateur, c’est-à-dire ses intentions. Longtemps celles-ci furent censées être innovantes. On devait rompre avec ses prédécesseurs, voire avec soi-même pour introduire constamment du nouveau. Cette conception appartient définitivement au passé. Pourtant la dénommée Anne-Marie Bonnet ne semble pas s’en être aperçue. Cette personne avait été invitée à l’émission d’Isabelle Giordano « De l’art ou du business » sur Arte le 12 mars en tant que membre, avons-nous compris, d’une commission chargée d’acheter des œuvres d’« art contemporain » pour le compte de l’Etat fédéral allemand. Elle fut incapable de préciser les critères qui déterminent ses choix mais indirectement elle en indiqua un, celui de la nouveauté dont je viens de dire la péremption. Selon elle, Lucian Freud mériterait tout juste une note en bas de page dans l’histoire de l’art. Pourquoi ? Eh bien parce que depuis vingt ans il ferait « toujours la même chose ». Si l’on veut, mais au moins est-ce de la peinture, ce qui n’est pas rien par les temps qui courent. Après tout, Corot ou Courbet ont fait en ce sens la même chose toute leur vie. Et surtout, surtout ! Buren, illustre artiste contemporain, n’a pas arrêté de nous montrer ses rayures achetées il y a quarante ans au Marché St. Pierre. Que dire aussi de cette autre célébrité nationale : Jean-Pierre Raynaud. Celui-ci raconte inlassablement dans quelles circonstances il « barbouilla » de peinture un pot de fleurs rempli de ciment. En août 2007, le critique (si l’on peut dire) de Libération lui demande : « Depuis vous avez toujours continué de faire des pots… » et Raynaud de répondre sérieux comme un pape : « Plus précisément je dirais que cela fait quarante-cinq ans ». On pourrait multiplier à l’infini les exemples de néodadaïstes répétant compulsivement les mêmes gestes prétendument transgressifs mais en fait académiques au pire sens du mot : un académisme du non-art. Anne-Marie Bonnet voit la paille dans l’œil de Lucian Freud mais pas la poutre dans l’œil des Buren, Raynaud, Toroni, Baselitz, Ryman et tutti quanti. Dans quel monde vit cette dame ?