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06/05/2010

Crise grecque, crise européenne

Je suis pro-européen à condition que l'Europe serve à quelque chose. A quoi donc est-elle bonne ? La réponse de Christine Lagarde à cette question est celle qu'on nous serine depuis des dizaines d'années : « Si nous voulons peser sur le destin du monde il faut jouer collectif ». Or c'est ce que nous ne faisons pas. Peut-être que sans l'Europe nous aurions pu nous concerter pour éviter le fiasco de Copenhague et ne pas être à la queue des sino-américains. Le marché commun serait-il au moins bénéfique pour nos économies ? Même pas. Le taux de croissance de l'Europe est très inférieur à celui des autres régions du monde. Ce n'est pas un critère pour moi qui prône la décroissance mais ce l'est pour les libéraux qui doivent reconnaître que de leur point de vue l'Europe qu'ils ont construite est un échec  Le principal responsable de cette stagnation est l'euro fort et même l'euro tout court car il empêche les dévaluations compétitives qui ont longtemps permis à la France de prospérer plus que l'Allemagne, ce qui n'est plus le cas. Au total, l'Europe perd sur tous les tableaux. Elle ne pèse guère dans les rapports de force mondiaux que ce soit sur le plan politique ou économique.

La crise grecque a exposé en plein jour énormément de vérités qui étaient soigneusement dissimulées par le discours convenu. En quoi consistent les fautes des Grecs ? Depuis l'accession au pouvoir du socialiste Andréas Papandréou (père) il y a trente ans, ce peuple a pris l'habitude de vivre au-dessus de ses moyens mais grâce à l'inflation il avait un taux de croissance supérieur à la moyenne de ses partenaires. Quand la Grèce est entrée dans la zone euro, les règles du jeu ont changé. Les Grecs ont été incités comme tant d'autres (les Italiens par exemple) à faire preuve de « créativité comptable » comme dit Fitoussi. Avec la grande crise financière mondiale, l'heure de vérité a sonné pour eux. Ils devront subir les conséquences des restrictions budgétaires, de la déflation, de la hausse de leur dette en termes réels et enfin de la récession.

Que dire du plan d'aide dont ils ont « bénéficié » ? A cause des Allemands, il a été tardif et donc plus onéreux. Etre radin peut coûter cher ! Les Français se sont montrés généreux mais en apparence seulement car il s'agissait de sauver leurs banques très engagées sur la dette publique d'Athènes. Il est d'ailleurs pour le moins excessif de parler à ce propos de générosité. Bercy réalise une juteuse plus-value sur le dos des Grecs en leur prêtant à 5% alors qu'il emprunte à 1,5%. Les autres pays songeaient aussi à leur intérêt. Livrer la Grèce aux appétits voraces de la spéculation (qui s'en prend également à l'euro) risquait de faire bientôt d'autres victimes. Le Portugal et l'Espagne étaient en première ligne mais l'Italie et l'Irlande venaient juste après, voire le Royaume uni dont le déficit budgétaire est de 12 %, à peine moins que celui de la Grèce. Pour le moment Londres est surtout protégé par la faiblesse de la livre. On imagine la catastrophe si les Anglais avaient adopté l'euro ! Avec la chute de tous ces dominos, la France ne serait pas non plus à l'abri. L'Allemagne pays vertueux par excellence, resterait seule alors mais à quoi lui servirait sa compétitivité supérieure ses clients ayant fait  faillite ?

La solidarité, c'est beau. En l'occurrence cependant, il s'agissait de remédier à des maux dont l'Europe et l'Euro sont eux-mêmes la cause.          

07/04/2010

La fin de l'euro?

Les énormes déficits budgétaires de la Grèce, certes, mais aussi de l’Espagne, du Portugal, de l'Irlande, de l'Italie et de l'Espagne (bref les PIGS comme disent délicatement les anglosaxons), sont la conséquence du passage à l’euro et de la protection temporaire qu’il assure. S’y ajoute la politique monétaire accommodante de la B. C. E. destinée à compenser la faible croissance de la demande en Allemagne. Les excédents de la puissance européenne centrale  ont ainsi été absorbés par la périphérie de l’Union jusqu’au moment où ces pays, la Grèce en premier, ont vu leur solvabilité mise en doute. Les Allemands sont très contents que les autres s’endettent pour acheter leurs marchandises mais ils refusent le petit geste qui aurait permis à la Grèce d’obtenir des crédits à 1,5 %, comme ceux que pourrait lui offrir le F.M.I., au lieu des 7,5 % usuraires qu’elle est obligée d’acquitter maintenant. Or ce dernier taux est intenable à la longue et conduira la Grèce à la banqueroute. Il reflète le manque de confiance des marchés, lui-même entretenu par l’intransigeance de Berlin qui aide les spéculateurs à réaliser de juteux profits sur le dos des Grecs au risque de mettre à bas le système financier européen par un effet de dominos. Cet esprit du « chacun pour soi » tout à fait contraire à ce que nous promettaient les thuriféraires de l’Union Européenne pourrait bien conduire à la désunion en commençant par le retour aux monnaies nationales.

Ces chamailleries sur des questions de monnaie, de déficits, de balances de paiements sont d’autant plus regrettables qu’elles détournent notre attention des problèmes urgentissimes que posent le réchauffement climatique et l’épuisement irréversible des ressources non renouvelables de notre terre. J’y consacrerai mes prochaines notes en heurtant quelques tabous .         

14/02/2010

Un peu de prospective

La « mondialisation » a commencé avec les « grandes découvertes » de la fin du quinzième et du début du seizième siècle. L’apparition de ce mot est cependant postérieure à la chute des régimes « socialistes » en Europe de l’est et à l’introduction du marché capitaliste en Chine. Elle correspond à une réalité nouvelle, effet de la généralisation et de l’intensification des flux de marchandises, d’hommes, de capitaux, d’information. « Généralisation » signifie que ces flux affectent à un degré ou un autre toutes les régions du globe ce qui n’était pas le cas auparavant. Les uns sont peu coûteux en énergie et instantanés mais pas les autres. Cette distinction est moins importante qu'on pourrait le croire pour ce qui concerne les tendances qui vont façonner notre avenir. On pourrait être tenté de penser que la circulation des capitaux et des informations ne sera pas ralentie à l’ère de l’énergie chère dans laquelle nous sommes entrés. Il n’en est rien car les quatre types de flux sont interdépendants et ils instaurent une interdépendance des différentes parties du monde qui les détermine à leur tour. Cette interdépendance est destinée à s'affaiblir. A l’avenir certaines marchandises ne seront plus transportées d’un bout de la planète à l’autre et les besoins (si tant est qu’il s’agisse de besoins), seront satisfaits par une production locale. Les retraités n’iront plus chercher en plein hiver le soleil ou un exotisme de pacotille à Phuket ou à St Domingue. Les délocalisations seront moins avantageuses et la concurrence de la Chine et de l’Inde plus supportable. Notre rapport au temps va changer et nous vivrons sur un globe plus chaud quant au climat mais plus tiède socialement et métaphoriquement parlant.

Il y aurait encore beaucoup de choses à dire sur les changements qui se profilent à l’horizon mais une chose est certaine : changements il y aura. La plus grande erreur que nous puissions commettre est d’extrapoler à partir d la réalité actuelle et d’imaginer que celle-ci va continuer sur son erre.  

07/02/2010

Badiou face à la fin commune du marxisme et du capitalisme

Marx croyait connaître le sens de l'histoire mais celle-ci lui a joué un mauvais tour en s'engageant dans des voies qu'il n'avait pas prévues. Il affirmait que "l'émancipation des travailleurs sera l'oeuvre des travailleurs eux-mêmes". En fait cette classe ne posède pas la capacité politique que lui attribuait Marx. C'est pourquoi les dirigeants des partis ouvriers ne se recruteront pas dans la catégorie sociale qu'ils étaient censés représenter et quand d'anciens ouvriers seront élus députés ils s'embourgeoiseront idéologiquement. Après la conquête du pouvoir par ces partis leur encadrement se transformera en une nouvelle bourgeoisie. Les moyens de production nationalisés n'appartenaient pas aux travailleurs mais à l'Etat et celui-ci appartenait à la bureaucratie, aux apparatchiks, à la nomenklatura.

A la veille d'Octobre, Lénine annonçait le dépérissement de l'Etat si bien que ce qui en resterait pourrait être dirigé par une cuisinière. Cet appareil se renforça au contraire et absorba pratiquement toute l'économie. Il devint alors évident que sa planification était moins efficace que l'anarchie du marché. En l'absence de concurrence, la bureaucratie n'avait pas le dynamisme des capitalistes. Ne pouvant tenir le rythme dans la course à l'innovation qui l'opposait à ses rivaux de l'ouest, sa faillite était inévitable. Ainsi l'échec des porteurs de l'idée communiste fut double. Ils trahirent leur idéal en échange du pouvoir, faisant au passage des victimes par dizaines de millions, et subirent à la fin une déconfiture ignominieuse et une damnatio memoriae.

Vers 1980, il devint évident pour la plupart des militants que le marxisme était mort et avec lui l'idée d'une politique autre que la gestion des contraintes. Alain Badiou, dont j'étais à l'époque très proche, disait que s'était avéré caduc ce qui avait « certifié le marxisme comme pensée de l'activité révolutionnaire » lui donnant « le droit de tirer des traites sur l'Histoire ». Ce crédit était noué à trois référents : - des Etats où la révolution avait eu lieu ce qui garantissait la possibilité de la victoire ; - des guerres de libération nationale dirigée par les communistes (Chine, Vietnam etc.) ; - le mouvement ouvrier dans les métropoles de l'Ouest.

Or dans les pays du « socialisme réellement existant », pas le moindre pas n'avait été franchi en direction d'un dépérissement de l'Etat et d'une transition vers des rapports sociaux égalitaires caractéristiques du communisme. C'était des dictatures mais sur le prolétariat. L'Archipel du Goulag avait révélé à un vaste public les horreurs du régime stalinien. Le matérialisme historique en tant que tel n'était certes pas  responsable des crimes commis en son nom. Dans la période 1918-1922, Karl Kautsky, surnommé « le pape du marxisme », avait prévu avec une précision les conséquences économiques, sociales, politiques du pouvoir léniniste, hérétique à ses yeux. Mais cette lucidité avait pour rançon l'abstention de toute activité révolutionnaire.

Au Vietnam, les communistes avaient à peine remporté la victoire qu'ils envahissaient le Cambodge et faisaient la guerre à la Chine. Celle-ci engagera aussi ses troupes contre l'URSS comme elle l'avait fait contre l'Inde ; pour d'excellentes raisons sans doute mais quand même !

  Dans les pays industrialisés enfin la classe ouvrière et les partis qui étaient censés la représenter avaient depuis longtemps cessé d'être révolutionnaires ne serait-ce qu'en apparence. Ils n'avaient plus ni couteau ni dents. En Pologne on devait bientôt assister à des luttes ouvrières dirigées par des catholiques contre les communistes.

L'effondrement du marxisme sonna le glas de nos illusions, ce qui est une bonne chose. Mais il représenta aussi un défi pour notre pensée. La politique révolutionnaire se voulait, comme disait Althusser, de l'histoire expérimentale qui promettait sur son objet une maîtrise égale à celle que nous devons aux sciences expérimentales proprement dites. En ce temps, nous nous considérions comme les acteurs d'un processus ayant du sens et non comme les jouets de forces chaotiques et aveugles d'un monde voué au hasard. En ce qui me concerne, il me fallut du temps pour chercher la lumière là où elle est. Je finis par comprendre cette pensée de Bossuet : « Regardez les choses humaines dans leur propre suite, tout y est confus et mêlé ; mais regardez-les par rapport au jugement dernier et universel, vous y voyez reluire un ordre admirable. » « Die Weltgeschichte ist das Weltgericht » dira plus tard Hegel. C'est par rapport au double sens du mot Weltgericht que se situe sur ce point mon opposition à Badiou car lui croit au « tribunal de l'Histoire », moi au tribunal de Dieu. Qui décidera lequel de nous deux est le plus superstitieux ? Il faut militer en pariant et en espérant que cette action entre de quelque façon dans les plans mystérieux de la Providence.

Le marxisme contient des thèses assez solides pour le munir d'une capacité d'auto-rectification grâce à laquelle il peut se débarrasser de beaucoup de scories tout en s'enrichissant de développements féconds. C'est pourquoi aussi longtemps que le capitalisme subsistera, les idées marxistes conserveront une certaine pertinence. Le regain de popularité qu'elles connaissent dans le sillage de la crise, autour en particulier d'Alain Badiou, en est un indice. Mais justement le capitalisme dont la tendance est l'illimitation touche à sa fin parce qu'il rencontre ses limites, celles de la terre. La mondialisation sur laquelle mise l'internationalisme prolétarien d'Alain Badiou présuppose l'énergie bon marché qui appartient d'ores et déjà au passé, non pas tellement que le pétrole s'épuise mais parce qu'il sera de plus en plus cher. Le capitalisme comptait sur des ressources gratuites et libres d'accès. Il lui faudra désormais tenter de survivre au régime de la rareté. On manquera de place pour les déchets, de terres arables pour se nourrir, d'eau pour les irriguer, de sources d'énergie fossile, de métaux, etc. Le refus de la finance mondialisée, avec les Etats-Unis et la Chine comme fer de lance, d'accepter des mesures destinées à sauver la biosphère rendra ces mesures encore plus draconiennes quand nous serons pris à la gorge. Or la reproduction élargie est la loi du capitalisme alors que la décroissance est la condition de notre survie. La chute de ce système contre lequel les armes de la critique marxiste s'étaient avérées impuissantes, un maître plus impérieux, je veux dire les contraintes environnementales, nous forcera de l'imposer.


[1] Cf. Alain Badiou L'hypothèse communiste p 18

16:14 Publié dans Société | Lien permanent | Commentaires (0)