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06/10/2010

Aillagon le Capo màfia du "complot de l'art"[1]

En exposant dans les appartements royaux et la galerie des glaces les sieurs Koons, Veilhan et Murakami, Jean-Jacques Aillagon a poussé jusqu’au zénith la cote de ces prétendu artistes  collectionnés par son  patron et ami, le milliardaire François Pinault. Ce parvenu s’est constitué une immense fortune grâce uniquement à des coups spéculatifs. En tant que méga-collectionneur d’art contemporain, il se considère comme membre d’une élite d’initiés. La réalité correspond bien peu à cette image flatteuse. Né dans une famille aisée, le jeune Pinault quitta l’école à 16 ans sans le moindre diplôme. Il est d’une ignorance crasse en histoire de l’art. Cela explique beaucoup de choses. Aillagon, conseiller culturel du groupe Artémis dont la maison mère est la Financière Pinault,  fut directeur du Palazzo Grassi à Venise, également propriété de Pinault. Le directeur actuel de ce Palazzo est Martin Béthenod ex-chef de cabinet d’Aillagon quand celui-ci était directeur du Centre Pompidou, puis délégué aux arts plastiques du ministère de la culture et commissaire de la FIAC. Ce n’est là qu’un tout petit échantillon de la république des copains et des coquins dans laquelle nous vivons. Aillagon et Béthenod sont des salariés de Pinault : comment peut-on supposer que leurs décisions en matière d’art contemporain ne sont pas influencées par les intérêts de leur employeur ?

Interpellé sur la faveur dont bénéficia Pinault de par la présence de ses poulains entre les cimaises royales, Aillagon fit l’idiot et posa la question rhétorique : «Faudrait-il ne plus organiser d’expositions pour ne plus valoriser aucun artiste et aucune œuvre ? Non évidemment !... ». Il n'est pourtant pas sans savoir que la République a construit à grands frais de nombreux lieux dédiés aux artistes  contemporains tels que le Centre Pompidou, le palais de Tokyo, etc. ?  Personne n’aurait protesté si on y avait montré des objets fabriqués par les manufactures de Koons et de Murakami. C’est précisément parce que la valeur artistique de ces choses est nulle qu’elles ont besoin d’un coup de pub offert sur un plateau par Aillagon. Inde ira. Pourquoi faut-il que l’art de toujours soit vampirisé par le non-art d’aujourd’hui ?

Pour le dire en termes doux MM. Aillagon et tutti quanti pratiquent un fâcheux mélange des genres entre leurs responsabilités à la tête d’une institution publique comme le château de Versailles et le service d’intérêts financiers. Ils se permettent de petits arrangements à la frontière de l’intérêt général  qu’ils se doivent de servir et des intérêts privés de spéculateurs en art contemporain dont ils sont les obligés. Que cela ne tombe pas sous le coup de la loi française, moins précise que celle des pays anglo-saxons sur la définition pénale du conflit d’intérêts, ne les empêche pas de frôler, du moins moralement, la forfaiture et la prévarication.

Marc Fumaroli a exposé le problème très clairement. « La clef du malaise actuel, c’est le conflit d’intérêts voilé qui affaiblit, voire efface la distinction classique entre Etat et marché, entre politique et affaires, entre service public et intérêts privés, entre serviteurs de l’Etat et collaborateurs de gens d’affaires »[2].

  



[1] « Le complot de l’art » est le titre d’un texte célèbre de Jean Baudrillard sur le prétendu « art contemporain ».

[2] Cf. Le Monde du 2 octobre 2010

03/10/2010

Marc Jimenez au secours de Murakami

Il y a quelque temps, le soudain franc-parler des journaux au sujet de Versailles, pollué, une fois de plus, par la faute d'Aillagon, m’avait plongé dans un abîme de perplexité et je m’étais perdu en conjectures. Or le bruit médiatique se prolongeant, le mystère s’épaissit. Durant soixante ans, les médias ont accordé un soutien de plus en plus exclusif au non-art y compris à son invasion du Louvre, du musée Rodin, du musée Bourdelle, etc. Qu’est-ce qui les amène à parler maintenant de ses « impasses » ? Voila que Le Monde publie deux pages consacrées au débat sous le titre, « Murakami à Versailles : audace ou sacrilège ? » J’ai envie de dire à ces messieurs : de grâce, calmez-vous. Il n’y a ni audace ni sacrilège. On peut être attaché au patrimoine sans le sacraliser. Quant à l’audace, laissez-nous rire. Depuis un siècle, le prétendu art contemporain a épuisé toutes ses marges en termes de transgression, de provocation et de choc. En quoi consisterait l’audace du clown Japonais quand il s’installe après Koons dans les mêmes lieux avec le même genre de vulgarité kitsch ?

Cependant, même si pour le moment je n’ai pas de réponse aux questions que je me pose, je ne vais pas bouder mon plaisir. C’en est un de lire la mise à nu du non-art par Marc Fumaroli et Jean Clair, mais c’est un vrai délice de savourer les apologies des avant-gardistes attardés, voire moisis, qui traînent encore alors que depuis 1975 se réclamer de l’avant-garde est complètement passé de mode. Je pense surtout à Marc Jimenez, disciple d’Adorno en voie de fossilisation. Admirez la pertinence de ses arguments et comment il soulève une pierre pour se la laisser retomber sur les pieds. Il commence son article dans Le Monde du 2 octobre en semblant croire que le débat porte sur le beau et le laid. Versailles serait-il trop beau ou trop laid pour accueillir Kaïkaï et Kiki ? Eclairons sa lanterne. Ce qu’on appelle « art contemporain » est généralement conceptuel et relève donc du non-art. En tant que tel, il n’est justiciable d’aucun jugement esthétique ni positif ni négatif (lire sur ce point ma note du 23 septembre). D’ailleurs il faut être relativiste pour considérer comme indécidable la question du beau et du laid. C'est ce que fait Jimenez et cela le  condamne logiquement au silence en matière d’art[1]. Murakami et Koons ne sont pas des anartistes. Certains trouvent jolis les produits de leurs fabriques. Je ne les contredirai pas. Il se trouve qu’il en faut infiniment plus pour procurer une émotion esthétique et que ces objets seraient plus à leur place à Disneyland. Jimenez défend mollement Murakami mais trouve que « l’éphémère sacrilège versaillais ne porte guère à conséquence ». Il prouve ainsi qu’il n’a rien compris au problème. C’est le phénomène global dont cette exposition est un élément qui tire à conséquence, à savoir la substitution du non-art et des jouets jolis mais insignifiants à la peinture et à la sculpture héritières de notre grande tradition européenne.

Or Jimenez ne s’oppose pas au non-art, qui interdit l’art en occupant sa place. La preuve en est qu’il justifie les colonnes de Buren. Il est vrai que son argument est étrange et ressemble au pavé de l’ours. Ces trognons rayés ne seraient pas pires que les bagnoles qui souillaient autrefois le même espace. Paralysé de la jugeote, l’idée ne lui traverse pas l’esprit que les voitures auraient pu être interdites.

Jimenez dénonce « les poncifs parfois franchement réactionnaires » de ceux qui ont critiqué l’exposition de Murakami. Ils s’en prendraient à lui parce qu’il est étranger. Leurs motifs seraient la « xénophobie et le racisme », à quoi s’ajouterait une bonne dose « de crispation puritaine ». Toujours très intelligent, il ne se rend pas compte que la reductio ad hitlerum est une ficelle complètement usée. On éprouve une certaine gêne à lui signaler que les poncifs progressistes et le politiquement correct ne valent pas mieux que les poncifs réactionnaires. Les uns et les autres sont condamnables en tant que poncifs. Il ferait mieux de ne pas s’ériger en gardien des valeurs progressistes. Elles ne sont pas plus indiscutables que les valeurs esthétiques.  

P. S. Dans ma prochaine note j'expliquerai en quel sens Aillagon pourrait être accusé (en tout cas moralement) de prise illégale d'intérêt et de prévarication.

(à suivre)



[1] On trouvera la démonstration de ce point dans le chapitre XII de mon livre Pour l’Art. Eclipse et renouveau intitulé « Les conditions de possibilité de tout discours sur l’art ».

27/09/2010

Houellebecq et l'art

 Dans ma note : « Le mystère Murakami » publiée le 16 septembre, je m’interrogeais sur le soudain esprit critique dont faisaient preuve les journalistes vis-à-vis de cet anartiste japonais invité à squatter les appartements royaux de Versailles. Faute d’une meilleure explication, je supposais que le dernier livre de Houellebecq avait contribué à délier les langues. Me suis-je aventuré trop loin en attribuant à ce romancier à succès un point de vue lucide sur le non-art ? Ai-je confondu chez lui goût de la provocation et courage ? Avec un tel farceur, la prudence s’impose car il s’arrange pour qu’on ne soit jamais sûr du sens des propos ou des pensées qu’il prête à ses personnages.

Prenons le principal d’entre eux : Jed Martin, individu très ordinaire et néanmoins tout à fait singulier comme l’indique la combinaison du patronyme français le plus fréquent avec un prénom parmi les plus rares. Est-il un grand artiste ? La description de certaines de ses œuvres peut le laisser croire mais rien n’interdit non plus de penser qu’il a profité de circonstances particulières. Le hasard aurait pu tout aussi bien favoriser n’importe qui d’autre. Son galeriste s’exclame par exemple : « on en est à un point de toute façon où le succès en termes de marché [il veut dire en termes financiers] justifie et valide n’importe quoi » (p 208). Une chose est sûre : Jed Martin n’est pas très exigeant en matière de beauté. Houellebecq le laisse entendre dans le passage suivant : « Ces forteresses quadrangulaires construites dans le milieu des années 1970 en opposition absolue avec l’ensemble du paysage esthétique parisien, étaient ce que Jed préférait à Paris, de très loin, sur le plan architectural » (pp 16-17). Quand on confronte les chefs-d’œuvre dont la capitale regorge à la médiocrité des boites à chaussures qui plaisent à Jed, on peut s’interroger sur l’authenticité de sa vocation artistique. Houellebecq ne partage pas le goût de son héros, c’est pourquoi il souligne la disparate entre les cages à lapin et les immeubles haussmanniens typiques de Paris. Il oppose à ce choix celui du père de l’artiste qui dit : «Le Corbusier nous paraissait un esprit totalitaire et brutal, animé d’un goût intense pour la laideur » (p 220). Et encore : « Le Corbusier qui bâtissait inlassablement des espaces concentrationnaires, divisés en cellules identiques tout juste bonnes pour une prison modèle » (p 223).

Le fait que Jed Martin soit un peintre strictement figuratif, malgré l’incompréhension que ce choix suscite dans le milieu de l’art contemporain, devrait le recommander à nos yeux. Malheureusement, il ne comprend rien à la peinture, pas plus que Houellebecq qui admet lui-même une « évidente absence de culture picturale » (p 196-7). Le choix de la figuration que fait Jed, ne l’empêche pas de sortir une platitude comme celle-ci : « je ne parviens plus du tout à trouver d’intérêt aux natures mortes ; depuis l’invention de la photographie, je trouve que ça n’a plus aucun sens ». Parlant du portrait de Michel Houellebecq, l’auteur (qui s'est mis en scène dans son récit) loue p 185 « l’incroyable expressivité du personnage principal » (sic : y en a-t-il un autre ?). J'y vois une certaine contradiction avec ce qui est dit p 51 où il est précisé au sujet de l’artiste qu’«à Rembrandt et Velasquez il préférait largement, dès cette époque Mondrian et Klee ». Cependant, vers la fin du roman, il semble changer d’avis : « La modernité était peut-être une erreur, se dit Jed pour la première fois de sa vie. Question purement théorique d’ailleurs : la modernité était terminée en Europe occidentale depuis pas mal de temps déjà » (p 348). 

Cette posture antimoderniste est confirmée par le passage suivant où c'est Houellebecq (le personnage du roman) qui parle : "Picasso c'est laid, il peint un monde hideusement déformé parce que son âme est hideuse, et c'est tout ce qu'on peut trouver à dire de Picasso, [...] il n'y a chez lui aucune lumière, aucune innovation dans l'organisation des couleurs ou des formes, enfin [...] absolument rien qui mérite d'être signalé, juste une stupidité extrême et un barbouillage priapique ..." (p 176). Un auteur dont le jugement sur le phare de la modernité picturale est aussi sévère ne peut être entièrement mauvais.       

Pour une critique littéraire de cette oeuvre d’Houellebecq cliquer sur le lien d’Annie Mavrakis.

 

Deux informations pourraient intéresser les visiteurs de ce blog : 

Kostas et Annie Mavrakis signeront leurs ouvrages au Salon international du livre et des arts de L'Hay-les-Roses le Vendredi 1er Octobre de 14h à 19h. La manifestation se tient au Moulin de la Bièvre 73, avenue Larroumès. Station Bourg-la-Reine du RER B.

Boris Lejeune expose des peintures et des sculptures à la galerie RUSSKYI MIR du 30 septembre au 30 octobre. Vernissage le 30 sept. à 18h. 7, rue de Miromesnil 75008 Paris. Que des artistes comme Boris Lejeune existent permet de ne pas désespérer de notre époque. Avec lui on est à des années lumière des Murakami, Hirst et autres Koons! 

23/09/2010

Pour éclaircir ma démarche

                Les idées que je défends dans ce blog, en réagissant le plus souvent à des faits d’actualité, suscitent parfois perplexité voire indignation même chez des lecteurs bien disposés a priori. Je porterais des jugements de valeur subjectifs, je prônerais le retour à un  académisme faisandé, on reconnaîtrait dans ma philosophie les stigmates de la réaction.

                Examinons le premier point. Il n’est pas interdit au critique d’exprimer les sentiments qu’éveille en lui une œuvre d’art. Si néanmoins il se veut théoricien et pas seulement poète, il doit expliciter ses critères et ses présupposés. Je l’ai fait dans mon livre Pour l’Art et dans de nombreux articles. J’admets, certes, que leur lecture n’est pas toujours facile, mais ceux qui fréquentent mon blog devraient au moins prendre garde au fait que je ne formule jamais de condamnation esthétique sur le prétendu « art contemporain ». La raison en est simple : il n’est pas de l’art au sens habituel du mot, celui qui s’applique à des productions remontant à des temps immémoriaux à savoir une activité créatrice de formes signifiantes et prégnantes, source d’émotion esthétique. Prenant délibérément le contrepied, point par point, de l’art tel que je viens de le définir, le non-art contemporain doit être ainsi désigné. Du coup il ne relève pas d’un jugement esthétique ni positif (évidemment) ni non plus négatif. .

                Ceux que cet argument n’a pas convaincus prétendent qu’en excluant l’art contemporain de l’art je porterais quand même un jugement de valeur, inadmissible à une époque relativiste comme la nôtre. Cette objection tient son apparence de validité de certains usages du mot « art » dans le langage courant qui le connotent positivement. Dire d’un objet qu’il est une œuvre d’art sous-entend qu’il est beau. C’est d’un « salut l’artiste » que je reconnaîtrai l’habileté sophistique de mes contradicteurs. Ils devraient pourtant savoir que tout ce qui appartient à l’art n’est pas réussi et, parmi les œuvres  à qui on reconnaît cette qualité, rares sont celles qui la possèdent au plus haut degré. Aucun discours critique ne serait possible sans de telles distinctions. C’est pourquoi j’entends ce mot art en un sens ontologique et axiologiquement neutre. Si l’on tient cette précision présente à l’esprit, on conviendra que mes propos sur le non art sont Wertfrei, dépourvus de jugements de valeur. Non que je considère ces derniers comme illégitimes (à l’instar de Max Weber),  mais parce que je n’en ai pas besoin pour clarifier ce problème.       

                On me rétorquera enfin que ma définition n’est après tout que la mienne. Il n’en est rien car je maintiens que formulée sans doute par moi elle n’en est pas moins la seule possible. Essayez donc de la réfuter. Vous n’arriverez pas à montrer qu’elle ne  couvre pas tout le défini et rien que le défini.

                Les tenants de « l’art contemporain » sont très attachés à cette désignation antiphrastique. Elle leur permet d’occuper la place de l’art et donc de le vampiriser. Rien d’étonnant à ce qu’ils tiennent une définition de l’art pour impossible. Ils en ont peur et la fuient comme les ténèbres fuient la lumière. Sans avoir lu Spinoza, ils savent instinctivement qu’omnis definitio est negatio. La définition de l’art nie l’art contemporain comme art et en délivre le concept : non-art.

                Aude de Kerros et Christine Sourgins ont pris l’habitude de se référer à ce qu’elles considèrent elles-mêmes comme non-art en écrivant et en prononçant AC. Je ne suis pas d’accord avec cet usage. Les sigles ont la même signification que les mots complets dont ils tiennent lieu. C’est pourquoi les professionnels du prétendu art contemporain se plaisent à user pour le désigner de la même abréviation en AC comme nous l’apprennent Danièle Granet et Catherine Lamour dans leur livre Grands et petits secret du monde de l’art (p 28). Or, accepter de parler d’art contemporain, c'est d’avance tout accorder aux adversaires de l’art authentique. En revanche, le terme « non-art » permet de tracer une nette ligne de démarcation tout en étant rigoureusement exact. 

(A suivre)