Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

09/04/2010

Pourquoi si dur ...?

 Ayant longtemps été moi-même une groupie d’Alain Badiou, je considère avec empathie les réactions indignées que suscitent mes articles et chroniques peu amènes sur cette idole d’un extrémisme  de parade. Comment puis-je me montrer aussi dur, aussi méchant ? Telle est en bref la teneur de nombreux messages que je reçois. J’y répondrai en trois points.

1° Il faut appeler un chat un chat et un imposteur un imposteur. Or les milieux qui soutiennent Badiou appartiennent bel et bien à la gauche caviar la plus conservatrice. Il est intouchable dans Le Monde et c’est avec un collaborateur de ce journal qu’il a écrit son dernier livre. Il est encore plus intouchable dans Le Nouvel Observateur (proche du Monde) et dans Libération, la feuille de chou de Rothschild. La principale raison de la faveur dont il jouit auprès d’une partie des médias est son militantisme sentimental pour les immigrés clandestins, c’est-à-dire pour le  trafic d’êtres humains dont certaines entreprises tirent grand avantage.

 Badiou ne se sent pas concerné par l'avenir de notre planète, à l'unisson avec la plupart des capitalistes (d'où le fiasco de Copenhague). Il considère les mobilisations sur ce problème comme une "diversion millénariste". 

En matière d’art, il défend les intérêts des magnats de la finance mondialisée parmi lesquels se recrutent les méga-collectionneurs qui ont imposé le non-art à l’échelle du globe. Saviez-vous que les sommes investies dans leurs jeux spéculatifs viennent juste après celles engagées dans le trafic des armes et dans celui de la drogue au palmarès des échanges internationaux?

2° Pour ces trois raisons déjà, Badiou n’est pas celui qu’il prétend être. Mais il y en a encore une quatrième : il se targue d’un savoir qu’il ne possède pas ce qui entache gravement son autorité intellectuelle. N’a-t-il pas annoncé une nouvelle traduction de la République de Platon (sans doute meilleure) alors qu’il ne sait pas le grec comme je le démontre dans l’« Annexe I » de mon livre ? Ceci est difficile à contester. Puisque lui-même ne daigne, je mets au défi de le faire la foule de disciples et clients qui le suit (turba sua diraient les Romains) et se sent obligée de me contredire.

3° J’aime l’art. Or Le Siècle de Badiou est une attaque frontale contre ce qui est sacré à mes yeux. Je me conforme à l’éthique de mon ex-ami philosophe en étant fidèle à cette Idée que je me dois de défendre sans ménager aucune susceptibilité. C’est pourquoi je conclurai avec une citation de Nietzsche (suivie de ma traduction) qui exprime bien la nécessité d’être spirituellement inflexible :

"Warum so hart!" - sprach zum Diamanten einst die Küchenkohle; "sind wir denn nicht Nah-Verwandete?" - Warum so weich? O meine Brüder, also frage ich euch : seid ihr denn nicht - meine Brüder?

"Pourquoi si dur!" - dit au diamant un jour le charbon de cuisine; "ne sommes-nous pas de proches parents ?" - Pourquoi si mous? O mes frères, je vous le demande à mon tour : n'êtes-vous pas mes frères?

07/04/2010

La fin de l'euro?

Les énormes déficits budgétaires de la Grèce, certes, mais aussi de l’Espagne, du Portugal, de l'Irlande, de l'Italie et de l'Espagne (bref les PIGS comme disent délicatement les anglosaxons), sont la conséquence du passage à l’euro et de la protection temporaire qu’il assure. S’y ajoute la politique monétaire accommodante de la B. C. E. destinée à compenser la faible croissance de la demande en Allemagne. Les excédents de la puissance européenne centrale  ont ainsi été absorbés par la périphérie de l’Union jusqu’au moment où ces pays, la Grèce en premier, ont vu leur solvabilité mise en doute. Les Allemands sont très contents que les autres s’endettent pour acheter leurs marchandises mais ils refusent le petit geste qui aurait permis à la Grèce d’obtenir des crédits à 1,5 %, comme ceux que pourrait lui offrir le F.M.I., au lieu des 7,5 % usuraires qu’elle est obligée d’acquitter maintenant. Or ce dernier taux est intenable à la longue et conduira la Grèce à la banqueroute. Il reflète le manque de confiance des marchés, lui-même entretenu par l’intransigeance de Berlin qui aide les spéculateurs à réaliser de juteux profits sur le dos des Grecs au risque de mettre à bas le système financier européen par un effet de dominos. Cet esprit du « chacun pour soi » tout à fait contraire à ce que nous promettaient les thuriféraires de l’Union Européenne pourrait bien conduire à la désunion en commençant par le retour aux monnaies nationales.

Ces chamailleries sur des questions de monnaie, de déficits, de balances de paiements sont d’autant plus regrettables qu’elles détournent notre attention des problèmes urgentissimes que posent le réchauffement climatique et l’épuisement irréversible des ressources non renouvelables de notre terre. J’y consacrerai mes prochaines notes en heurtant quelques tabous .         

26/03/2010

Galerie en ligne

27 nouvelles reproductions de tableaux et de dessins ont été ajoutés à l'Album.

25/03/2010

Ecologie et philosophie politique

La philosophie politique classique suppose que la raison puisse, par elle-même, déterminer ce qu'est la justice et, plus généralement, les fins ultimes de l'homme et de la cité. Héritier des classiques, Léo Strauss le pense aussi. En revanche, pour les modernes depuis Max Weber (et déjà depuis Kant), les jugements de valeurs ne peuvent s'appuyer sur la raison et celle-ci est inapte à trancher les conflits qui les opposent. Or pour autant que l'homme d'Etat admette le principe selon lequel sa fin est le bien commun, il est obligé de prononcer des jugements de valeur et de fonder sur eux ses choix et décisions. Il en va de même pour ses adversaires quand ils le critiquent. L'argumentation de Léo Strauss montre qu'il ne peut y avoir de science dont la rigueur s'établirait sur l'élimination des jugements de valeur, une science wertfrei, comme le voulait Max Weber. Mais de ce que les jugements de valeur sont nécessaires, il ne s'en suit pas que la philosophie politique soit en mesure de les fonder et donc de se fonder elle-même. Elle ne peut même pas en parler sans recourir à un métalangage[1]. C'est sans doute pour cette raison qu'Alvin Johnson a émis la thèse que cite en l'approuvant Eric Voegelin selon laquelle « ce n'est qu'à travers la religion qu'un ordre social est possible »[2]. Dieu nous offre par la révélation le métalangage nécessaire à la cohérence de tout discours. Comme dit Jean-Claude Milner : « A supposer qu'on ne croie pas au métalangage [ultime], qu'on ne construise donc pas l'énoncé suprême d'un Dieu ou d'une harmonie, rien n'assure personne que le Chaos n'existe pas, sinon que nul ne puisse le penser »[3].

Quand le même Voegelin met sa foi entre parenthèses, il lui faut chercher un autre fondement à la philosophie politique et il la fait « reposer sur une théorie de la nature humaine »[4]. En lui-même, ce fondement est faible mais il cesse de l'être si l'on admet que la nature humaine renvoie à la nature du Tout. On serait alors sur le terrain non de je ne sais quelle cosmologie mais d'une métaphysique théologique car la nature du Tout est sous-tendue par la Raison immanente à la création, autre nom du Logos. Il est pourtant impossible de construire une philosophie politique sur la Bible car il n'existe pas de mot biblique équivalent à « régime » ou politeia. Cela explique sans doute le rejet par le talmudiste Benny Lévy de ce qu'il appelait le « tout politique » caractéristique d'un certain marxisme soixante-huitard dont Jean-Claude Milner a aussi fait la critique mais d'un point de vue lacanien dans Les noms indistincts. Si l'on rejette ce point de vue extrémiste comme tous les points de vue unilatéraux et qu'on accorde à la politique sa juste place, la philosophie politique apparaîtra comme illustrant la nécessaire fusion et la dépendance réciproque de la raison naturelle et de la révélation, d'Athènes et de Jérusalem.

Les prétendues Lumières marquent l'échec de la philosophie dans sa vocation à penser et intégrer la religion. A la place de la théologie philosophique (d'un Saint Thomas d'Aquin par exemple) nous avons dû nous contenter de son substitut : la théologie athée de l'Histoire. La grandeur de l'homme consistant à être un animal qui a besoin de sens, il nous fallait un monde intelligible et l'esprit prométhéen de la modernité voulait que ce monde fût maîtrisable par la science et la technique au niveau physique et par l'action politique sur le plan de l'Histoire. Le marxisme nous offrait à cet égard une double garantie : une vision eschatologique concevant le mouvement objectif de l'Histoire comme orienté vers une fin (terme et but) et une science des lois de l'Histoire permettant de guider l'action politique volontaire. Cette dernière ne pouvait pas faire que le processus de gestation de l'Histoire eût un autre aboutissement mais seulement l'abréger et soulager les douleurs de l'enfantement. Bref l'homme qui s'était fait lui-même par le travail (Engels) continuait à être maître de son destin et, à condition de bien se prosterner devant les nouvelles idoles de l'Histoire, de la Modernité et du Progrès, recevait une promesse de salut éternel : le paradis communiste.

En face, le libéralisme avait en commun avec le marxisme l'économisme productiviste (l'idéologie du développement), la croyance au progrès et l'exaltation de la modernité. Ce sont les trois piliers du discours apologétique de l'ordre établi. La seule différence portait sur le changement social. Les capitalistes n'en veulent pas (on les comprend). En parlant de « la fin de l'histoire », Francis Fukuyama s'est exprimé en fidèle porte-parole de la classe dominante qui bouleverse constamment les rapports sociaux à l'exception de ceux sur lesquels ses privilèges sont assis. Son conservatisme obtus est néanmoins voué à l'échec. Les illusions sur les bienfaits du productivisme se dissipent malgré tous les efforts pour les perpétuer. En Angleterre une commission gouvernementale a mis au point des plans pour une "économie à niveau constant (steady state) prévoyant d'interdire la publicité à la télévision pour réduire le consumérisme. En Allemagne un best seller propose la "prospérité sans croissance".   Sur l'objectif de sauver la planète il semblerait que tous les peuples du monde aient un intérêt commun. Mais dès qu'il s'agit de partager le fardeau, il n'en va plus de même. Le salut de l'humanité exige que nous payions un prix dans l'immédiat en vue d'un bénéfice à moyen ou long terme. Par leur égoïsme, les dirigeants de  certains pays à savoir la Chine, les Etats-Unis et les pays émergents se rendent coupables d'un crime contre l'humanité en comparaison duquel les crimes commis au siècle précédent font figure de vétilles. En conséquence de quoi, les guerres écologiques ne sont pas loin. On se battra pour les terres et les mers, pour le ciel et les forêts, pour l'eau douce et l'atmosphère, pour sauver les abeilles, les lémuriens, les poissons et finalement tout simplement les hommes. Ne fuyons pas notre devoir. J'ai la faiblesse de croire en des valeurs, telles que la création dont nous avons la garde, supérieures aux valeurs en bourse et même à la vie d'individus éphémères.

L'égalitarisme dont l'emprise idéologique est très forte pourrait aggraver la dégradation écologique de la planète. Dès 2005, les émissions de CO2 des pays en voie de développement (excusez l'euphémisme) ont dépassé celles des pays développés et l'écart augmente rapidement parce que les pays riches font de gros sacrifices pour ne pas augmenter leurs émissions et y sont parvenus depuis plus de vingt ans alors que les émissions des autres montent selon une pente  abrupte. Or ces pays sont également responsables de l'explosion démographique. D'ores et déjà pour assurer à l'humanité son mode de vie actuel il faudrait près d'une planète et demie. Or l'empreinte écologique par habitant (la superficie nécessaire à ses besoins) augmente de presque un quart tous les dix ans. En même temps, selon Nicholas Stern, le changement climatique pourrait coûter jusqu'à 20% de la richesse mondiale. Pour éviter la catastrophe il faut regarder en face ces antagonismes au lieu de permettre au « politiquement correct » d'imposer ses tabous et interdits. Le secrétaire général de l'ONU n'exagérait nullement lorsqu'il s'est écrié « notre pied est bloqué sur l'accélérateur et nous nous dirigeons tout droit vers l'abîme ».


[1] Métalangage : Langage formalisé qui décide de la vérité des propositions du langage-objet. Le mathématicien Tarski a montré que les mots « vrai » et « faux » requièrent un métalangage. Langage qui sert à décrire la langue naturelle. La description du métalangage exige un métalangage supérieur et ainsi de suite à l'infini.

[2] Cf. Faith and Political Philosophy. The Correspondence between Leo Strauss and Eric Voegelin, University of Missouri Press, Columbia and London, 2004, p 36.

[3] Cf. Jean-Claude Milner Les noms indistincts, Seuil, 1983, p 62.

[4] Ibid. p 99.