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01/07/2010

Mon dernier livre..

 Kostas Mavrakis

De quoi Badiou est-il le nom?

Pour en finir avec le (XXe) siècle

 

Editions l'Harmattan 13 euros

                       (Pour en savoir plus cliquer sur "Site de Kostas Mavrakis" à la rubrique Liens)

 

 

16:55 Publié dans Culture | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : kostas mavrakis

Les idées politiques de Badiou

Les idées politiques d’Alain Badiou sont incohérentes jusqu’à l’absurde. Il a, certes, raison  de voir dans le parlementarisme un déguisement sous des oripeaux démocratiques d’une oligarchie au service du grand capital. Mais cette critique n’est pas faite du point de vue d’une véritable démocratie qui permettrait à la très grande majorité de la population (au peuple) de prendre en main ses propres affaires et d’en décider en fonction de ses intérêts. Badiou rejette cette démocratie authentique tout autant que l’autre parce qu’elle serait le règne du nombre et des opinions majoritaires. Dans ces conditions c’est par pure démagogie qu’il abuse du mot émancipation. Que signifie l’émancipation si en son nom le pouvoir est réservé à ceux qui sont capables de distinguer la vérité de l’opinion commune (doxa) ? Qui désignera ces philosophes-rois ?  Badiou veut une société égalitaire où tout le monde serait « polyvalent » et ferait « un peu toutes choses », mais il ne dit pas quelle serait la nature du pouvoir qui imposera ce genre de rapports sociaux car il faudra imposer l’abolition de la division du travail. Cette mesure ne va pas de soi étant donné que nous n’avons pas tous les mêmes aptitudes.

Pour Marx le communisme n’était pas une simple idée (comme chez les socialistes utopiques d’antan et  chez Badiou) mais le mouvement objectif de transformation de l'état de choses et cela grâce à une force sociale  investie de cette mission. L’agent historique du communisme était une entité  internationale mythique constituée d’ouvriers d’industrie et douée d'une conscience et d'une volonté unitaire du moins tendanciellement. Marx la nommait « prolétariat ». Il y voyait une classe universelle en ce qu’elle avait vocation de prendre en charge les intérêts de l’humanité entière. Aujourd’hui personne ne croit plus en cette classe surtout en tant qu’elle serait appelée à devenir très majoritaire comme le pensait Marx. A la fin des années 1960 les ouvriers (y compris dans les transports selon la définition marxiste) représentaient plus de 41 % de la population active. En 2006 ils étaient tombés à 25%. Quand au parti communiste sensé les représenter il obtient aux élections environ 2 ou 4%. Sachant tout cela, Badiou est bien embarrassé quand on l’interroge sur l’agent historique susceptible de réaliser son idéal communiste. On comprend seulement qu’il place son espoir dans une autre catégorie sociale : les ouvriers immigrés (de préférence sans papiers). Et pour que l’idée communiste et l’internationalisme qui lui est associé disposent d’une base  plus large, Badiou proclame son « refus catégorique des ‘‘frontières’’ entre un Occident riche et arrogant » et la masse des pauvres du Tiers monde.

En partant de là on comprend mieux son rejet de toute démocratie. Celle-ci suppose en effet un cadre national autrement dit une langue, une culture, des références historiques communes qui rendent possible le débat. Ajoutons le sentiment d’avoir des intérêts communs faute de quoi le débat (fraternel) n’aurait pas d’objet. Pour discuter des affaires communes il faut qu'ily ait un "nous". Or les ouvriers n'ont pas de patrie martelle Badiou à la suite de Marx et nonobstant tous les démentis que l'histoire a infligé à cette vue de l'esprit. De plus le communisme, dit Badiou, est « une société délivrée de la règle des intérêts » qu’ils soient individuels ou de groupe[1]. Des immigrés qui, sous l’emprise de l’intégrisme islamiste, ne se définissent pas comme Français ni même comme Algériens ou Marocains mais seulement comme musulmans et qui considèrent que leur devoir est de servir les intérêts de l’Ouma, peuvent-ils être admis à participer à la vie politique française ? La problématique même de la démocratie comme type de régime dont on peut se demander s’il instaure un bon pouvoir (du point de vue des gouvernés), n’a pas de sens pour Badiou puisqu’il veut l’abolition de l’Etat et de tout régime politique.        

 


[1] En réponse à Frédéric Taddéi le 25 octobre 2007.

26/06/2010

Badiou et les révolutions (en bloc ou en détail ?)

Alain Badiou exige qu'on distingue dans la mémoire nationale ce qui a valeur universelle en termes d'émancipation et d'égalité de tout le reste, voué aux gémonies. A ceux qui défendent notre héritage dans sa particularité selon la définition d'Ernest Renan, il reproche de n'y faire aucun partage de ce genre. Ce n'est pas vrai car Renan parle d'un "héritage de gloire et de regrets", donc divisé. Or, quand Badiou répond à ceux qui critiquent octobre 1917 à cause des crimes sur lesquels ce putsch a débouché, il proclame son adhésion indivise à cet héritage. La révolution bolchévique, dit-il, est à prendre "en bloc" exactement comme le voulait Clémenceau pour la révolution française. Voilà ce qu'en pensait Anatole France qui devrait être estimé bon juge par Badiou car il adhéra au parti communiste lors de sa fondation en 1922 : "L'autre jour, au Palais-Bourbon, je ne sais quel député radical écoutait impatiemment notre confrère Henry Fouquier, qui, trop subtil pour lui, distinguait entre 89 et 93. Bientôt notre radical n'y put tenir et s'écria : ''La Révolution est un bloc, qu'il faut prendre tout entier''. Parole simple et profondément religieuse! Celui qui la prononça aurait été de tout temps un terrible homme de foi [...] Il est dans le caractère du religieux de mépriser l'histoire et d'aimer la légende"(1). Ces mots s'appliquent très exactement à Badiou.

(1) Je tire cette citation de l'article d'Annie Mavrakis "Relire Les dieux ont soif à la lumière des Onze" publié sur le site La vie littéraire.    

20/06/2010

Picasso et les origines du non-art (suite et fin)

Dans la précédente livraison de cet article, j’ai commencé à mettre en exergue le rôle décisif de Picasso dans la transition de l’art au non-art. Les critiques ont fait de lui tantôt une sorte de magicien conjurant les formes les plus bizarres, tantôt un démiurge faisant table rase d’un passé encombrant pour élever le temple du futur. C’est ce qui incita la foule à voir en lui l’incarnation de la modernité. Etant un vrai peintre, il garantissait que le non-art qu’il inventa avec le cubisme était l’art de notre époque.

Les demoiselles d’Avignon sont une sorte de manifeste dont les mots d’ordre seraient : « le laid, c’est le beau, mal dessiner, c’est bien dessiner, juxtaposer des monstres, c’est composer un tableau ». Sur le moment, cette provocation est tombée à plat. Même Apollinaire n’en pensait pas grand bien. C’est que la leçon des Baigneuses de Cézanne commençait à peine à être intériorisée dans le milieu artistique, serait-il « avancé ». Picasso réagit par une fuite en avant, ou plutôt en arrière, abandonnant entièrement ou presque, selon les cas, la figuration. Se voyant vivement critiqué par ceux qui y tenaient (ainsi qu’à la correction du dessin), il se construisit une légende de génie ultra-précoce ayant très tôt acquis un métier qui lui aurait permis d’atteindre la stature d’un grand maître classique s’il avait choisi cette voie. Selon Romulo Antonio Tenès, c’est une mystification. Cet historien a montré que toutes les œuvres attribuées à Picasso et datées de la période 1891-1897 (de dix à seize ans) sont en réalité de son père. Quand elles étaient signées, le J de Josè Ruiz a été changé en P (pour Pablo) l’artiste n’ayant adopté le nom de sa mère que plus tard. Une expertise graphologique fait foi de ce changement du J en P car il faut savoir que R. A. Tenès a déposé plainte visant des faux en écritures publiques étant donné que ces attributions figurent dans des documents officiels

L’homme nu (1895) est peut-être de Picasso mais on y remarque des fautes d’anatomie. La tête est trop grosse, les jambes et les pieds trop grêles. Pour un garçon de 14 ans, ce n’est pas mal mais Picasso éprouva le besoin d’excuser les faiblesses de ce dessin en disant qu’il l’avait réalisé en un jour alors qu’on accordait six mois aux candidats à l’école des Beaux Arts de Barcelone. A cela, on peut objecter qu’un jeune ayant de vrais dispositions artistiques aurait mis à profit jusqu’à la dernière minute de ce délai.   

R. A. Tenès affirme que l’œuvre relativement ambitieuse de la période suivante Ciencia y Caridad, a été volée au peintre Garnelo y Alda. Picasso quant à lui n’aurait commencé à peindre qu’en 1903 à l’âge normal (pour la plupart des peintres) de vingt-deux ans. Or en 1901 il avait exposé chez Vollard 64 œuvres, l’équivalent de ce qu’aurait produit en dix ans de travail acharné Ingres quand il était en pleine possession de ses moyens ! Dans le cas de Picasso ou bien il n’était pas l’auteur de ces œuvres ou bien il s’agissait de pochades. A moins qu’il ne faille retenir les deux explications à la fois.

Les œuvres authentiquement picturales les plus accomplies de Picasso sont sans doute les deux portraits de sa femme Olga, l’un de 1917 à l’huile, l’autre au pastel de 1922-23, celui de son fils Paul en arlequin (1924), tous trois à Paris et l’arlequin assis de Bâle à la détrempe (1923). Seul le deuxième est achevé. Le dessin en est approximatif et parfois fautif, les contours, noirs, trop appuyés. Pourtant l’ensemble a beaucoup de charme et on peut en dire autant des trois autres. Il est significatif que les toiles non-figuratives du peintre sont toujours finies alors que les figuratives ne le sont presque jamais. Soit que Picasso ait craint de paraître académique, soit qu’il ait reculé devant la difficulté bien connue des fonds. Tout compte fait, on peut dire que le Picasso figuratif qui a donné toute sa mesure dans les œuvres que je viens de citer, auxquelles on doit ajouter celles des périodes bleue et rose, a un style très personnel qui impressionne durablement. Le seul artiste traditionnel ayant traité parfois des thèmes apparentés (saltimbanques, forains etc.) selon une sensibilité très proche est Gustave Doré. Picasso lui est supérieur, ce qui n’est pas un mince éloge.    

Très prétentieux, il eut l’outrecuidance de pasticher Ingres. Mal lui en prit. Dans son livre The success and failure of Picasso, John Berger confronte aux pages 94 et 95 un dessin d’Ingres à un dessin de Picasso assez semblable représentant l’un et l’autre des femmes assises. Celui de Picasso : Madame Wildenstein (1918) est gâché par une grossière faute de dessin. L’œil et le sourcil gauche sont plus grands et surtout plus hauts que ceux de droite si bien que l’axe de la bouche et celui des yeux forment un angle au lieu d’être parallèles.

Bref si Picasso était resté fidèle à la grande tradition européenne, il aurait été un artiste estimable sans plus et non le géant qu’en a fait une certaine critique aux formules ampoulées. Dans La grande histoire de la peinture des éditions Skira, Jacques Lassaigne écrivait, par exemple : « en 1907 [début du cubisme] Picasso entreprenait une reconstitution rationnelle et méthodique du monde […] Il ouvrait des possibilités de découvertes immenses dans l’objet même. [Dans les œuvres d’aujourd’hui on doit découvrir] l’absolu qui seul répond à l’infini ». C’est pourquoi, dit le même auteur, Picasso « ose mettre à jour les secrets les plus profonds de l’être » bigre!. Picasso était beaucoup plus lucide que la plupart de ses commentateurs sur la nature de son « travail ». Il confiait par exemple à Christian Zervos : « Auparavant les tableaux s’acheminaient vers leur fin par progression. Chaque jour apportait quelque chose de nouveau. Un tableau était une somme d’additions. Chez moi un tableau est une somme de destructions. Je fais un tableau, ensuite je le détruis ». John Berger voyait en Picasso un « artiste condamné à peintre en n’ayant rien à dire [op. cit. p 185] ». La difficulté centrale de son œuvre, dit Berger, est le manque de sujets. Picasso a reconnu qu’il y a avait là un problème pour lui. « Il y a très peu de sujets », confiait-il à Kahnweiler en 1955, « Tout le monde les répète ». « Vénus et Cupidon » devient « La Vierge et l’Enfant Jésus », puis «Mère et enfant », mais c’est toujours le même sujet. Evidemment Picasso confondait thème et sujet, mais peu importe. Sa façon de voir « ignore, dit Berger, ce que le peintre cherche à dire, escamote la question de l’effet produit par la peinture […] et laisse entrevoir un homme à ce point habitué à travailler seul qu’il a oublié la possibilité d’accord avec qui que ce soit d’autre » [ibid pp 140-41] si bien que plus « rien ne semble lui résister ». Or il faut cette résistance, ce point d’impossible, pour qu’une œuvre touche au réel, dirais-je en suivant Lacan.    

Nous avons vu que de son propre aveu c’est l’acte de destruction qui intéresse Picasso. Ce qui lui donnait une raison de plus pour refuser d’accorder son adhésion explicite à la non-figuration. Il fallait qu’il reste quelque chose de l’art d’autrefois pour pouvoir le détruire à nouveau par un geste qui voulait signifier l’impossibilité de l’art aujourd’hui. « Si Raphaël revenait avec les mêmes tableaux personne ne les regarderait », a-t-il dit. Ce qu’on regarderait, ce sont les variations barbouillées qu’il leur superposerait. « Chez lui tout est suspendu au passé », écrivait Roger Caillois dans un article célèbre, je ne le vois à l’origine de rien ». Loin d’être  « un semeur prodigue de germes du futur », il n’est que « le liquidateur avisé et sardonique d’une entreprise plusieurs fois séculaire dont il pressentait, comme les rats qui quittent le navire, la dissolution prochaine ».