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15/06/2010

Picasso et les origines du non-art

Comme le suggère mon titre, je me propose de situer Picasso dans la transition qui conduit au non-art. L'art authentique a continué à être pratiqué clandestinement, mais la transition dont je parle passe aux yeux des profanes pour appartenir au courant  principal  (mainstream ) de l'histoire. Il s'agira d'expliquer un phénomène remarquable et assez mystérieux. Les bouffonneries facétieuses ou provocatrices du début de ce processus se présentent avec beaucoup de sérieux comme l'art le plus sublimes à sa fin. C'est la même chose, avec la foi du charbonnier en plus. Dans cette affaire, Picasso a joué un rôle décisif. Sans lui je ne crois pas qu'on aurait pu passer de Duchamp à Buren ou Boltanski.

Examinons donc les points saillants de ce devenir. Les gestes inauguraux du non-art remontent aux deux premières décennies du XXe siècle. Les plus radicaux ont été la roue de bicyclette de Duchamp (1913) et le carré de Malévitch (1915). L'aquarelle abstraite de Kandinsky est datée (ou antidatée) de 1911 mais elle fut précédée par l'huile de Strindberg intitulée Inferno (1901). Le manifeste futuriste de Marinetti a été publié en 1909. Ces initiatives en apparence chaotiques obéissaient en fait à une logique : celle des stratégies poursuivies par les artistes en vue de surpasser leurs concurrents non par leur talent, ni même par leur audace mais par ce qui en est la caricature : le culot.

Le coup d'envoi de cette course vers l'abîme a été donné involontairement par Cézanne. Celui-ci aspirait à faire « du Poussin sur nature » sans en avoir les moyens. L'impuissance de ses efforts (il travaillait avec acharnement) ont fait que ses dernières ébauches (toutes ses toiles sont des ébauches) anticipaient Braque co-inventeur avec Picasso du cubisme. Les deux compères étaient donc en droit de se revendiquer de Cézanne. A son tour celui-ci avait commencé dans le sillage des Impressionnistes qui affaiblissaient la mimésis en érigeant en principe et en systématisant le style d'esquisse. Chez eux, ce qui subsiste d'illusionnisme est obtenu non par une représentation précise mais par un faire expéditif et abrégé comptant sur la suggestion quand le spectateur s'éloigne du tableau. Cézanne s'appuie sur cet « acquis », c'est-à-dire sur les libertés que prennent les Impressionnistes mais sa facture laborieuse (il n'a pas leur virtuosité en dessin) le conduit à durcir le rendu des volumes. Il apparaît ainsi à ses camarades comme un correctif à leur tendance au « flou artistique ». De là vient l'immense prestige dont il jouit auprès d'eux et dont témoigne le tableau Hommage à Cézanne de Maurice Denis (1901). D'admirables peintres, pour le malheur de la peinture, ont fait la réputation de celui qui est considéré aujourd'hui comme le maître de la Sainte Victoire. Or, sauf à jeter par-dessus bord des principes essentiels, les approximations qu'on peut se permettre à la rigueur dans un paysage ne sont pas acceptables dans la figure ; et Cézanne est aussi l'auteur des Baigneuses, sommet de hideur et d'incorrection mais pas de désinvolture car le malheureux faisait de son mieux. Il autorisait ainsi tous les écarts, volontaires ou non, qui sont venus après et qui nous ont conduit au point où nous en sommes.

C'est à cette époque où Cézanne connaît enfin la gloire que Picasso vient à Paris. Carriériste avisé, il sent tout de suite d'où souffle le vent. Il veut être célèbre comme peintre car, ayant abrégé sa scolarité, il ne sait rien faire d'autre. Or il se rend compte que la peinture touche à sa fin comme moyen de réussite. Il faut choisir l'une ou l'autre. Si l'on recherche la réussite, on doit tenir compte avant tout que s'éloigner de la figuration passe désormais pour une preuve de créativité. Picasso va donc accompagner la destruction de cet art selon le principe « puisque ces mystères nous dépassent, feignons d'en être l'organisateur ». Il  mènera, en effet, jusqu'au bout l'élimination de la figuration même s'il n'en fait pas la théorie comme Kandinsky. Le Portrait de Kahnweiler (1910) à New York, par exemple, est entièrement abstrait de même que le Pigeon aux petits pois qui vient d'être volé au Centre Pompidou. Dans les milieux de la peinture abstraite autour de 1920 - 1930, il était de mise de déclarer que le cubisme menait logiquement à l'abstraction mais que Picasso n'avait pas osé sauter le pas. Or s'il l'avait fait, il aurait rejoint ses concurrents. Mauvaise stratégie pour celui qui se veut « en avance » sur les autres. C'est pourquoi voyant que l'abstraction est associée aux yeux du public à Kandinsky et à Delaunay à cause de leurs écrits théorique, Picasso abandonne précipitamment le cubisme pour revenir à un art presque classique. Pas question de passer pour un suiviste.

(à suivre...)

12/06/2010

La guerre en philosophie

Althusser disait en citant Kant que la philosophie est un Kampfplatz, une lice, un champ clos. Récemment B.-H. Lévy a tenté de renouveler ce thème à son grand dam (voir ma note du 16 mars). Intervenant à mon tour, je serai modeste et prudent et me contenterai de prendre à mon compte une passage de Nietzsche tiré de Ecce Homo. Il s'applique très exactement à mon rapport à Badiou. Le voici: "Ma façon de pratiquer la guerre peut se résumer en quatre points. Premièrement : je n'attaque qu'un adversaire victorieux, et au besoin j'attends qu'il le devienne. Secondement : je n'attaque jamais que quand je suis sûr de ne pas trouver d'alliés [...] Troisièmement : je n'attaque jamais des personnes, je me sers d'elles comme de loupes pour rendre visibles les calamités publiques [...] Quantrièmement je n'attaque qu'en l'absence de tout différent personnel, ..."   

10/06/2010

Badiou parfait conformiste

Dans le chapitre intitulé « Capitalisme et civilisation » de mon livre Pour l'Art, je proposais pour expliquer l'éclipse de celui-ci à notre époque la « réification » engendrée par la prédominance exclusive de la production pour le marché. Elle signifie que l'aspect quantitatif des choses devient principal dans la vie publique et relègue leur aspect qualitatif à l'arrière-plan de la vie privée. Sans employer ce terme de réification emprunté à Lukàcs, Badiou et Finkielkraut décrivent  le même phénomène mais ils n'en voient pas les effets désastreux pour l'art. Badiou parce qu'il est un ami du non-art, Finkielkraut parce que s'intéressant surtout à la littérature qui a toujours droit de cité il ne considère pas comme indispensable de donner d'autres verges pour se faire battre en s'engageant dans un domaine qui n'est pas prioritaire pour lui. Sous le capitalisme, le règne de l'argent (l'équivalent général) signifie l'interchangeabilité de tout avec tout selon des rapports uniquement quantitatifs. Du point de vue du calcul rationnel, tout se vaut qualitativement. Alain Finkielkraut a donc raison de reconnaître une homologie entre cette loi de notre système socioéconomique et « l'affirmation de l'égalité de toutes les pratiques, de tous les comportements, de tous les styles ». «Il n'y a plus de critères, il n'y a que des opinions ;  rien n'est supérieur à rien »[1]. L'équivalence des valeurs est conforme à l'esprit du capitalisme alors que leur hiérarchie lui est hétérogène. S'il voulait être conséquent avec lui-même, Badiou aurait dû reconnaître que mettre l'art et le non-art sur le même plan est congruant ou homogène avec la subjectivité nihiliste du capitalisme alors que défendre la grandeur de l'un et dénoncer la supercherie de l'autre est le propre des esprits subversifs par attachement aux plus hautes valeurs. Face à eux, sans souci de cohérence, Badiou préfère revêtir la figure actuelle du faux rebelle mais vrai conformiste et donc trahir sa vocation de philosophe.


[1] Badiou / Finkielkraut, L'explication, lignes 2010, pp 137,134

 

02/06/2010

Une video de Christophe Réveillard

Le professeur Christophe Réveillard présente sur le site realpolitik.tv le livre de Kostas Mavrakis : De quoi Badiou est-il le nom? Pour en finir avec le Xxe siècle. On peut voir la vidéo en cliquant sur le lien suivant: www.realpolitik.tv/geopolitique-en-livres/de-quoi-badiou-...