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16/03/2010

Bernard-Henri Lévy : un mystificateur mystifié

  Ayant suivi comme tout le monde la controverse autour de la bourde commise par Bernard-Henri Lévy je constate que tout n'a pas été dit sur cette affaire. Y ajouter mon grain de sel ne sera donc pas inutile. Certes, l'enjeu est nul, mais les occasions de rire ne sont pas si fréquentes.

B.-H. L. consacre un livre entier De la guerre en philosophie, à la question propre à flatter son narcissisme « comment je philosophe ?». Il philosopherait donc, voilà un point acquis. A moins que ...  Personne ne conteste qu'il ait écrit avec un certain talent de plume nombre d'essais dont tous ont été fêtés par les médias mais dont aucun n'a laissé une marque impérissable. Il a conquis une notoriété certaine par un marketing douteux. Si la qualité de son style n'est pas contestée l'originalité de ses idées n'a pas frappé ses confrères. Sans cela comment s'expliquer qu'il ne soit jamais cité par d'autres philosophes ? Il est significatif que la recension de son livre ait été confiée à Josyane Savigneau, critique littéraire, et que la seule personnalité qui ait volé à son secours ne soit ni un philosophe, ni un intellectuel mais Ségolène Royal.

Quoi qu'il en soit le Clausewitz des guerres philosophiques s'est fait piéger comme un bleu en chargeant un leurre, les escadrons Kantiens du Chaco, faute d'avoir déployé ses éclaireurs. B.-H. L. a cru à l'existence d'un philosophe nommé Jean-Baptiste Botul, il a lu le livre de cet auteur fantôme : La vie sexuelle d'Emmanuel Kant en le prenant au sérieux et il a en a tiré une interprétation extravagante de la philosophie de Kant. Selon l'auteur de cette mystification, Frédéric Pagès, il aurait suffit à B.-H. L. pour éviter sa méprise de jeter un coup d'œil sur Internet ou de ne pas lire à toute vitesse, « avec un ventilateur », dit-il. Notre star médiatique était pressée de nous faire part des révélations qu'il a puisées dans ce canular comme d'expliquer le monde nouménal par une jeunesse spirite et les phénomènes télépathiques auxquels Kant aurait cru. Sa « manie transcendantale » serait là « pour contenir une folie souterraine ». Enfin ces sornettes feraient l'objet, selon B.-H. L., d'un consensus parmi les savants puisqu'en l'en croire « les biographes savent, aujourd'hui, que [cette folie] le (Kant] menaçait plus qu'aucun autre » (p 123). J'en passe et de meilleures.

Comment croire à la compétence minimale d'un « philosophe » qui proclame ouvertement que pour comprendre Kant il faut connaître sa biographie (n'en déplaise à Marcel Proust) et s'adresse pour se renseigner sur elle à un Botul ? Comment y croire quand on lit ces mots : « Kant [...] dont Jean-Baptiste Botul a montré, au lendemain de la seconde guerre mondiale, dans sa série de conférences aux néo-kantiens du Paraguay que leur héros était un faux abstrait ... » etc. (122). Un philosophe ne peut ignorer que si des écrivains de valeur fleurissent dans un peu tous les pays, en revanche ceux où il y a des philosophes et une tradition philosophique se comptent sur les doigts d'une main. On connaît l'école néokantienne qui s'était formée en Allemagne avant la première guerre mondiale autour  d'Hermann Cohen. Mais des néokantiens au Paraguay, c'est-à-dire dans le coin du monde le plus perdu qu'on puisse imaginer, est une plaisanterie digne du Canard enchaîné où écrit Frédéric Pagès. Que B.-H. L. n'ai pas éclaté de rire en lisant ce trait en dit long sur son manque d'humour et son ignorance.

De cette dernière on trouvera autant de preuves qu'on voudra dans son livre déjà cité. Il attribue à Socrate (p 75-76) les vers d'Euripide que cite Platon dans le Gorgias « qui sait si vivre n'est pas mourir et si mourir n'est pas vivre ». Il croît qu'Althusser en « instruisant le procès de la « dialectique de la nature » s'en prend à Matérialisme et empiriocriticisme de Lénine alors que Dialectique de la nature est le titre d'un livre d'Engels. Il se réfère à Lacan « distinguant  ''le réel'' [...] de ''réalité'' (le monde en tant qu'il est soumis à l'ordre symbolique et du langage » (p 29). Or dans le nœud boroméen de Lacan la réalité appartient au registre de l'imaginaire si l'on en croit une des meilleures autorités en la matière : Jean-Claude Milner dans son livre Les noms indistincts. Je m'arrête là sans quoi on croira que je prends B.-H. L. au sérieux.

07/03/2010

Marianne cloue au pilori Alain Badiou

Dans son numéro du 27 février au 5 mars 2010 Marianne a publié un grand article d'Eric Conan intitulé : "Alain Badiou. La star de la philo est-il un salaud ?"  J'en extrais les passages qui me sont consacrés en les faisant suivre par une petite rectification. 

 

"Avec ce proséIytisme, l'UCFML [le groupuscule fondé par Alain Badiou] n’a guère dépassé les 500 militants à son apogée et n'a "récupéré que peu de maos dépités par la dissolution de la Gauche Prolétarienne en 1973. Le seul lien ­fut Kostas Mavrakis, ex-GP, qui "dirigeait Théorie et po1itique, revue ultra-« théoriciste » où il publiait Badiou : « Malgré mon amitié pour lui, je n'ai jamais eu l'idée "d'intégrer l'UCFML, trop sectaire. Ils n'avaient aucun lien. avec le monde ouvrier ; aucun établi. Ils étaient surtout hostiles aux "syndicalistes, les taxant de révisionnisme, vendus à la bourgeoisie, alors ­qu'à la GP on estimait qu'il fallait encourager la "combativité ouvrière, même sur des revendications réformistes, afin de la renforcer pour  plus tard»

 [...]

"Avec De quoi Badiou est-il le nom ? (L'Harmattan), qui vient de paraître, Kostas Mavrakis, devenu peintre adepte d'un classicisme "évoquant le réalisme socialiste, ­règle aussi ses comptes avec son ancien complice maoïste. Ils étaient pourtant restés proches. Badiou "défendant même Mavrakis, accusé il y a peu d"avoir publié un texte contre l'art moderne dans Krisis, la revue d’Alain de Benoist. Ils se "sont ­brouillés en 2006 comme deux enfants pour une affaire de tableau. Badiou se ­déclarant «propriétaire transcendant de Léda et le "cygne, l'œuvre préférée de Mavrakis, qu'il revendiquait et qu’il n’a jamais obtenue, son ami se sentant trahi par l’apologie de l'art "contemporain par Badiou dans son livre le Siècle. « C'est vrai, j'aurais bien accroché Léda et le cygne sur mon mur, mais le pro­blème "c'est que Kostas a vraiment bascu1é dans la réaction »? précise Badiou : les deux amis se sont séparés en 2009 par un échange de "1ettres en pleine ascension médiatique d'un Badiou triomphant auprès de son ex-ami : « L'heure du retour des vérités universelles est "venue et mon actuel destin public n’est  qu'un des symptômes flagrants de ce que la parenthèse réactive s'achève », lui écrivait-i1 en octobre dernier . « J’ai pensé au délire d’Althusser qui se voyait en dirigeant unique de la révolution. Mondiale, Badiou n'en est "plus très loin, commente Kostas Mavrakis. Un marxiste orthodoxe verrait dans sa célébrité médiatique une manœuvre de "récupération de la bourgeoisie : il est devenu le bouffon du capital. On le montre parce qu’il n’est pas dangereux, il peut même "rendre des services. »

Voici un extrait de la lettre par ailleurs très élogieuse que j'ai adressée à Eric Conan :

Malgré votre probité scrupuleuse, deux erreurs se sont glissées dans un passage qui me concerne. 1° il est inexact que je me sois brouillé avec Badiou « pour une affaire de tableau ». Ma réticence à lui donner la Léda ne fut pour rien dans notre rupture. Je m’étais d’ailleurs à peu près décidé à lui en faire cadeau quand il publia Le Siècle et c’est ce livre qui rendit l’affrontement inévitable. 2° Ma peinture n’évoque ni de près ni de loin le « réalisme socialiste ». Celui-ci est un art de propagande alors que mes tableaux cherchent seulement à procurer une délectation esthétique et quand ils ont un sujet il est emprunté à la mythologie. Par leur style, ces œuvres se rattachent à la grande tradition contrairement à l’école soviétique dans laquelle prédomine une facture impressionniste.

 

 

18/02/2010

Badiou: un communisme de dame patronnesse

Alain Badiou se présente souvent comme le Platon ou le Socrate de notre temps. Il en est au contraire le sophiste le plus accompli car il sait nous faire prendre des vessies pour des lanternes en choisissant habilement ses mots dans le cadre d’une « novlangue » dont je proposerai le décryptage. Voici ce qu’il nous dit dans son article paru dans Le Monde du 14-15 février. La jeunesse populaire est désorientée comme toujours dans les périodes contre-révolutionnaires. De ce fait, la « séquence antérieure de la politique d’émancipation » qui, « elle, était bel et bien orientée », lui est devenue illisible, ce qui lui « interdit de trouver dans la période en question les principes aptes à remédier à ses impasses ».

On voit le chantage que le sophiste exerce sur le lecteur. Rares sont ceux qui s’avouent contre-révolutionnaires ou voudraient s’opposer à une politique d’émancipation ; et seul un obscurantiste souhaiterait qu’une période récente de notre histoire soit illisible. Mais au fait de quoi s’agit-il ? La période en question est celle de Lénine, Staline et Mao. Elle a été marquée par une oppression implacable, des dizaines de millions de morts en URSS et en Chine en relation avec la collectivisation forcée, les épurations, le goulag, le « grand bond en avant », la révolution culturelle. Broutilles que tout cela, pense Badiou. Reprocher à « l’hypothèse communiste » d’avoir « tragiquement échoué », « quelle plaisanterie ! ». En « soixante-dix ans de tâtonnements, de violences et d’impasses […], l’idée communiste n’a parcouru qu’une portion infime du temps de sa vérification ». Nous devrions donc endurer de bonne grâce pendant des siècles encore l’application de cette idée mortifère !

Les crimes de masse auxquelles je viens de faire allusion ne sont pour Badiou que « péripéties tragiques » comme le fut la terreur jacobine. Il cite à ce propos la formule de Clémenceau : « La Révolution française forme un bloc ». On devrait de même accepter en bloc le léninisme-stalinisme-maoïsme. Or on ne peut éluder la question suivante : comment peut-on appeler « séquence communiste » une période au cours de laquelle l’idée communiste n’a pas connu ne serait-ce qu’un début d’application? Quant à la « politique d’émancipation », ce qu’on a vu en Russie et en Chine, c’est le passage direct d’une oligarchie oppressive à une autre bien pire.

A noter que Badiou, attaché à son statut nouvellement conquis de gourou de l’extrême gauche sans exclusives, lance un clin d’œil en direction du NPA et autre « Lutte ouvrière » en précisant que « la séquence communiste » dont il parle « inclut toutes les nuances, du pouvoir comme de l’opposition, qui se réclamaient de la même idée » à savoir aussi bien Trotsky que Staline. Son œcuménisme ouvre les bras aux deux frères ennemis qui méritent, selon lui, l’absolution. N’a-t-il pas décrété que leurs actes sont « lisibles » et n’ont rien de « pathologique » ?

Badiou a une conception quasi-religieuse de la vérité qui, selon lui, se décide et se déclare mais ne se démontre pas. L’idée communiste, dit-il, « déclare que le principe égalitaire permet de distinguer dans toute action collective ce qui est homogène à l’hypothèse communiste et donc a une réelle valeur et ce qui la contredit, et donc nous ramène à une vision animale de l’humanité ». Il faut savoir que L’éthique de Badiou pose que quiconque n’est pas un « Immortel » porteur d’une idée (donc presque tous les hommes) est un « animal humain » à qui on peut infliger brigandage et  meurtre sans que ce soit un mal mais simple « prédation banale » (L’éthique p 91). Si vous ne rejoignez pas une action collective communiste, ce que vous faites est sans valeur, vous n’êtes pas un Immortel, juste un « animal humain ».

Pour conclure, après avoir réduit le communisme à une idée, alors que pour Marx c'était le mouvement de tranformation de l'état des choses, notre philosophe réduit la pratique révolutionnaire à une modeste « morale provisoire » dont le premier précepte est de secourir les sans-papiers. Ils sont nombreux à le faire dans le Nord-Pas-de-Calais sans avoir étudié la philosophie ni suivi les contorsions de Badiou quand il affirme que qualifier les immigrés d’étrangers serait une « imputation arbitraire » (L’éthique p 115). Ne sont-ils pas d’ici puisqu’ils sont ici ?  Ce dernier coup du maître sophiste mérite d’être salué. Mais le militant qui espérait être orienté par la perspective d'une action pour changer le monde sera déçu par la conduite de dame patronnesse qu’on lui propose.          

Beaucoup s’interrogent sur la soudaine fortune médiatique d’un philosophe qui pousse loin la provocation, notamment en attaquant la démocratie (y compris directe) et en se réclamant d’un communisme totalitaire pur et dur. Certes sur l’art et sur l’immigration, ses positions coïncident courageusement avec celles du grand capital, mais il faut chercher ailleurs la véritable explication. Badiou est un « fou du roi » idéal dont les propos ne tirent pas à conséquence.

14/02/2010

Un peu de prospective

La « mondialisation » a commencé avec les « grandes découvertes » de la fin du quinzième et du début du seizième siècle. L’apparition de ce mot est cependant postérieure à la chute des régimes « socialistes » en Europe de l’est et à l’introduction du marché capitaliste en Chine. Elle correspond à une réalité nouvelle, effet de la généralisation et de l’intensification des flux de marchandises, d’hommes, de capitaux, d’information. « Généralisation » signifie que ces flux affectent à un degré ou un autre toutes les régions du globe ce qui n’était pas le cas auparavant. Les uns sont peu coûteux en énergie et instantanés mais pas les autres. Cette distinction est moins importante qu'on pourrait le croire pour ce qui concerne les tendances qui vont façonner notre avenir. On pourrait être tenté de penser que la circulation des capitaux et des informations ne sera pas ralentie à l’ère de l’énergie chère dans laquelle nous sommes entrés. Il n’en est rien car les quatre types de flux sont interdépendants et ils instaurent une interdépendance des différentes parties du monde qui les détermine à leur tour. Cette interdépendance est destinée à s'affaiblir. A l’avenir certaines marchandises ne seront plus transportées d’un bout de la planète à l’autre et les besoins (si tant est qu’il s’agisse de besoins), seront satisfaits par une production locale. Les retraités n’iront plus chercher en plein hiver le soleil ou un exotisme de pacotille à Phuket ou à St Domingue. Les délocalisations seront moins avantageuses et la concurrence de la Chine et de l’Inde plus supportable. Notre rapport au temps va changer et nous vivrons sur un globe plus chaud quant au climat mais plus tiède socialement et métaphoriquement parlant.

Il y aurait encore beaucoup de choses à dire sur les changements qui se profilent à l’horizon mais une chose est certaine : changements il y aura. La plus grande erreur que nous puissions commettre est d’extrapoler à partir d la réalité actuelle et d’imaginer que celle-ci va continuer sur son erre.