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27/01/2010

L'internationnalisme de Badiou et le pic oil

« Il y a un seul monde » nous dit Badiou d’où il conclut que la « politique novatrice (comprendre révolutionnaire) sera planétaire". Il a en partie raison mais pas comme il l’entend. Au cours de la décennie dans laquelle nous venons d’entrer il est impératif que des mesures soient adoptées à l’échelle internationale pour sauver la planète. Cet internationalisme n’est pas celui dont rêve Badiou. En bon trotskyste qui s’ignore, il pense que la mondialisation crée un terrain de jeu pour les militants de la révolution mondiale comme lui. Or un tel événement n’est pas envisageable, il le sait bien, à court ou à moyen terme. Ce qu’il ne voit pas c’est qu’à plus long terme la mondialisation sur laquelle il mise sera déjà du passé. Il en est ainsi parce que l’ère de l’énergie bon marché touche à sa fin après avoir duré une soixantaine d’années. Au cours de cette période tout le monde échangeait avec tout le monde et de plus en plus vite. Cette énergie à bas coût permettait à certains produits de faire le tour de la planète avant d’abouti dans notre assiette. C’est toujours vrai mais pendant combien de temps ? Il y a vingt ans le cours du pétrole oscillait autour de 20 dollars et se situait à une moyenne de 18,5 dollars. En 2003 on en était à 30 dollars, en 2005 à 50 $, en 2007 à 66$ et maintenant ce cours oscille entre 70 et 80 $. Le prix du pétrole connaîtra des fluctuations mais la tendance lourde à la hausse se maintiendra parce que la demande augmente, notamment en Chine et en Indes, alors que l’offre plafonnera puis baissera. Selon certains experts le pic de pétrole (à partir duquel la production déclinera) est déjà intervenu. Selon d’autres ce sera pour bientôt. Quoi qu’il en soit il est inéluctable. Il y aura toujours du pétrole mais dont le coût d’extraction ira croissant de même que l’écart entre l’offre et la demande potentielle. Le résultat sera que l’économie  (et la société) vont se recentrer localement. Je vous laisse tirer toutes les conséquences d’une telle mutation.           

15:50 Publié dans Société | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : badiou, pic-oil

20/01/2010

Badiou et la civilisation

(Suite et fin du feuilleton sur la controverse Badiou/Finkielkraut) 

 

Badiou distribue généreusement l’étiquette de fasciste à tous ceux qu’il attaque, comparant Sarkozy à Pétain, dirigeant un feu roulant d’accusations de ce type contre Finkielkraut et disant de moi que ma pensée use « des catégories de l’hitlérien moyen ». C’est ce que Léo Strauss nomme la « reductio ad Hitlerum » (ou ad Petainum ), c’est-à-dire le procédé sophistique consistant à réfuter un adversaire sans autre argument qu’un rapprochement spécieux de ses positions avec celles de ces personnages abhorrés à qui sans doute il est arrivé de dire aussi que deux et deux font quatre.    

Un autre procédé sophistique dont abuse Badiou est la pétition de principe. Il demande qu’on lui concède ce qui est en discussion. Moyennant quoi, il a raison à tous les coups. Il tient pour évident, par exemple, que « l’arrivée massive de gens venus d’Afrique est la continuation du processus enclenché au XIXe siècle, quand les Auvergnats, les Savoyards sont venus à Paris ». Or les Auvergnats, les Savoyards, les Polonais, les Italiens étaient catholiques, facilement assimilables et ne haïssaient pas les Français. Il n’en va pas de même pour des musulmans dont « la distance culturelle » (pour parler comme Lévy-Strauss) est bien plus grande. Badiou ne peut ni ne veut penser à de tels problèmes, que nous y soyons confrontés dans la réalité actuelle ou qu’ils menacent notre avenir. Son universalisme abstrait lui interdit de les penser. Pour lui, les flux migratoires sont une fatalité et voilà comment il en parle : « les gens qui vont venir […] sont des gens d’ici. Des gens dans le même itinéraire […] que celui de leurs ancêtres venus de la campagne ». Vous avez bien lu : le Pakistanais qui débarque a pour « ancêtres » les paysans des campagnes françaises ! A force de prétendre que les Burkinabés sont comme les Auvergnats, le « philosophe » finit par énoncer des absurdités pures et simples.

Badiou lance à Finkielkraut : « Vous êtes en train de construire idéologiquement les musulmans comme ont été construits les Juifs ». Dans son ardeur à déconstruire cette construction, Badiou en vient à nier jusqu’à l’existence des adeptes de l’Islam, mettant des guillemets au nom qui les désigne et parlant de « ceux qu’on appelle musulmans » comme si c’était à leur corps défendant.      

 Finkielkraut lui fait remarquer que « nous sommes les héritiers de la galanterie, c’est-à-dire d’un certain régime de la coexistence des sexes fondé sur la mixité ». De cette vérité, on pourrait multiplier les exemples. Dès le Moyen-Age en effet, les hommes et les femmes dansaient ensemble en Europe. Ce type de rapport entraînant un contact physique est inconcevable pour des musulmans qui refusent même de serrer la main à un être de sexe féminin. Louis XIV se décoiffait quand il croisait une servante. L’ambassadeur de la Sublime Porte dit sa stupeur en voyant l’empereur arrêter son cheval dans les rues de Vienne pour laisser passer une femme du peuple. Des personnes bien intentionnées réclament la mixité avec les immigrés mais beaucoup d’entre eux n’en veulent pas car elle suppose ce à quoi ils répugnent à savoir la mixité avec leurs femmes.

Badiou pourfend avec des mots très durs les oligarchies politiques, financières, médiatiques « extrêmement étroites » mais son étroitesse d’esprit à lui est bien plus grave. Les politiciens et les journalistes suisses étaient opposés à l’interdiction des minarets mais quand le peuple s’est prononcé en sens contraire à une forte majorité l’oligarchie a dû prendre acte de ce vote. Badiou, lui, est plus réactionnaire que les banquiers et ceux qu’il appelle leurs fondés de pouvoir du gouvernement. Il est tellement hostile à la démocratie même directe (et indépendamment de ses formes parlementaires) qu’il n’éprouve aucune gêne à parler du « vote de millions de Suisses abrutis ».

Le débat actuel sur la burqa renvoie à cette hétérogénéité des civilisations européenne et musulmane dont Badiou ne veut rien savoir. Comme toujours chez lui les choix politiques les plus triviaux sont présentés comme déduits de principes métaphysiques d’une généralité vertigineuse et de plus flottants. Par exemple celui qui s’énonce : « l’un n’est pas » (cf. L’Etre et l’Evénement, p 31). Badiou en tire la conclusion que « Dieu n’est pas ». Il dit pourtant le contraire quand il s’agit du monde. « Il n’y a qu’un seul monde » d’où il suit que les frontières sont illégitimes. Or nous ne pouvons faire comme si les musulmans  n’existaient pas et pour eux il y a deux mondes : la « maison de la paix » (Dar es Salaam) qu’ils dominent et la maison de la guerre (Dar al Harb) qui est encore aux mains des mécréants, des Kafirs non encore soumis. Si on entre dans le détail, on s’apercevra que même entre les Pakistanais, les Turcs, les Kurdes, les Algériens, les Marocains, les Maliens les intérêts et les passions politiques respectifs sont très différents et le sont encore plus si la comparaison se fait avec les Chinois et les Portugais. Du point de vue de la réalité empirique telle qu’elle et vécue par les gens concrets, les mondes sont multiples. Badiou ne peut l’admettre à cause de son universalisme abstrait qui va de pair avec un manichéisme analogue à celui des islamistes. Finkielkraut a raison de lui reprocher de penser, comme Staline, qu’il y a « deux camps, deux blocs, deux forces. Et puis  ‘‘un’’, une fois la victoire obtenue. Jamais il n’y a de place pour la pluralité ». La réaction de Badiou est une feinte  indignation. « Moi dont l’œuvre philosophique entière consiste à élaborer une ontologie du multiple, moi dont l’un des énoncés essentiels est « l’Un n’est pas », il faudrait « que je sois vraiment inconséquent »… etc. Il se garde bien de préciser que son multiple n’admet aucun prédicat. Il est multiple et rien d’autre. D’ordinaire Badiou se garde bien de se définir comme pluraliste et il ne se veut penseur du multiple qu’en ontologie mathématique. Dès qu’il en vient à la phénoménologie (« l’apparaître » dans son jargon), c’est une autre logique qui prévaut chez lui, celle des « mondes ». Or cette dernière n’a pas affaire à des multiples. Dans ce domaine, il y a de l’un et les multiplicités concrètes peuvent être niées.

Badiou prétend qu’il ignore ce que signifie l’expression « civilisation française » dont use Finkielkraut mais qu’on rencontre aussi sous la plume autorisée de Fernand Braudel. Je me permettrai donc d’éclairer sa lanterne. La civilisation française est la forme, régionale ou locale à ses différentes étapes, de la civilisation européenne. Celle-ci était une réalité assez homogène dès le Moyen Age. Par exemple le style gothique, né dans l’île de France, se répand dans toute l’Europe sauf dans sa partie orientale et balkanique où prévaut le style byzantin relevant d’une civilisation parente mais autre.    

Pour Finkielkraut, « la France ne doit pas être une auberge espagnole où chacun apporte son manger », une mosaïque de communautés hétéroclites venues des quatre coins de la planète. Il voudrait en outre préserver la civilisation française dans son originalité en la protégeant d’une autre menace qu’il formule en citant Lévi-Strauss. Celui-ci redoutait le « mouvement vers une civilisation mondiale destructrice de ces vieux particularismes auxquels revient l’honneur d’avoir créé les valeurs esthétiques et spirituelles qui donnent son prix à la vie ». Ma théorie aussi pose que « toute vérité se construit dans la particularité », lui répond Badiou. C’est exact et en cela il a raison de suivre Hegel. Où se situe alors la divergence d’opinions pourtant éclatante? C’est que Badiou consacre toute son énergie à favoriser ce que Lévi-Strauss et Finkielkraut s’efforcent de restreindre. Le premier stigmatise comme fasciste le katechon des seconds. Il appelle de ses vœux le triomphe de l’entropie au nom de l’universalité alors qu’elle signifie la mort dans la tiédeur. En se disant d’accord avec Finkielkraut, Badiou n’est donc pas honnête. Il essaye simplement de parer le coup.

Il est d’ailleurs passé maître dans ce genre d’esquives comme on le voit à la fin du débat quand il affirme hypocritement que sa « position ne remet aucunement en question l’existence de l’Etat d’Israël » tout en proclamant dans la phrase suivante qu’il milite pour une Palestine binationale ». Comme dans celle-ci les Juifs seraient de plus en plus minoritaires et que d’ailleurs la plupart s’en iraient à l’instar des Pieds noirs d’Algérie, où est la différence avec la destruction de l’Etat d’Israël ?     

15/01/2010

Dialogue avec Alain de Benoist

 

 

Dans le numéro 134 de son excellente revue Eléments, Alain de Benoist recense mon dernier livre avec le sérieux et la franchise qu’on se plait généralement à lui reconnaître. Cette recension, reproduite ici à l’attention des lecteurs de ce blog, comportant, cependant, une inexactitude, elle appelle de ma part la mise au point qu’on lira plus loin.

 

                                                          Badiou mis à nu

 

C’est d’abord l’histoire d’une amitié rompue. Dans les années 1970, Kostas Mavrakis et Alain Badiou travaillaient ensemble à la revue maoïste Théorie et Politique. Le premier était alors le disciple et l’ami du second. Après quoi leurs itinéraires ont divergé. Mavrakis est aujourd’hui devenu un traditionaliste chrétien. Badiou a développé une œuvre philosophique fondée sur l’idée d’une vérité universelle abstraite, en même temps que, côté praxis, il s’engageait dans un « sans-papiérisme » échevelé (« tous les ouvriers qui travaillent ici sont d’ici et doivent être honorés comme tels, singulièrement les ouvriers de provenance étrangères » !). En 2005, il prononçait dans son livre intitulé Le siècle un panégyrique de l’art contemporain, que Mavrakis dénonçait au même moment, avec force, comme un « non-art ». La rupture devenait inévitable. Mavrakis considère aujourd’hui toujours Badiou comme « le plus grand philosophe vivant » (ce qui est un peu excessif), mais il ne le regarde pas moins comme un « adversaire » (ce qui est un peu faible). Dans ce livre remarquablement bien écrit, il cerne ce qui les sépare, ou plus exactement ce qu’il refuse dans le « système » Badiou. Ce dernier, bien entendu, est longuement critiqué pour ses vues en matière artistique. Son athéisme est par ailleurs dénoncé avec des arguments qui plairont aux croyants. Abordant le terrain politique, Mavrakis n’a pas de mal à montrer que les positions de Badiou rejoignent paradoxalement celles du libéralisme qu’il prétend combattre : « Sur la question des immigrés clandestins, il ne remarque pas qu’il est dans le même camp que les patrons et les médias ». D’où cette conclusion : « [son] progressisme est celui du grand capital mondialisé ». L’ouvrage s’achève sur un aperçu des lettres que les deux frères ennemis ont récemment échangées. A noter que Mavrakis aborde aussi les violentes critiques opposées à Badiou par certains « intellectuels judaïsants » (Eric Marty, Jean-Claude Milner). On a du mal à le suivre quand il assure qu’Israël est aujourd’hui « aux avant-postes de toutes les nations qui résistent au rouleau compresseur et niveleur de la mondialisation ».

 

Kostas Mavrakis, De quoi Badiou est-il le nom ? Pour en finir avec le (XXe) siècle, L’Harmattan 127 p, 13 euros.

 

 

Réponse à Alain de Benoist

 

La brève note consacrée à mon dernier livre par Alain de Benoist est un chef-d’œuvre de concision. Elle donne une idée assez juste et complète des principaux points de ma critique d’Alain Badiou et contient des appréciations flatteuses pour lesquelles je remercie l’auteur. J’aurais mauvaise grâce à lui reprocher certaines approximations car elles sont la loi du genre. Il m’est impossible en revanche de laisser passer une allégation qui n’est pas diffamatoire dans son intention mais pourrait donner lieu à un fâcheux malentendu. Je suis devenu, dit-il, « un traditionaliste chrétien ». Chrétien, certes, (et fier de l’être), mais ni traditionaliste ni partisan du dernier concile. Ma qualité d’orthodoxe fait que ces oppositions ne me concernent pas et qu’il est superflu pour moi et pour tous ceux qui appartiennent à ma confession de se prononcer sur elles.

La tentation fut sans doute forte de se débarrasser de mon christianisme en me rejetant du côté d’une aile minoritaire et décriée du catholicisme. Mutatis mutandis, c’est le type d’opération dont Alain de Benoist fut la victime quand ses détracteurs l’ont d’abord classé (par association) à droite, puis à l’extrême droite et enfin du côté de Le Pen. Ayant été longtemps l’objet d’un injuste ostracisme, il devrait faire attention en distribuant des étiquettes stigmatisantes.

La seule critique nette quoique allusive que m’adresse Alain de Benoist figure dans sa conclusion où je lis : « On a du mal à le suivre [Mavrakis] quand il assure qu’Israël est aujourd’hui ‘‘ aux avant-postes de toutes les nations qui résistent au rouleau compresseur et niveleur de la mondialisation’’». Pour quelle raison a-t-il du mal à me suivre ? Se pourrait-il qu’Israël ne défende pas son indépendance comme Etat national ? Ou bien dois-je comprendre qu’Alain de Benoist interprète mon approbation d’Israël sur un point très particulier, à savoir sa résistance à certains effets de la mondialisation, comme cautionnant en bloc l’oppression des Palestiniens ? Dans ce cas je précise que l’hubris dont se rend coupable le gouvernement de Jérusalem en comptant uniquement sur la force pour régler son conflit avec les Arabes (y compris la Syrie et le Liban) est à la fois moralement injuste et politiquement fatale si l’on considère les choses dans le long terme. Qu’arrivera-t-il quand l’Etat juif ne pourra plus compter sur l’Amérique et qu’il n’y aura ni cargaison d’armes ni zouaves pontificaux pour le sauver ? Il sera noyé dans l’océan arabo-musulman comme la Rome du Pape dans l’Italie unifiée. Conformément à un principe universel de la diplomatie, c’est maintenant, quand ils sont les plus forts, que les Israéliens devraient faire des concessions en vue d’une paix durable. 

 

 

L'échange de répliques prend fin  

 

J'ai reçu de la part d'Alain de Benoist une réponse qui m'a entièrement satisfait. Ma mise au point amputée de quelques propos désobligeants sera insérée dans le prochain numéro d'Eléments.

 

17:27 Publié dans Culture | Lien permanent | Commentaires (4)

12/01/2010

Badiou et l'internationalisme prolétarien

Il n’y a pas de démocratie sans communauté citoyenne, qu’elle soit fondée sur l’identité nationale ou le patriotisme local des cités grecques. Or les cités en question se faisaient la guerre en permanence. Les pertes humaines n’étaient pas moins graves proportionnellement que lors de la guerre de 14. L’empire romain y mit fin au prix, à terme, d’une stérilisation de la créativité dans tous les domaines. La question à laquelle Badiou ne peut ou ne veut répondre est celle-ci : sur quoi pourrait être fondé aujourd’hui le « nous » qui rend possible la démocratie comme idéal et horizon de toute pratique politique si ce n’est sur la forme moderne de la nation? Contrairement à ce que pensent certains la mondialisation n’a nullement affaibli les Etat nationaux qui, d’une par sont les mieux à même d’assurer la paix civile (comparés aux Etats multiethniques) et d’autre part jouent un rôle dans le fonctionnement des marchés. L’intervention des grands Etats dans la gestion de la dernière crise le confirme.

Le journaliste du Nouvel Observateur fait la réflexion qu’« on n’a rien trouvé d’autre jusqu’à présent que le cadre national pour imposer la redistribution par l’impôt, la sécurité sociale et autres acquis sociaux ». En effet la solidarité nationale se manifeste notamment par les soutiens financiers accordés aux chômeurs, aux malades et aux vieux, soutiens qui vont bien au-delà des cotisations. L’Etat comble par exemple les déficits de l’assurance chômage ou de la Sécurité sociale. Il est évident que peu de Français accepteraient des payer le traitement des malades de la Nouvelle Guinée du Texas ou du Zimbambwé comme l’exige Badiou.  

Badiou s'en prend à la notion même d'identité dont la seule évocation conduirait, selon lui, au nationalisme et au chauvinisme les plus meurtiers. lui qui refuse qu'on impute le goulag à l’idée communiste met au débit du sentiment d’identité nationale l’hécatombe de la guerre de 14-18. En cela il est mauvais léniniste malgré ses proclamations de foi tonitruantes. Lénine considérait comme responsable de cette guerre non pas le nationalisme mais l’impérialisme. Or les soixante-cinq dernières années sont la période la plus pacifique de l’histoire. Ce recul spectaculaire du nombre de conflits internationaux et des victimes qu’ils ont occasionnées s’explique par le fait que l’élargissement du marché nécessaire au capitalisme a été obtenu par l’abaissement des barrières douanières et non par des conquêtes. La formation de l’Union européenne est une des modalités de cette baisse. Autrement dit, le «stade suprême du capitalisme » n’est pas l’impérialisme, comme disait Lénine, mais la mondialisation. Celle-ci rend compatible la survie de nations multiples et l’absence de conflits guerriers entre elles. La concurrence qui les oppose prend désormais la forme positive de l’émulation.

Badiou ne veut pas en entendre parler et c’est avec raison que Finkielkraut lui attribue la position suivante : pour que les Français soient « eux-mêmes, c’est-à-dire fidèles à leur vocation universelle », ils devraient « effacer tous leurs signes particuliers. Pour n’exclure personne, ils devraient faire le vide en eux, se dépouiller de toute consistance », et de citer Simone Weil disant qu’ il n’y a pas de plus hideux spectacle qu’un peuple qui n’est tenu par rien, par aucune fidélité. Badiou lui demande alors : « Fidélité à quoi ? » « Au sacre de Reims, à la Fête de la Fédération » répond Finkielkraut.  

La riposte de Badiou confirme la critique qui lui était adressée. Il proteste que lui aussi est fidèle mais c’est à une identité qui n’en est pas une puisque n’importe quel être humain dans le vaste monde pourrait et même devrait y adhérer. La tautologie qu’il reproche à son interlocuteur, Badiou la pratique avec brio. Il n’y a pas d’identité (ou alors c’est virtuellement celle de tout le monde) donc le problème de l’identité ne se pose pas.

La pensée de Badiou est tributaire de la réification commune à l’économisme libéral et au socialisme des deux derniers siècles. Sous l’emprise de l’abstraction monétaire, cette pensée privilégie le quantitatif au détriment des différences qualitatives. Son idéal est productiviste et technophile. Il fantasme l’unification planétaire par le marché, c’est-à-dire par la libre circulation des marchandises et des capitaux. L’internationalisme en est la conséquence. Badiou s’en réclame avec une inconscience abyssale. Dire, comme le Manifeste communiste, que « les prolétaires n’ont pas de patrie », c’est négliger le fait que les ouvriers sont beaucoup moins mobiles que l’argent, c’est aussi dénier la puissance du sentiment national, ignorer le lien charnel à une langue, une culture, une histoire, un pays. Un tel principe interdit de comprendre les masses et d’être compris par elles. Comment les sociaux-démocrates et les communistes auraient-ils pu empêcher les guerres mondiales alors qu’ils étaient aveugles à la question nationale et que leur idéologie leur interdisait d’analyser la réalité de ce point de vue ? Cette question est le scotome commun du marxisme et du libéralisme.

Il faut donc admettre que les ouvriers ont une patrie (le pays de leurs pères) et qu’ils n’en changent pas en modifiant leur localisation géographique. Si en outre les immigrés sont attachés à leur langue maternelle, leur religion, leurs mœurs et coutumes ancestrales (qui oserait le leur reprocher ?) il ne faut pas s’étonner qu’ils regardent d’un mauvais œil ceux de la population environnante et qu’ils veuillent s’en distinguer par des barrières symboliques. La burqua en est une. Beaucoup d’entre eux vont jusqu’à siffler la Marseillaise et brûler le drapeau tricolore quand ils en ont l’occasion. Alain Finkielkraut et moi-même qui sommes immigrés ou issus de l'immigration avons le droit d'interdire à Badiou de nous donner des leçons et de justifier des comportements qui n'ont jamais été les nôtres. Poussé dans ses retranchements, Badiou finit, en effet, par reconnaître l'execration de la France qui se manifeste parfois dans les banlieues. Que les immigrés « ne soient pas pétris d’amour pour ce pays, c’est assez compréhensible », dit-il. En fait, il s’en félicite et refuse qu’on tende la main à  ces jeunes dont le destin « serait de s’organiser dans la visée de la destruction de l’ordre établi ». Les inviter à ne pas incendier des écoles, des bibliothèques, des gymnases, des supermarchés où s’approvisionnent leurs parents serait en faire « des toutous aux ordres de la société ». Poussé par la sympathie la plus tendre, il ne veut pas qu’on « s’en prenne » au paysan qui vient d’arriver de son Sahel natal plutôt qu’à « l’oligarchie féroce de prédateurs » qui nous gouverne. Or ni Finkielkraut ni personne d’autre ne s’en prend aux immigrés jeunes ou vieux. La question n’est pas à qui on doit s’en prendre, comme feint de le croire le démagogue Badiou, mais quelle politique adopter. Si l’on tient compte de l’intérêt général, doit-on ou non favoriser l’immigration ? "Sarkozy c'est tout de même pire qu'un ouvrier malien balayeur!" s'écrie-t-il. Admettons ce qu'il présente comme une évidence à savoir que l'Africain est moins pire que le président (sans quoi nous serions taxés de racisme); en quoi cela nous empêcherait d'estimer qu'il y a suffisamment de balayeurs maliens et que la France n'a pas besoin d'en avoir plus?  Quand Badiou joue sur la corde sensible de son lecteur, quand il exploite son penchant à la charité chrétienne qui l’anime serait-il athée, il embrouille le problème. Opter pour une limitation de l’immigration n’est pas nécessairement un signe de xénophobie. Aux îles Fidji les immigrés venus de l’Inde sont devenus majoritaires ce qui ne facilite pas l’exercice de la démocratie. En nouvelle Calédonie le corps électoral a été figé pour éviter que les Kanaks indigènes ne deviennent minoritaires. Maintenir durablement la paix civile exige une homogénéité ethnique minimale du corps social. Les terribles malheurs qui ont frappé et frappent encore des pays comme l’ex-Yougoslavie, le Liban, l’Irak, l’Afghanistan, la Birmanie, le Soudan, le Rwanda, les deux Congo et beaucoup d’autres  contrées africaines devraient nous l’enseigner.

21:35 Publié dans Société | Lien permanent | Commentaires (2)